Recevoir la newsletter

Dispositifs d’accueil : vous avez dit inconditionnel ?

Article réservé aux abonnés

Pour les personnes sans domicile, en particulier celles qui souffrent d’addictions, l’inconditionnalité de l’accueil rencontre bien des obstacles. Pourtant, les pratiques évoluent, sous l’effet notamment de la montée en puissance de la réduction des risques, ont témoigné des acteurs de l’hébergement et de l’addictologie lors d’un récent colloque.

« Je me souviens de cette époque où, à l’entrée du CHRS [centre d’hébergement et de réinsertion sociale], le travailleur social me présentait l’éthylotest pour savoir si j’avais bu et si je pouvais monter dans la chambre. Parfois, même s’il faisait – 2 °C à l’extérieur, il me disait : « Tu restes dehors, le règlement, c’est pas d’alcool. » Cette pratique a disparu dans beaucoup d’endroits, mais ça existe encore », relate Jean-François Krzyzaniak. Cet ancien sans-domicile fixe est membre du groupe d’appui national « santé » de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS, nouveau nom de la FNARS). Il a témoigné lors d’un colloque organisé par cette dernière avec la Fédération Addiction, le 9 octobre à Paris, sous le thème « L’accueil inconditionnel au défi des consommations ».

« L’inconditionnalité de l’accueil est l’un des fondements du secteur de l’accompagnement et de l’hébergement, et un principe légal inscrit dans le code de l’action sociale et des familles », a rappelé Louis Gallois, le président de la FAS. Mais, sur le terrain, « le dispositif d’hébergement connaît une tension maximale sous l’effet de l’augmentation des besoins […], et cela conduit les services déconcentrés de l’Etat à imposer sur certains territoires des critères de priorisation », a-t-il rappelé. Une situation contre laquelle les associations, dont la FAS, s’élèvent régulièrement(1). Il arrive aussi que les structures d’hébergement elles-mêmes « exclu[ent] de fait des personnes atteintes d’addictions, de troubles psychiques, de pathologies chroniques… parce qu’elles peuvent troubler le collectif [voir encadré]. C’est compréhensible, mais ce n’est pas une solution », a pointé Louis Gallois.

Ces dernières années, les pratiques ont pourtant évolué. Nicole Maestracci, membre du Conseil constitutionnel(2), a cité un moment clé : l’hiver 2006-2007 et « les tentes du canal Saint-Martin » à Paris. Cet épisode a conduit les associations à reconnaître que l’inconditionnalité « n’était pas appliquée dans toutes les structures ». Depuis, la création des services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO) « a changé un peu la donne » en centralisant le traitement des demandes d’hébergement d’urgence, ce qui laisse moins de place à des critères subjectifs, a noté Jean-François Krzyzaniak. Il a souligné que, au sujet de l’alcool dans les structures, « les choses ont avancé », notamment « parce que la FNARS a travaillé avec les personnes accompagnées [et les centres] sur la rédaction des règlements intérieurs ».

Remise à plat de l’accompagnement

Le CHRS Henri-Durand de l’Armée du salut, à Louviers (Eure), a renversé ses habitudes. Jusqu’en 2011, le centre était situé dans un château à la campagne et des personnes hébergées se rendaient dans le village voisin pour « s’alcooliser massivement ». Au sein du CHRS, « une logique du “pas vu, pas pris” » prévalait. Cela allait de pair avec « beaucoup de violence verbale et physique », laissant les équipes « démotivées, impuissantes », a rapporté Françoise Lefebvre, cheffe de service. Fin 2011, le CHRS a déménagé dans la ville de Louviers. A cette occasion, « on a décidé de mettre à plat la totalité de l’accompagnement et de ne plus interdire l’entrée d’alcool. Cela a changé notre vie, assure-t-elle. Les résidents ne boivent plus n’importe où, mais plutôt dans leurs chambres. Le groupe s’est autorégulé. Il n’y a plus de violences physiques, seulement quelques violences verbales. » « Maintenant, on applique un projet collectif de réduction des risques qui implique toute l’équipe », a complété Christine Eriau, éducatrice spécialisée. « On fait attention, au quotidien, aux mises en danger. On va toquer aux portes. En cas d’inquiétude, on essaie de comprendre pourquoi il y a un problème de suralcoolisation. » Le CHRS a mis en place des dispositifs comme des groupes de parole pour aborder les addictions, ou encore la possibilité de stocker des cannettes dans des casiers individuels pour que les personnes hébergées « apprennent à canaliser leur consommation ».

Paradoxalement, ces questions se posent aussi dans le secteur de l’addictologie. « Les CSAPA [centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie] et communautés thérapeutiques peuvent être des lieux d’exclusion pour des gens qui ne rentrent pas dans des cases, y compris des cases d’abstinence » alcoolique, décrit Eric Pliez, président du SAMU social de Paris. Gilles Foucaud, directeur d’établissements du Groupe SOS à Montpellier, a présenté une expérience réussie d’autorisation de l’alcool dans le centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud) Axess, qui propose un accueil de jour autour d’un programme d’échange de seringues. « Avant 2013, on ne pouvait pas entrer dans le Caarud avec son alcool. […] Les orientations qu’on pouvait proposer, c’était des sevrages, qui se soldaient quasi systématiquement par des échecs. » L’alcool n’étant pas un produit illicite, les Caarud sont libres d’autoriser ou non sa présence et sa consommation dans leurs murs. Or, ceux qui l’acceptent sont plutôt l’exception, selon Gilles Foucaud. L’équipe d’Axess a revu son règlement à la suite de formations à la réduction des risques en alcoologie. Cela a abouti à « une baisse spectaculaire de tous les événements indésirables, violences, exclusions, etc. »

« Un sujet d’échanges »

Du temps de l’interdiction, les usagers finissaient leurs cannettes à la hâte devant le centre avant d’y rentrer. Environ une demi-heure plus tard, leurs comportements pouvaient poser problème, car « nous les empêchions de fait de réguler leur consommation ». Depuis 2013, les pratiques ont été amplement revues. Par exemple, l’équipe aide la personne accueillie à repérer sa « zone de confort : quel niveau d’alcoolisation lui permet d’être assez détendue, en interaction positive avec son entourage, et à partir de quel niveau il faut se montrer vigilant ». « Ce qui était un sujet tabou est devenu un sujet d’échanges. » Conclusion de Gilles Foucaud : « Le seul critère important, c’est celui du comportement et du “vivre ensemble”. Le produit ou les quantités n’ont aucun intérêt en eux-mêmes. »

« Plus la situation des personnes est dégradée, moins notre niveau d’exigence envers elles doit être élevé », a plaidé de son côté le président de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), Nicolas Prisse. Il a fait l’éloge du programme TAPAJ (Travail alternatif payé à la journée), qui fonctionne selon cette philosophie(3). Lancé en 2014 par la Fédération Addiction avec le soutien de la Mildeca, il propose à de jeunes consommateurs de drogues en errance de travailler quelques heures par jour, contre une rémunération immédiate, sans prérequis de qualification ni d’arrêt des consommations. Cela peut déboucher sur « une entrée progressive dans le monde du travail ». « Près de 400 jeunes sont dans le dispositif, avec de belles perspectives, par exemple un programme pour faciliter leur accès au logement », a rapporté Nicolas Prisse.

Le président de la Mildeca a aussi évoqué le projet « Un chez-soi d’abord »(4), lancé en 2011 et 2012 dans quatre villes (Lille, Marseille, Toulouse et Paris) et en cours d’extension à 16 nouveaux sites. Il permet à des sans-abri atteints de troubles psychiques sévères d’accéder à un logement ordinaire et de bénéficier d’un accompagnement médical et social. Ce programme met en œuvre « une inconditionnalité au regard de la souffrance, de la maladie mentale et de l’addiction » : hors de ces critères, il n’y a aucune obligation de traitement ni de régularité du séjour en France, a commenté Pascale Estecahandy, coordinatrice nationale du dispositif à la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL). « Il n’y a pas de critère prédictif à la capacité d’habiter » : celle-ci fait l’objet d’« un apprentissage » et il faut « sans cesse remettre sur la table de travail l’évaluation de l’autonomie acquise par les personnes ».

« Alliances » à élargir

Cela demande une grande vigilance, car « nous accueillons des personnes avec d’extrêmes difficultés de comportement », a décrit Martine Lacoste, directrice de l’association Clémence-Isaure, qui participe à « Un chez-soi d’abord » à Toulouse. « Il nous est arrivé d’appeler la police parce que des riverains étaient menacés, ou les services d’urgence parce que la personne elle-même se mettait en danger. » Parfois sans succès : « Nous, associations, nous nous sommes trouvées seules dans l’appartement. » Il faudrait donc inclure la police et les urgences « dans le tour de table territorial » des partenaires du projet, a-t-elle plaidé. La « gestion du risque collectif du maintien dans le logement » – et donc l’inconditionnalité de l’accueil – « ne peut fonctionner qu’avec une alliance de l’ensemble des acteurs », a opiné Pascale Estecahandy. D’où la nécessité, encore et encore, d’un « travail en amont » pour recueillir le point de vue des personnes accueillies. Et « beaucoup d’accompagnement et de formation » des professionnels.

La part de subjectivité de l’évaluation

« Même si, officiellement, il n’y a pas de critères légaux pour sélectionner [les personnes à l’entrée des centres d’hébergement], les travailleurs sociaux, si on les met dans une obligation de faire un tri […], vont utiliser d’autres critères, peut-être subjectifs, non mesurables », a analysé au colloque Thierry Michalot, maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université de Saint-Etienne, et auteur d’une thèse, soutenue en 2010, sur « l’évaluation par les travailleurs sociaux de la nécessité d’accueil en CHRS »(1). De ses enquêtes auprès de professionnels et d’étudiants « ressortait souvent un critère : celui de la motivation » de la personne. Les addictions étaient un autre facteur important, avec une particularité : les étudiants de première année les décrivaient comme un critère « soit positif, soit neutre pour intégrer un CHRS », alors que ceux de troisième année et les professionnels en exercice le jugeaient « négatif ». « Les professionnels ont-ils conscience de leur manière de travailler ? », a interrogé Thierry Michalot, tout en disant ne pas vouloir leur « jeter la pierre ».

Notes

(1) Voir ASH n° 3002 du 17-03-17, p. 18.

(2) Nicole Maestracci a également été présidente de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (1998-2002), puis de la FNARS (2004-2012).

(3) Voir ASH n° 2986 du 2-12-16, p. 22.

(4) Voir ASH n° 2904 du 3-04-15, p. 24, et n° 3020 du 21-07-17, p. 7.

(1) Thèse soutenue à l’université de Lyon-II. Lien abrégé : https://goo.gl/JpSFM7.

Décryptage

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur