Plus qu’un énième livre sur la crise des réfugiés, Passeur est d’abord l’histoire d’un cheminement personnel. Pas celui d’un migrant par-delà le fracas des armes, de l’océan et de la peur, celui de l’auteur, Raphaël Krafft. Reporter radio, ancien capitaine de réserve de la Légion étrangère, engagé dans la mise en place d’une radio communautaire en Afghanistan, grand voyageur, Raphaël Krafft s’était lancé dans une série d’enquêtes sur les réfugiés bloqués à la frontière franco-italienne des Alpes-Maritimes ?(1). Puis, de discussions avec des militants en reportages sur les campements de La Chapelle, de rencontres avec des familles démunies de tout en observation d’opérations policières, le journaliste a fini par ressentir « du déshonneur et de la honte ». Sollicité par un père de famille kurde qui le suppliait de faire passer la frontière à ses proches dans le coffre de la voiture, Raphaël Krafft s’était « retranché » derrière des considérations techniques et son statut de simple observateur. Avant de se sentir submergé par le dégoût de sa propre lâcheté : « Qui suis-je pour avoir dit non ? » Avec l’aide d’un ami berger devenu aubergiste d’altitude, il décide d’aider deux candidats à l’asile à pénétrer en France par la montagne. Il devient un passeur. Marchant délibérément dans les pas des marcheurs de Saint-Jacques, des porteurs de sel et des contrebandiers, mais aussi des antifascistes italiens et des juifs d’Europe de l’Est fuyant les pogroms. « Ce n’est pas un défi, comme nous autres voyageurs européens nous fixons parfois par-delà les mers, les montagnes et les déserts. C’est une nécessité vitale », écrit-il. Son récit est d’abord celui d’une immense déception. « Presque chauvin » au début de son périple, Raphaël Krafft n’a pu que constater le « mensonge » de la France terre de libertés, tant l’Etat y a « érigé en doctrine le mépris du droit et de l’hospitalité ». Dans ce cas de figure, estime-t-il, « désobéir est la plus juste des façons d’agir ».
Passeur
Raphaël Krafft – Ed. Buchet Chastel – 14 €