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« Adapter les savoirs professionnels à la société numérique »

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L’institut régional du travail social (IRTS) PACA (Provence-Alpes-Côte d’Azur) et Corse va ouvrir à Marseille un « socialab », pour renforcer le pouvoir d’agir numérique des personnes fragilisées et concevoir de nouveaux prototypes d’ingénierie pédagogique à destination des écoles en travail social. François Sentis, directeur général de cet IRTS, explique le projet.
Comment votre établissement se retrouve-t-il porteur d’un projet de socialab centré sur les pratiques numériques des publics en difficulté ?

Cela fait plusieurs années que l’IRTS PACA et Corse collabore pour la formation des étudiants en travail social avec l’association Urban Prod, à Marseille, qui accompagne des personnes en difficulté sociale ou psychique à des usages inclusifs du numérique. Ce partenariat est venu d’un constat : la fracture numérique, dont on nous parle depuis les années 1990, s’est plutôt résorbée et fait place désormais à une fracture des usages, en particulier pour les personnes les plus fragiles socialement. Le socialab incarne une volonté de dépasser les liens qui existaient déjà entre formateurs, enseignants de l’IRTS et acteurs d’Urban Prod, avec l’idée de construire un lieu d’expérimentation de la capacitation [prise en charge de l’individu par lui-même] numérique. Ce travail est nécessaire pour rendre les personnes autonomes dans leurs choix d’usages professionnels, culturels et sociaux des outils numériques. L’objet du socialab est donc de créer un « tiers lieu » au sein duquel des personnes accompagnées dans des dispositifs sociaux pourront réfléchir à des pratiques numériques plus élaborées, aux côtés d’acteurs qui n’ont pas nécessairement l’habitude de travailler ensemble : étudiants, travailleurs sociaux, chercheurs, formateurs, enseignants, financeurs de la formation ou citoyens qui souhaitent s’engager dans une réflexion sociale. Avec l’enjeu fort d’adapter les savoirs professionnels des futurs travailleurs sociaux à cette société entrée dans un régime numérique.

Comment cette réflexion croisée va-t-elle s’organiser ?

Les derniers « états généraux du travail social » ont souligné la nécessité de mieux impliquer les usagers des dispositifs sociaux dans les dispositifs de formation. Notre crainte, au départ de ce projet, était qu’en invitant des usagers, on n’aboutisse qu’à des artefacts de participation en raison du poids de leur institutionnalisation. Il s’agissait donc de leur permettre d’aborder les problèmes auxquels ils sont confrontés en les plaçant dans un processus de déconstruction institutionnelle. D’où la forme que prend le socialab, avec, d’un côté, un espace social dématérialisé ouvert sur les réseaux sociaux, et de l’autre un espace physique. Pourquoi ces deux facettes ? Parce que sur les réseaux sociaux, la personne se présente comme elle l’entend, et que l’on peut mobiliser des acteurs très divers hors du cadre institutionnel dans lequel ils œuvrent habituellement. Ainsi, il devient possible de sensibiliser les internautes à des priorités, telles que la santé mentale ou l’éducation, et de les faire interagir sans notion de hiérarchie. Si la mobilisation des acteurs passe par le numérique, les travaux s’effectuent dans un espace physique où les gens se rencontrent et travaillent autour de « groupes projets ».

Comme cette structure s’inscrit dans une dynamique de type « bottom-up » [du bas vers le haut], il est parfaitement imaginable qu’une personne concernée par des problèmes de santé mentale conduise un « groupe projet » sur cette thématique. Les acteurs auront pour seule obligation d’assurer une production, mais resteront libres de son orientation. Celle-ci pourra être culturelle, prendre la forme d’un MOOC [ « massive open online course », c’est-à-dire une formation en ligne ouverte à tous], d’un film, d’un serious game [jeu pédagogique], en fonction des moyens mobilisables. Une fois que le groupe aura produit, l’essaimage et la valorisation des productions reviendront dans l’espace numérique.

Le cadre informel des réseaux sociaux est-il compatible avec un objectif de recherche en travail social ?

Pour nous, les réseaux sociaux constituent des espaces sociaux à part entière. Ils témoignent d’un lien social, certes différent du lien social ordinaire, mais dont la dimension horizontale en fait un espace d’innovation sur le plan de la communication dans les organisations. C’est pourquoi ils sont parfaitement éligibles au travail social en tant qu’objets scientifiques, en particulier du fait de leur capacité à favoriser la création de nouveaux modes de travail collaboratif. C’est aussi ce qui les rend indispensables dans une visée de déconstruction des rapports institutionnels.

Ensuite, la question de la recherche réside précisément dans le besoin de penser différemment et de reformaliser les enjeux épistémologiques autour de la dématérialisation de cet espace social. D’où la nécessité de doter le socialab d’une organisation par projets. Ceux-ci peuvent être de tailles variables, avec des ressources et des moyens divers, mais tous répondent à une préoccupation managériale d’ouvrir des chantiers selon une ligne politique et scientifique à développer.

Ce fonctionnement oblige les équipes et les individus à trouver des modalités de collaboration plus agiles, plus distribuées, dans lesquelles des rôles sont identifiés et mis en œuvre. Il s’agit d’installer une dynamique de réflexion partagée qui vise à recenser, questionner et repenser les utilisations inclusives des outils numériques. Dans la prévention spécialisée, par exemple, les réseaux sociaux sont devenus un moyen de communiquer avec un jeune hors de l’emprise de son quartier. Nous nous situons dans une démarche de recherche-action-formation qui a pour finalité de poser du sens.

Que produira le socialab ? Des solutions, de la méthodologie ?

Nous tenons plutôt à la notion de prototypes. L’IRTS est un organisme qui forme des travailleurs sociaux, donc il s’agit de concevoir de nouveaux contenus d’ingénierie pédagogique et de nouveaux outils de formation en fonction des besoins des formateurs. Le partenariat avec Urban Prod, qui développe des méthodes de capacitation des individus avec une équipe dotée de compétences techniques, artistiques, sociales, journalistiques, va venir bouger la posture du formateur en lui fournissant des ressources auxquelles il n’avait pas accès. Il est ainsi envisageable d’aboutir à des outils tournés vers le grand public. Le conseil départemental des Bouches-du-Rhône se montre très intéressé par cette démarche, car il voit dans les réponses qui sortiront du socialab un moyen d’établir de nouveaux liens avec la population vulnérable, tout autant que d’adapter les dispositifs sociaux à ces personnes malgré les effets de la dématérialisation des services.

Quel impact peut avoir cette structure sur la formation des travailleurs sociaux ?

Sur le plan humain, nous attendons déjà une transformation en profondeur du rapport des futurs travailleurs sociaux et des formateurs aux personnes. Sur le plan de l’organisation, les pédagogies de la capacitation nécessitent la mise en place d’espaces de formation permettant des accès différenciés à la pyramide classique des savoirs – depuis les savoirs institués jusqu’aux savoirs expérientiels. Les organisations de la formation vont être impactées par ces transformations, au sein des équipes pédagogiques, de l’encadrement, de la relation à l’écosystème de formation (stage, emploi…). Comment ? Jusqu’où ? A cet égard, le socialab constitue en lui-même un objet de recherche appliquée.

Quel est votre calendrier ?

Nous préparons l’ouverture du socialab depuis près d’un an en déployant auprès de l’ensemble des collaborateurs de l’IRTS un cycle d’accompagnement aux cultures et aux usages numériques. Chaque pôle d’activité de l’institut [petite enfance, intervention sociale, éducation spécialisée, encadrement, dépendance] dispose d’un référent socialab qui va mobiliser les étudiants désireux de s’impliquer dans la démarche. Enfin, un « groupe projet » travaillera à imaginer l’IRTS numérique de demain. Le socialab devrait être inauguré en fin d’année, en plein quartier prioritaire du centre-ville de Marseille. Ce sera un lieu ouvert sur la cité, susceptible de proposer des ateliers à destination des publics, y compris en soirée, grâce au brassage entre techniciens, travailleurs sociaux et formateurs. Nous souhaitons que cet espace soit d’une grande plasticité institutionnelle, pour s’adapter à toutes les problématiques sociales et de santé mentale. L’idée est de travailler rapidement sur de premiers dispositifs concrets, comme de nouvelles manières de former, puis de prendre un peu de temps pour déployer la seconde étape, c’est-à-dire la construction d’un véritable tiers lieu dans lequel les dimensions d’insertion sociale et professionnelle seront croisées avec le numérique.

Propos recueillis par Michel Paquet

Points de repères

→ Partenaire du projet, l’association marseillaise Urban Prod, fondée en 1998, se réclame du champ des « humanités numériques », autrement dit d’un « domaine de recherche, d’enseignement et d’ingénierie à la croisée des arts, de l’informatique et des sciences humaines ».

→ Forte d’une cinquantaine de professionnels (éducateurs, médiateurs, artistes…), elle s’est fixée l’objectif de développer les usages numériques citoyens. Elle intervient notamment auprès des jeunes afin de favoriser leur insertion grâce aux outils numériques. Dans ce cadre, elle pilote des projets participatifs réalisés avec les centres pénitentiaires, les missions locales, les centres sociaux (ateliers de réalisation de films, reportages).

→ Présente aussi dans le domaine de la formation, Urban Prod propose aux professionnels du social des cycles de formation aux outils numériques. Depuis 2016, elle développe avec le soutien du conseil régional PACA une formation diplômante au métier de médiateur numérique (Bac + 2).

Contact : contact@urbanprod.net

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