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Maltraitance et bientraitance : de quoi parle-t-on ?

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Disposer de définitions socialement partagées est un préalable nécessaire pour étudier, identifier et reconnaître les différentes formes de maltraitance… comme de bientraitance. Docteure en sociologie, spécialiste des seniors et du vieillissement, fondatrice en 2012 du bureau d’études et de conseil Mixing Générations, Mélissa Petit fait le point sur l’histoire et les enjeux de la bonne signification de ces deux termes.

« Les premières recherches sur la maltraitance ont été impulsées dans les années 1980 en France par le corps médical (médecins, gériatres) et se sont véritablement développées à partir des années 2000. Les termes ont évolué au fur et à mesure de ces avancées. En effet, au début, il est fait état de notions comme la négligence, l’abus et la violence. Le terme de maltraitance s’est imposé ensuite. Le Conseil de l’Europe en a donné une définition en 1987 : “La violence se caractérise par tout acte ou omission commis par une personne, s’il porte atteinte à la vie, à l’intégrité corporelle ou psychique, ou à la liberté d’une autre personne ou compromet gravement le développement de sa personnalité et/ou nuit à sa sécurité financière.” En 1992, une série de critères ont été ajoutés afin d’affiner cette définition de la maltraitance des personnes âgées : les violences physiques, psychologiques ou morales, matérielles et financières, médicales ou médicamenteuses. A cela s’ajoutent également des actes de négligence volontaires ou involontaires, ainsi que des privations de droits. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit par la suite la maltraitance des personnes âgées comme un acte unique ou répété, ou en l’absence d’intervention appropriée, dans le cadre d’une relation censée être une relation de confiance, qui entraîne des blessures ou une détresse morale pour la personne âgée qui en est victime.

La maltraitance peut être induite par des comportements de professionnels de soin et de santé, par des proches, en fonction d’un contexte institutionnel, etc. Certains facteurs de risque peuvent accroître les possibilités de maltraitance au niveau individuel (selon le degré de dépendance physique ou psychique, la situation financière, ou encore l’isolement social, etc.), familial (problèmes financiers, fragilité psychologique, épuisement physique et mental des aidants, etc.), socio-culturel, institutionnel (type d’infrastructure, nombre et qualification des personnels, productivité dans une activité de soin, absence de politique de prévention et de bientraitance, respect de la dignité, etc.). La maltraitance résulte souvent d’interactions complexes entre la personne maltraitée, en situation de vulnérabilité, et le maltraitant.

Les bonnes pratiques de l’ANESM

Cependant, il n’existe pas véritablement de définition universelle reconnue et intégrée par l’ensemble des Etats, mais plutôt une appréhension de catégories ou de manifestations du phénomène : les maltraitances physiques, psychologiques ou morales, matérielles et financières, médicales ou médicamenteuses, organisationnelles. La complexité d’analyse repose sur la prise en compte de ces différentes formes de maltraitance, des caractéristiques des personnes maltraitées, des caractéristiques des personnes maltraitantes, des types de relations et d’environnements et, in fine, de la caractérisation et de la qualification des cas.

Pour prévenir et lutter contre la maltraitance, des stratégies ont été mises en place. Par exemple, prendre le contre-pied du terme “maltraitance” et parler plutôt de “bientraitance”. Celle-ci, selon les Premières Rencontres de l’ANESM (Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux), “situe les intentions et les actes des professionnels dans un horizon d’amélioration continue des pratiques tout en conservant une empreinte de vigilance incontournable. La bientraitance est donc à la fois démarche positive et mémoire du risque”(1). La notion a commencé à prendre forme en 2008 avec l’opération “Bientraitance des personnes âgées”, lancée par le secrétariat d’Etat à la Solidarité et qui oblige les établissements accueillant des personnes âgées dépendantes de s’inscrire dans une démarche d’autoévaluation de leurs pratiques de bientraitance.

En 2010, en introduction au numéro de la revue Gérontologie et société consacré au sujet (“Pour une bientraitance : faut-il repenser le soin”), Robert Moulias, Sophie Moulias et Françoise Busby expliquent(2) que la bientraitance ne se limite pas à éviter les risques de maltraitance et à évoquer la qualité. En préalable, cette notion comprend plusieurs principes : la compétence, la déontologie, la conscience de son action, le respect de la dignité de la personne assistée et de ceux qui s’en occupent, la collégialité du travail d’équipe. Les auteurs notent que “la bientraitance doit être l’art d’éviter à la personne placée par la maladie […] en situation de dépendance de ne plus se sentir pour autant en ‘situation d’indignité’. Plus simplement, l’objectif de la bientraitance, c’est ‘permettre de vivre dépendant dans la dignité’”. Les auteurs insistent sur le fait qu’une définition unanime et trop contraignante de la bientraitance limiterait les professionnels dans leurs actions.

Les recommandations de l’ANESM renvoient également au fait que nous ne pouvons attribuer de définition fixe à cette notion. Cependant, la bientraitance s’inscrit dans des fondamentaux qui recoupent et complètent les principes évoqués par l’article de Moulias et Busby : une culture du respect de la personne et de son histoire, de sa dignité, et de sa singularité ; une manière d’être des professionnels au-delà d’une série d’actes ; une valorisation de l’expression des usagers ; un aller-retour permanent entre penser et agir ; et une démarche continue d’adaptation à une situation donnée.

La « constellation des abus »

En 2002, Hilary Brown a développé dans un rapport pour le Conseil de l’Europe(3) une « constellation » qui répertorie six types d’abus :

→ la maltraitance ciblée : crimes de haine, exploitation par un pair ou un partenaire ;

→ la maltraitance institutionnelle : fonctionnements rigides et déshumanisés, soins négligents, personnel dépassé ou non disponible ;

→ la maltraitance professionnelle : transgressions des règles professionnelles par une personne dans la toute-puissance et sans obligation de rendre des comptes, un personnel dans le ressentiment, opprimé ou tyrannisé ;

→ la maltraitance dans la sphère domestique : violence, négligence ou carence intrafamiliale entre conjoints, entre parent et enfant, entre un enfant adulte et son parent âgé ;

→ les pratiques contraires à l’éthique : réponses contraires à l’éthique, injustifiées et/ou illégales apportées aux besoins complexes de publics vulnérables ;

→ la maltraitance systémique et l’exclusion sociale : discrimination dans l’accès à la santé, à l’éducation, au logement, à la couverture sociale ; incapacité d’accès aux espaces publics, déni d’accès aux droits et aux recours, invisibilité ou stigmatisation dans les médias.

Bien que cette “constellation des abus” ait été pensée pour les adultes et les enfants handicapés, de nombreux éléments peuvent être utiles pour la réflexion sur les personnes âgées. Avec cet outil, nous pouvons nous rendre compte de la prise en compte du regard systémique lorsqu’on commence à analyser la maltraitance. Cette dernière est certes en lien avec une dissymétrie dans une relation, mais elle s’ancre aussi dans d’autres critères et questionnements. La personne maltraitante le devient rarement du jour au lendemain, mais la maltraitance peut se développer en lien avec plusieurs dimensions. Aussi est-il intéressant, lorsque l’on définit la maltraitance, de réfléchir également au système dans lequel les personnes sont intégrées.

Notes

(1) La bientraitance : définition et repères pour la mise en œuvre – ANESM, 2008, page 13 – Document disponible sur https://frama.link/ANESM.

(2) « La « bientraitance » : qu’est-ce que c’est ? », dans Gérontologie et société, n° 133 – Ed. Fondation nationale de gérontologie, 2010, pages 10-21 – Document disponible sur https://frama.link/Moulias-Busby.

(3) Protection des adultes et des enfants handicapés contre les abus – Conseil de l’Europe, 2002.

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