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« Entrer dans les coulisses de l’agir professionnel »

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Le placement familial, qui opère dans plusieurs lieux et avec divers acteurs, échappe partiellement aux regards. C’est cet invisible des pratiques que David Grand, chercheur et formateur à l’IREIS (Institut régional et européen des métiers de l’intervention sociale) de la Loire, met à jour dans une recherche réalisée avec Catherine Lenzi, directrice de la recherche à l’IREIS Rhône-Alpes, et Léo Farcy-Callon, doctorant en sociologie.
Quelle méthode avez-vous utilisée ?

D’une part, des temps longs d’immersion dans les familles d’accueil et au sein des services de placement, d’autre part, des entretiens individuels et collectifs avec les différents acteurs, y compris des personnes de l’entourage des assistants familiaux. Je voudrais insister sur le premier point, c’est-à-dire l’observation sur le terrain, un peu négligée par les enquêtes dans ou sur le travail social. C’est un outil privilégié pour voir ce qui se passe effectivement, le « réel de l’activité », pour reprendre une expression de Catherine Lenzi. Grâce à l’approche ethnographique, on obtient des matériaux qu’on n’aura pas forcément en entretien : il y a beaucoup de choses dont on se rend compte parce qu’on est sur le site, alors que les personnes ne vont pas nous les livrer car elles leur semblent ordinaires, banales, anecdotiques. Je pense par exemple aux petites dispositions qui témoignent de la manière dont les assistants familiaux ouvrent leur porte pour faire de leur chez-eux un chez-soi pour l’enfant, ainsi qu’aux gestes simples ou aux nominations qui montrent comment ce dernier s’attache aux lieux et aux personnes. Une autre technique d’enquête a consisté à organiser des groupes de parole pour amener assistants familiaux, éducateurs référents, chefs de service des équipes de placement et psychologues à s’exprimer à partir de situations observées que nous leur rapportions. Quels avaient été alors les ressorts d’action mobilisés et les difficultés rencontrées ? Il s’agissait de proposer aux protagonistes de mettre en mots l’informel, la part cachée et spontanée de leurs pratiques. Nous avons ainsi pu tester et vérifier nos hypothèses, nous faire éclaircir certains points, voire ouvrir le débat sur des sujets prêtant à controverse. Cet arsenal méthodologique nous a permis d’entrer dans les coulisses de l’agir professionnel, au domicile et en institution.

Qu’y a-t-il dans ces coulisses ?

Nous avons notamment vu que le placement familial n’est pas qu’une affaire de professionnels. Au domicile et à l’extérieur de celui-ci, il y a beaucoup d’autres personnes qui viennent se greffer pour donner de la consistance au placement : les enfants, le conjoint, les parents des assistants familiaux, leurs voisins, les camarades d’école des enfants. Ces acteurs sont invisibles ; pourtant, ils constituent des ressources aussi essentielles pour le fonctionnement du dispositif que sous-estimées par les services. Du côté de ces derniers, nous avons observé comment fonctionnaient les collectifs de travail. Officiellement, on sait que l’équipe, ce sont les assistants familiaux, les référents de placement, les chefs de service et les psychologues. En réalité, il y a aussi une mini-équipe, constituée par l’assistant familial et l’éducateur référent de placement. Et c’est en son sein que les choses quotidiennes se régulent. Un référent de placement nous a dit que le domicile est le lieu qui attire le regard, c’est un peu le « front », mais qu’il y a aussi tout ce qui se passe à l’arrière. Nous avons aussi constaté de l’invisible dans cet arrière, c’est-à-dire dans le travail administratif, technique et de soutien à l’assistant familial fait par le service, qui est essentiel.

Vous insistez beaucoup sur le rôle joué par le service…

C’est-à-dire aussi sur les événements dramatiques qui peuvent se produire quand le service ne se préoccupe pas assez de l’assistant familial, que l’enfant qui lui est confié ne lui correspond pas forcément, que l’éducateur référent n’est pas là quand il y a des troubles à domicile. Nous avons énormément d’exemples qui montrent combien la régulation opérée par le service est importante. C’est particulièrement vrai lors des premiers pas d’un assistant familial dans le métier ou du premier placement pour un enfant, ainsi que pour préparer la sortie d’un jeune qui atteint sa majorité. Dans ce dernier cas, il arrive que les assistants familiaux mettent trop de pression sur l’adolescent, parce qu’ils veulent qu’il soit performant et s’en sorte au mieux. Il est alors primordial que le service intervienne pour modérer ces injonctions. Pour résumer mon propos, je dirais que l’assistant familial et le service sont indissociables. Mais si le service joue un rôle prépondérant, il ne faut pas oublier qu’à côté de ces ressources professionnelles, il y a des ressources d’ordre privé, des gens qui s’engagent dans le placement un peu comme des bénévoles – l’entourage de l’assistant familial. L’institution dans le placement familial, ce n’est pas juste le service de placement, c’est vraiment la conjonction de celui-ci avec le domicile et les solidarités privées qui s’y déploient, la façon dont tout cet ensemble s’hybride.

Quelles ont été les trajectoires des assistants familiaux rencontrés ?

Les assistants familiaux se construisent une professionnalité qui articule ce qu’ils ont pu apprendre en formation, les régulations qui se passent avec leur service, leur expérience personnelle et leur parcours professionnel antérieur. Parlons de l’expérience personnelle : il est intéressant de discuter le fait qu’elle soit une ressource. Certains enquêtés nous disaient, par exemple : « Moi, j’ai déjà élevé des enfants, par conséquent je suis compétent. » Or, cela ne suffit pas, il faut qu’il y ait eu un peu d’objectivation. Idéalement, ce travail de distanciation devrait se faire en formation, mais la formation est apparue comme quelque chose de compliqué. Par exemple, la question de l’attachement demeure très controversée. Durant leur formation obligatoire, certains assistants familiaux ont entendu dire qu’il fallait s’attacher aux enfants, tandis que d’autres formateurs leur ont affirmé le contraire. Ce qui fait que chacun a continué à faire selon ce qu’il pensait être bien. C’est là où le service est indispensable pour aider à contrer les phénomènes d’usure et le surinvestissement. Mais, du côté des services, il y a des questions organisationnelles et de moyens qui se posent, les kilomètres à parcourir par le référent qui n’en a pas forcément le temps. En outre, cette articulation avec le service n’est pas toujours souhaitée par tous les assistants familiaux. Certains ont trouvé une certaine autonomie dans leur distance avec le reste de l’équipe et c’est un fonctionnement qui leur convient. Le risque est que le domicile se replie sur lui-même et que l’assistant familial fasse un peu ce qu’il veut, pour le meilleur comme pour le pire.

Précisément, qu’en est-il de l’intégration des assistants familiaux dans les collectifs de travail ?

Le discours officiel, c’est une certaine symétrie dans les places entre tous les membres de l’équipe. Or, en réalité, on voit bien que les assistants familiaux ont une place un peu à part, notamment en ce qui concerne leur positionnement par rapport aux référents de placement. Ces derniers peuvent prendre l’ascendant sur les accueillants pour leur expliquer ce qu’il faut faire, ou être mis dans cette position de surplomb par les assistants familiaux qui leur demandent de venir régler un problème à domicile. Certains assistants familiaux disent appartenir un peu au service, mais pas tant que cela, et ils s’en accommodent très bien. D’autres, notamment parmi ceux qui sont passés en formation, revendiquent davantage d’intégration et vont bousculer le service en lui demandant d’être plus réactif.

Quels outils les assistants familiaux ont-ils pour soutenir leur professionnalisation ?

Dans les services où nous avons enquêté, l’analyse des pratiques n’est pas systématique pour les assistants familiaux. Ces derniers, en outre, n’ont pas forcément de bureaux et de temps où des régulations informelles peuvent s’opérer, comme c’est le cas pour les éducateurs. Le placement familial fait vivre affectivement des événements durs aux accueillants. Or, la régulation des émotions, les affects constituent un point un peu obscur : c’est ce dont on ne doit pas parler, ce n’est pas professionnel. Nous, nous prônons à l’inverse la sensibilité comme une ressource pour l’action. Mais dans les services, cela n’a rien d’évident. S’agissant de la professionnalisation, nous avons aussi entendu des responsables de service regretter le temps où les assistants familiaux étaient engagés à 100 %. « Maintenant, ils demandent des vacances, ils demandent de l’analyse des pratiques, ils peuvent être procéduriers… » Effectivement, mais c’est inhérent à la logique même de professionnalisation ! Les assistants familiaux gagnent en compétences, mais ils demandent aussi de la distanciation, des contre-dons, comme tous les professionnels du travail social.

Propos recueillis par Caroline Helfter

Points de repères

→ Fruit d’un appel d’offres de l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE), cette recherche, intitulée « Du domicile à l’institution. Entre professionnalité et professionnalisation : une ethnographie du placement familial », a été réalisée entre 2014 et 2016.

→ Porté par le laboratoire ESPASS (Espace scientifique et praticien en action sociale et en santé) de l’IREIS Rhône-Alpes, en partenariat avec l’Espace de recherche et de prospective santé social, ce projet a mobilisé six services de placement familial des régions Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur, implantés sur des territoires urbains, ruraux et périurbains. Tous les directeurs et responsables de ces services ont participé à l’ensemble du processus de recherche au sein du conseil scientifique et technique mis en place par les chercheurs.

→ Douze situations de familles d’accueil ont été étudiées, soit deux situations par terrain d’enquête.

→ Ce travail est consultable sur le site de l’ONPE (https://www.onpe.gouv.fr).

Contacts : grand.david@ireis.org

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