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La parole des « vieux » ne s’use que quand on ne s’en sert pas

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La Fondation de France a organisé un colloque sur les droits des personnes âgées. L’occasion de rappeler qu’encourager leur expression en établissement est un rempart à l’infantilisation.

« Ce que vous faites pour moi mais sans moi, vous le faites contre moi. » Cette citation du Mahatma Gandhi a résonné l’après-midi du 27 octobre au collège des Bernardins, à Paris. La Fondation de France y organisait un colloque : « Vivre ses choix, prendre des risques : un droit pour les personnes âgées ». L’accent était mis sur l’importance de l’écoute des intéressés au sein des établissements. Quinze ans après la loi de 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale(1), qui vise à donner une place centrale à la parole des personnes âgées, la fondation voulait faire un tour d’horizon des bonnes pratiques.

Lexique médical

« Admission », « placement », « prise en charge » : autant de mots empruntés au vocabulaire de la médecine qui font d’emblée de la personne âgée une personne malade ayant besoin d’être assistée. La fameuse expression « c’est pour ton bien » est utilisée par beaucoup de familles, comme s’il fallait décider à la place de la personne âgée, qui n’a plus son mot à dire, ont constaté les intervenants. Pour Marie-Françoise Fuchs, présidente d’honneur de l’association de personnes âgées Old’up, le premier effort doit venir des « vieux » eux-mêmes, en commençant par échanger entre eux : « Même nous, on doit se manifester, parler, pour se retrouver. » C’est l’objectif premier de l’association. Dans les ateliers qu’elle anime, les participants découvrent « quelque chose de nouveau » : « leur capacité à être intéressants ». « C’est au cours de la rencontre qu’on crée une forme de collectif valorisé », a-t-elle insisté.

Dans l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) de la vallée du Don, à une soixantaine de kilomètres au nord de Nantes, l’équipe s’emploie à appliquer les dispositions de la loi de 2002, en cherchant à redonner une place à la parole de la personne âgée. « Celle qu’on leur accorde est la même que pour les autres, famille ou professionnels. D’ailleurs, pourquoi serait-elle différente ? On considère la personne âgée comme un sujet et on la reconnaît dans ses souhaits et dans ses besoins », a expliqué Catherine Bourmault, directrice de l’établissement. En donnant un exemple : « Une habitante, habituée à travailler en trois-huit, voulait petit-déjeuner tôt. On s’est organisé pour répondre à sa demande. On fait la même chose pour les personnes qui préfèrent déjeuner avant de prendre leur douche, ou l’inverse. On prend en compte les demandes, et c’est à partir de là qu’on crée une organisation. » Marie-Françoise Fuchs a repris la parole : « Il faut que ça se fasse avec l’autre, pas pour l’autre. Rien n’est valable s’il n’y a pas de négociation. » Et Catherine Bourmault d’approuver : « Au lieu de faire appel à des concepts clé en main, il faut se mettre autour de la table pour réfléchir. »

« Comme ils veulent »

Catherine Bourmault préfère le terme de « maisonnée » à celui d’« EHPAD » : « Dans mon établissement, les personnes âgées sont chez elles », a rappellé la directrice, pour qui l’application de la loi de 2002 relève du bon sens. En une phrase, elle a résumé la philosophie de son lieu de vie : « Comme ils veulent, où ils veulent, quand ils veulent. » Et même si la question des moyens, humains et financiers, persiste, Catherine Bourmault l’assure : « On peut faire beaucoup de choses sans moyens. »

Aujourd’hui, les familles prennent un certain nombre de décisions en lieu et place des personnes âgées elles-mêmes. Le rapport enfant-parent s’inverse, au grand dam de l’anthropologue Bernadette Puijalon : « On ne devient jamais le parent de ses parents. L’infantilisation est considérée comme un moyen de se protéger, mais je suis ahurie que cette vision dure et perdure. »

« Présomption de perte de discernement »

Persuadées de savoir mieux que la personne âgée elle-même, les familles demandent notamment de plus en plus de sécurité au sein des établissements. « Deux tiers des EHPAD ont mis en place des systèmes de contrainte et de surveillance », a rappelé Joël Ankri, professeur à l’université de Versailles – Saint-Quentin-en-Yvelines et spécialiste de la maladie d’Alzheimer. Christophe Ramage, réalisateur du documentaire Portes closes, qui sera diffusé sur France 3 début 2018, a témoigné que « les personnes qui arrivent dans ces établissements ont du mal à exprimer ce qu’elles pensent ». Mais, selon Joël Ankri, « même celles qui ont perdu des capacités cognitives sont capables d’exprimer des choses ».

A la fin de la journée, Jean-Jacques Amyot, directeur de l’Office aquitain de recherches, d’études, d’information et de liaison sur les problèmes des personnes âgées, à Bordeaux, a enfoncé le clou en s’érigeant contre la « présomption de perte de discernement et de jugement ». Il est persuadé que le changement de paradigme doit d’abord venir des professionnels eux-mêmes : « Je n’attends plus rien des politiques publiques. Il faut travailler différemment, avec des moyens constants. »

Notes

(1) Pour rappel, la loi de 2002 a réaffirmé la place et les droits des usagers des établissements et services, par exemple en rendant obligatoire la création d’un conseil de la vie sociale (CVS) dans certains établissements, dont les EHPAD.

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