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Garde de nuit itinérante

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Depuis septembre 2014, à la suite d’un appel à projets du département des Pyrénées-Atlantiques, une équipe de six auxiliaires de vie sociale employées par l’AIDBS assure une garde itinérante de nuit dans l’agglomération de Pau auprès de personnes âgées dépendantes ou de personnes handicapées.

« Lorsqu’on devient une personne à mobilité réduite comme moi, tous les actes essentiels du quotidien sont obligatoirement effectués par une tierce personne. On est assisté, obligé de se conformer aux horaires imposés par la contrainte de l’aide, écrit Agnès S., 64 ans, presque totalement paralysée depuis une thrombose pulmonaire doublée d’un AVC en 1995. Pendant vingt-deux ans, j’ai été couchée à heure fixe en début de soirée et toute vie sociale m’était interdite. Fini les soirées entre copains et copines, le cinéma, les conférences… La nuit, j’ai aussi connu la peur panique en entendant un bruit suspect. J’ai douloureusement attendu que le jour se lève pour que quelqu’un arrive et me donne un cachet pour me soulager. Je suis restée frigorifiée dans des couches souillées… »

Depuis trois ans, grâce à la garde de nuit itinérante (GNI), tout a changé pour Agnès S. Cette nuit-là, vers 22 heures, Françoise Simao et Houria Salmani, auxiliaires de vie sociale (AVS) employées par l’association AIDBS (Aide et intervention à domicile Béarn et Soule), lui rendent visite pour la vêtir d’une chemise de nuit et la coucher, puis ils repasseront une fois au cours de la nuit.

Depuis septembre 2014, la garde de nuit itinérante – appelée aussi nueit beroja (« belle nuit ») en béarnais – fonctionne 7 jours sur 7 et 365 jours par an, de 19 h 30 à 7 h 30. Le service a été créé à la suite d’un appel à projets lancé à l’été 2013 par le conseil départemental pour répondre à des besoins identifiés sur le terrain depuis longtemps. « L’AIDBS avait déposé un projet quatre ou cinq ans auparavant, raconte Alain Lapeyre, ancien directeur de maison d’enfants à caractère social et président de l’association depuis juin 2013. L’équipe s’était aperçue qu’en étant couchées à 19 h 30-20 h par les services de jour, des personnes handicapées ne pouvaient pas avoir de vie sociale le soir, et qu’en commençant les interventions seulement à partir de 7 h 30 le matin, cela faisait souvent arriver en retard en cours certains étudiants handicapés. » La demande émanait aussi des usagers eux-mêmes. « Des bénéficiaires qui regrettaient de devoir se coucher à des heures imposées par les services ont effectué du lobbying dans ce sens auprès du département en s’appuyant sur la loi de 2005 », témoigne Dominique Lagrange, directeur de la MDPH64.

Une réponse à un besoin réel

Le schéma départemental « autonomie » 2013-2017 en faveur des personnes âgées et handicapées prévoyant de conforter et de maintenir la vie à domicile en adaptant les services d’aide et d’accompagnement, le conseil départemental a été à l’écoute. « La garde de nuit itinérante répond à un véritable besoin, confirme Jean Lacoste, médecin gérontologue, adjoint au maire de Pau et conseiller départemental assurant la délégation à l’autonomie et aux personnes âgées. Avec des interventions de courte durée (vingt à quarante minutes), régulières ou ponctuelles, elle est une alternative à la garde de nuit en continu, qui est un dispositif extrêmement lourd et coûteux. » L’objectif est d’apporter une aide pour les actes essentiels de la vie : déshabillage, changement de couches, retournements et massages pour la prévention des escarres, prise de médicaments tardive… « Cela contribue au maintien à domicile et retarde de plusieurs années l’entrée en EHPAD, affirme l’élu. Mais cela peut aussi faciliter un retour à domicile après une hospitalisation et soulager les aidants. » Autre bénéfice : un moindre recours aux services de secours d’urgence. « Les pompiers nous appelaient régulièrement pour nous dire qu’ils étaient intervenus la nuit pour des personnes tombées, signale Dominique Lagrange. Avec la GNI, on n’en entend plus parler. Les personnes n’essaient plus de se lever seules la nuit et ne risquent plus de tomber. »

Une équipe de six AVS (quatre femmes et deux hommes) se relaie chaque nuit sur tout le territoire de Pau et de son agglomération auprès de 17 usagers réguliers et de 10 usagers ponctuels abonnés à la téléassistance. Conseillère en économie sociale et familiale et responsable de secteur à l’AIDBS depuis janvier 2015, Jennifer Ducla les rencontre une première fois chez eux afin d’évaluer leur domicile et d’ajuster l’intervention au plus près de leurs besoins. Les différents passages sont organisés au sein de trois tournées identifiées par des couleurs. La tournée bleue, de 19 h 30 à 1 heure, concerne huit à neuf personnes selon les soirs, dont quatre couchers « lourds » exigeant de la manutention. Les deux autres tournées, rouge et grise, commencent à 22 heures et s’achèvent à 7 h 30, avec davantage de couchers « lourds » pour des personnes handicapées nécessitant l’usage d’un lève-malade. S’il n’y a pas d’appel d’urgence par la téléassistance, la première partie de ces tournées se termine à 2 h 30 environ, ce qui permet aux AVS de dormir jusqu’à 6 heures, avant de reprendre les visites pour les petits déjeuners et les toilettes jusqu’à 7 h 15. A l’issue de chaque tournée, les professionnel(le)s envoient un mail de transmission à leur responsable ainsi qu’un relevé des horaires de passage. Le détail de ces horaires est aussi envoyé automatiquement par un smartphone qu’il faut badger à chaque arrivée et départ sur une puce électronique équipant le domicile. Mis en place en avril 2016 pour les équipes de jour et en janvier 2017 pour celles de nuit, ce système dispense de remplir de fastidieuses feuilles de présence.

Au volant de sa voiture siglée aux couleurs de l’association, Houria Salmani commence vers 19 h 45 la tournée bleue – celle du centre-ville – par la visite de monsieur F. A 85 ans, il ne peut plus se déplacer seul et ne parle plus. Sa fille Sylvie, qui habite juste à côté, accueille avec chaleur l’AVS à la grille de la maison de ce quartier pavillonnaire. Houria passe son téléphone sur la puce électronique collée dans l’entrée, note son heure d’arrivée sur le facturier, puis se dirige vers le vieil homme, enfoncé dans un fauteuil devant la télévision, et le salue d’une voix forte et enjouée. « Quand ma mère a fait un AVC, j’ai déménagé mon père à côté de chez moi, nous raconte sa fille. Je partageais mon temps entre l’hôpital pour elle et ici pour lui. C’était très compliqué de le coucher. Il est très lent et ses TOC [troubles obsessionnels compulsifs] l’amenaient à s’énerver si le rideau n’était pas fermé d’une certaine façon ou si sa canne n’était pas accrochée à son déambulateur… Cela me prenait beaucoup de temps et je n’arrivais même plus à dîner. Il y a deux ans, l’assistante sociale m’a parlé de ce service et, depuis, c’est un vrai bonheur ! Cela leur prend dix minutes là où il me fallait trois quarts d’heure ! »

Des proches rassurées

Avec des gestes sûrs, Houria Salmani extrait monsieur F. de son fauteuil de salon pour l’asseoir sur un fauteuil roulant et l’amener jusqu’à son lit. « Il donne parfois des coups, mais on sait que c’est la maladie, commente-t-elle. On essaie de lui laisser de l’autonomie, mais quand il est violent, on l’attrape, on l’installe et après il se calme. » Sylvie S. dit en souriant : « Vous le connaissez bien et vous avez de l’autorité ! » Le fait que la GNI se déplace aussi en cas d’urgence sécurise les aidants tels que Sylvie : « Depuis deux ans, nous avons créé des liens et sommes en confiance. Ils sont venus lorsque papa était tombé. Je ne les remercierai jamais assez de ce qu’ils font. C’est une aide inestimable ! »

De nombreuses personnes accompagnées par la garde de nuit itinérante n’ont pas la chance d’être entourées par leur famille. Comme cette dame de 95 ans à qui Houria Salmani rend visite vers 20 heures, au deuxième étage d’une longue barre d’immeubles. « Madame P., vous avez passé une bonne journée ? lance-t-elle d’une voix très forte en entrant dans l’appartement. Je viens pour vous mettre au lit ! » Houria actionne le fauteuil pour redresser la dame, qui prend son déambulateur. Elle est très courbée mais arrive encore à se déplacer. « Il paraît qu’elle a une fille, mais on ne l’a jamais vue, indique l’AVS en jetant un coup d’œil aux photos sur les murs. Elle est à moitié aveugle, à moitié sourde, n’a pas de radio, pas de télé… Elle nous attend. On change sa protection si elle est sale et on la couche. Ces personnes seules me font mal au cœur. Elles ne rencontrent personne à part les infirmières et les auxiliaires. »

Redescendue dans sa voiture, Houria Salmani range les clés dans une des trois boîtes en plastique qu’elle transporte : une avec les trousseaux de tous les appartements de la tournée bleue, la deuxième avec les clés de la téléassistance et la troisième avec celles de la tournée rouge, qui commence à 21 heures. Cela lui permet d’intervenir en cas d’urgence, sans repasser par le local. En roulant vers le domicile de la prochaine personne de sa tournée – madame L., 65 ans, atteinte de sclérose en plaques, qui n’est pas sortie de son lit depuis le mois de janvier –, Houria Salmani parle avec passion de ce qu’elle fait. « J’adore mon métier, les relations avec les patients, avec les familles, s’enthousiasme-t-elle. Le rapport la nuit est très différent de celui le jour. On s’occupe vraiment de la personne ! » Cette passion, elle la partage avec sa collègue Françoise Simao, avec qui elle intervient ce soir chez Agnès S. et chez Laurent L. – un jeune handicapé plein d’énergie et de joie de vivre, qui a souhaité quitter ses parents pour vivre seul et avec qui elles ont noué des relations privilégiées. Françoise Simao est AVS à l’AIDBS depuis 1991 et a rejoint la GNI depuis sa création, en 2014. « La nuit, les gens sont beaucoup plus aimables avec nous car ils se rendent compte que c’est un grand soutien, commente-t-elle. Pour nous aussi, c’est plus agréable, car on sait qu’on leur apporte quelque chose de vraiment important, la possibilité d’avoir une vie meilleure… »

Difficile de recruter

Mais il n’est pas facile de recruter des AVS aussi motivées que Houria ou Françoise. « Nous avons de grosses difficultés de recrutement, reconnaît Laure Orozco, la directrice. C’est un service où il y a beaucoup d’entrées-sorties. Nous avons du mal à garder les gens, qui partent souvent faire un diplôme d’aide-soignant pour travailler en établissement. » Il y a quelques semaines, elle a proposé à une personne en contrat à durée déterminée un CDI que celle-ci a refusé, préférant retravailler dans la restauration… « Les gens envoyés par Pôle emploi n’ont pas conscience de la réalité du travail et arrêtent au bout d’une semaine, parce que c’est trop dur, physiquement et psychologiquement, déplore Alain Lapeyre, le président de l’AIDBS. Les horaires atypiques se doublent de la fatigue liée aux manipulations. Et les AVS se retrouvent face à des personnes de plus en plus dépendantes, qui étaient en établissement il y a quinze ans. Ce ne sont plus les travailleuses familiales d’il y a quelques années, qui allaient faire un peu de ménage. »

Ces pénuries de personnel retombent sur les salarié(e)s en poste. « En cas de congés ou d’arrêt maladie, c’est difficile de trouver des remplaçants pour le jour comme pour la nuit, avoue Jennifer Ducla, la responsable de la GNI. Il y a beaucoup de trajets, le travail est très technique, pour un salaire à peine au-dessus du SMIC. » La convention collective ne valorise pas le travail de nuit, qui n’est pas payé plus mais permet seulement d’avoir plus de repos. Résultat : cet été, il n’y avait que deux professionnel(le)s par nuit au lieu de trois. Cela a obligé les personnes présentes à enchaîner jusqu’à trois ou quatre nuits de onze heures et demie (20 h-7 h 30). Carine Ducoin, AVS à la GNI depuis trois ans, a ainsi cumulé jusqu’à 300 heures supplémentaires à récupérer ! « Si on reste, ce n’est pas pour le salaire (1 250 € par mois pour 151 heures) mais pour le métier, explique celle qui a travaillé en centre hospitalier dans le nord de la France. Ici, il y a plus d’humanité. On peut rester le temps qu’il faut pour s’assurer que la personne se sent bien. On n’est pas fliqué comme à l’hôpital, où on a vingt minutes au maximum par chambre ! »

Autre souci pour l’association béarnaise, le manque d’usagers inscrits, qui induit un déficit de fonctionnement : 38 000 € en 2015 sur un budget de 284 000 € ; 27 000 € en 2016, compensés par une subvention de la Carsat (caisse d’assurance retraite et de la santé au travail) et de la MSA (mutuelle sociale agricole). « Nous serions à l’équilibre en faisant 5 856 heures par an. Or, en 2016, nous n’en avons effectué que 5 115 », comptabilise la directrice. Prévue initialement pour 40 bénéficiaires, la GNI n’en accompagne que 17 réguliers et 10 en téléassistance. Est-ce dû à une mauvaise communication ? « En septembre 2017, le journal du département a consacré son premier article d’une page au service, alors qu’au lancement il n’y a eu qu’un petit encart », remarque Alain Lapeyre. « Pourtant, il y a des besoins non couverts, assure la directrice de l’AIDBS, notamment pour les sorties d’hospitalisation, car c’est trop coûteux sans prise en charge PCH [prestation de compensation du handicap] ou APA [allocation personnalisée d’autonomie]. »

Sur les 17 usagers réguliers, 10 dépendent de la MDPH (maison départementale des personnes handicapées) et bénéficient de la PCH, quatre autofinancent leur prise en charge nocturne, chaque passage d’environ une demi-heure coûtant 23,66 € ; trois sont pris en charge par le pôle gérontologique et bénéficient de l’APA. « Au début, le pôle gérontologique ne considérait pas ce besoin d’être couché plus tard car ils avaient toujours fait comme ça, raconte Jennifer Ducla. C’est à force de travailler avec les infirmières qu’on a pu se faire connaître et qu’elles ont reconnu l’intérêt de ce service. »

Pour l’instant, aucun financement n’émane de l’agence régionale de santé. Pourtant, Guy Saint-Laurent, infirmier-directeur du SSIAD (service de soins infirmiers à domicile) rattaché au centre communal d’action sociale de Pau, y serait favorable. Dix patients du SSIAD sont accompagnés par la GNI et les deux services se rencontrent tous les deux mois pour se coordonner. « La GNI répond à un besoin d’accompagnement et de sécurité, mais aussi de prévention des états cutanés, des risques d’escarres…, affirme-t-il. Peut-être cela serait-il intéressant de faire intervenir la nuit un binôme aide-soignante et auxiliaire de vie. Ce serait plus ambitieux et adapté à certains besoins. Nous attendons un appel à projets dans ce sens. »

Une association ancienne qui s’est diversifiée

L’AIDBS couvre le département des Pyrénées-Atlantiques, à l’exception du Pays basque. Créée en 1943 pour assister les veuves de guerre et assurer une protection de l’enfance, elle s’est diversifiée au début des années 1990 avec la prise en charge des personnes en situation de handicap. Aujourd’hui, elle emploie 140 salarié(e)s, dont 40 technicien(ne)s de l’intervention sociale et familiale (TISF) et 84 AVS, avec un budget de 4 millions d’euros financé par une enveloppe de la CAF et une tarification à l’heure par le département. La moitié de son activité concerne la famille (soutien à parentalité, protection de l’enfance, visites accompagnées…) ; l’autre moitié concerne les personnes âgées et en situation de handicap.

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