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La vie sexuelle devant soi

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Le président fondateur du Crédavis(1) réagit au numéro juridique des ASH paru en septembre 2017 sur « La vie sexuelle et affective en établissement et service social et médico-social ». Les réflexions de ce professionnel, dont le centre a, en dix ans, « contribué à la formation de plus de 1 300 professionnels dans une cinquantaine d’établissements sur ce thème », sont cosignées par Gaëlle Reynaud, présidente d’honneur du Crédavis, et Lenaig Péron, sa responsable de formation.

« Les mots sont supposés avoir un sens. La reprise systématique de l’expression “vie affective et sexuelle” dans toutes les publications, formations et autres rencontres me pousse à m’interroger sur la capacité de nos semblables à en saisir l’incidence. Au départ, cette terminologie a été imposée dans les années 1990 par l’Education nationale pour ses programmes “obligatoires” (on sait ce qu’il en est) d’éducation à la sexualité. Tout le secteur médico-social l’a reprise telle quelle, comme si elle était devenue une “marque déposée”, sans se poser la moindre question, comme il le fait d’habitude avec des termes venus d’autres disciplines, comme empowerment. Pour Marcela Iacub et Patrice Maniglier, relier ces deux termes, “affectif” et “sexuel”, conduit à faire de la sexualité une “chose dramatique et obscure, voire quelque chose qui n’est vraiment bon que dans la mesure où elle est associée à l’affectivité” (Antimanuel d’éducation sexuelle, Ed. Bréal, 2005). En effet, la vie affective, c’est toute la vie ! Avec ses parents, ses frères et sœurs, sa famille, ses copains, ses voisins, ses animaux de compagnie, il n’y a pas de relations sans affect. On peut même aller plus loin, puisque nombre de nos concitoyens portent aux objets qu’ils possèdent ou à leur maison une “affection” toute particulière. Lier “affectivité” et “sexualité” par cette conjonction de coordination (tout est dit) pourrait même être suspect, comme s’il s’agissait de “mettre du sexe partout”, même là où il n’y en a pas. Que l’on pense au curé des années 1950 qui, en projetant des films le jeudi à ses chères têtes blondes, mettait son chapeau entre le projecteur 8 mm et l’écran à chaque fois que les personnages s’embrassaient…

Il y a fort à parier que, sous la pression de groupes bien-pensants, on ne puisse pas raisonnablement parler de sexe sans le couler dans la bienheureuse et respectable affectivité. Invité récemment à un comité de pilotage du réseau de santé de l’Est parisien, j’ajoutai à cette remarque que le Crédavis a depuis longtemps remplacé “vie affective et sexuelle” – que d’aucuns raccourcissent par l’acronyme “VAS” (qu’on prononce “vase” !) – par “vie amoureuse, sexuelle et intime” (“VASI” !). L’intimité est ce qui rend possible la vie sexuelle. Or, dans nos structures, elle est quasi inexistante, sauf si l’on se cache dans les toilettes, le sous-sol ou le parking. Que la plupart des résidents des structures médico-sociales ne puissent librement recevoir dans leur chambre, pour la nuit, une personne de leur choix montre que toute bonne intention de réflexion ou d’éducation à la sexualité est une vaste blague ! Qu’on ajoute à cela que les lits font 90 cm de large et l’on aura compris que des personnes majeures sont, de fait, considérées comme des enfants. Et qui dit “enfant” dit “pas de sexe”.

Retour du refoulé

Il y a dix ans, quand le Crédavis est né, personne ne parlait de sexualité. On demandait même aux futurs éducateurs qui voulaient l’aborder dans leur mémoire de s’abstenir. Aujourd’hui, en France, il n’y a pas un mois sans forums, colloques, tables rondes, formations, écrits, articles sur cette question. Pourquoi ? Nous avons bien une petite idée : le retour du refoulé. Mais il ne s’agit pas du refoulé qu’on croit. La méthodologie mise en place par le Crédavis dans ses formations consacre deux jours sur quatre à la confrontation des professionnels avec leurs représentations individuelles et collectives de la sexualité. A quelques exceptions près, on constate la pauvreté, la rigidité (sans allusions) et l’ignorance de chacun sur ce sujet. Sans parler des 98 % de participants qui, en 2017, ne savent toujours pas ce qu’est un clitoris ! On pourrait se dire que, une fois de plus, les ressources financières allouées à la formation continue dans le but d’améliorer l’accompagnement des bénéficiaires sont détournées, consciemment ou pas, au profit des professionnels pour combler leur ignorance.

Nous souscrivons à l’idée que le « vivre ensemble » découle de la connaissance et de l’acceptation du socle commun des droits, devoirs et interdits que pose la loi. Là encore, notre expérience montre que 95 % des professionnels ignorent ce que veut dire “majorité sexuelle” – une expression qui n’a en fait rien de juridique, comme l’explique ce « numéro juridique » des ASH –, alors même qu’ils sont souvent amenés à travailler avec des jeunes. Si le droit est un socle indispensable, il ne faut pas omettre ce qui n’en relève pas. La loi vient dire ce que la société réprouve quand on sort des cadres qu’elle impose. Elle n’est pas là pour les victimes, elle est là pour punir les coupables. Or, les délits et crimes sexuels constituent la première cause d’incarcération en France.

Prenons le fameux consentement. À la page 90 du « numéro juridique » des ASH figure cette injonction aux personnes handicapées : « Nous devons toujours vérifier que notre partenaire est d’accord pour faire des choses sexuelles. » C’est le leitmotiv d’un certain féminisme qui voudrait voir les rapports humains sous le seul angle de la contractualisation, en ajoutant l’a priori de l’incapacité des femmes à ne pas se soumettre au désir masculin. Mais comment est-il possible d’exiger de personnes vulnérables – sur les plans physique, sensoriel, intellectuel, neurologique ou social – ce que personne ne fait dans la vie commune ? C’est même aller à l’encontre du jeu amoureux : “Je voudrais bien, mais je ne sais pas si l’autre veut, ni quand, ni comment, ni pourquoi, ni jusqu’où.” Devrions-nous rêver d’une application pour smartphone qui demanderait aux “amoureux” de valider chaque étape de leur activité sexuelle – un sourire, un rendez-vous, un texto, une caresse sur le bras, un baiser sur le front, sur les lèvres, avec la langue, une main dans le corsage ou le slip, une caresse sur les seins, sur les fesses, un déshabillage complet, un cunnilingus, une fellation, une pénétration vaginale, une sodomie, une paire de menottes, un gang bang – et en informerait automatiquement la préfecture de police ? Chaque lecteur de cet article a, au moins une fois dans sa vie, accepté une relation sexuelle dont il n’avait pas vraiment envie, par exemple pour avoir la paix (contrairement à ce qu’on croit, beaucoup d’hommes reçoivent des demandes qu’ils n’ont pas envie de satisfaire) ; cette relation a pu évoluer vers un fiasco, ou vers le désir et le plaisir… Et nous voudrions que des personnes en situation de handicap, qui ont si longtemps été soustraites à la vie commune, acquièrent une capacité de discernement supérieure ? Arrêtons de nous délecter de pensées politiquement correctes : le désir est la chose la plus insaisissable, la plus incompréhensible, la plus subversive qui soit.

Se faire respecter

La question qui devrait être abordée par tous dès le plus jeune âge n’est pas celle du consentement, mais celle de la capacité, de la force, de la volonté de dire “non”, de se faire entendre, comprendre et respecter ! Et pas seulement pour la chose sexuelle. Que faire si on me dit que je ne dois pas accepter ce que je ne veux pas mais que je dois aller me coucher à 22 heures, alors que je suis adulte ? que je suis obligé de prendre ma douche tous les jours même quand je n’en ai pas envie ? Et que faire quand un prédateur abuse de la vulnérabilité d’un membre de sa famille en situation de handicap ? Répéter qu’il faut savoir dire “non” ? Si la loi garantit le bien-être de tous, pourquoi, aujourd’hui en France, 80 % des 270 000 viols annuels estimés ont-ils pour victimes des mineurs (dont 86 % de femmes)(2) ? Et pourquoi sont-ils le fait, le plus souvent, d’un membre ou d’un proche de la famille ? Que penser de l’assertion de certains anthropologues et psychanalystes qui fait du tabou de l’inceste un élément constitutif de notre humanité quand on sait que chez les primates ce tabou est parfaitement respecté (et pas avec des méthodes à la Dolto, comme dirait Pascal Picq), alors que les humains, depuis la nuit des temps, ne cessent de passer outre ? Que fait-on en face d’adolescents tétraplégiques incapables de se gratter – donc a fortiori de se masturber – et qui, comme tous les ados soumis à la double pression de leurs hormones et de la sexualisation de l’espace public, finissent par “péter un câble” ? On les envoie chez le psy. Que va nous dire la loi si, par empathie, nous leur proposons de leur placer, qui dans le vagin, qui autour de la verge, un sextoy adapté choisi après en avoir testé plusieurs avec l’aide d’un accompagnant et que l’on peut commander avec un joystick ?

La loi du 13 avril 2016 interdit de recourir aux services d’une personne qui se livre à la prostitution (y compris les assistants sexuels). Mais elle n’interdit pas d’emmener des résidents au “bordel” dans un pays frontalier. Quand on a pris le temps d’écouter les témoignages de personnes handicapées et d’assistants sexuels sur les bienfaits de leurs rencontres, même tarifées, on peut être prêt à ne pas respecter la loi. Cela s’appelle l’éthique. Si chacun s’interroge honnêtement, il verra qu’il utilise la loi quand elle est au service de sa morale et qu’il la refuse si elle va à son encontre. La première chose que devraient faire les équipes (et donc les directions), ce n’est pas de “mettre en place des questionnaires, des actions, des projets, des évaluations…”, ni de s’arroger le droit et le pouvoir de s’immiscer dans la vie intime et sexuelle des résidents, mais de reconnaître tout ce que l’institution et les professionnels ont mis en place ou en œuvre pour restreindre les droits des personnes en ce qui concerne la sexualité. C’est pourquoi le Crédavis, dont la devise est “nul ne peut l’exiger, mais nul n’a le droit de l’empêcher”, organise le festival “Ma sexualité n’est pas un handicap”(3), qui promeut l’“inclusion inversée” : ce sont des personnes en situation de handicap qui animent conférences et ateliers sur la sexualité à destination du grand public. »

Notes

(1) Centre de recherche et d’étude pour le droit et l’accès à la vie amoureuse et sexuelle dans le secteur médico-social.

(2) Chiffres tirés des premiers résultats de l’enquête Virage menée par l’Institut national d’études démographiques (INED) sur les viols et agressions sexuelles en France en 2016.

(3) Prochaine édition les 28, 29 et 30 juin 2018 au Centquatre – 5, rue Curial – 75019 Paris. Voir « Ma sexualité n’est pas un handicap » sur Facebook et www.credavis.fr.

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