« Visiter et accompagner des personnes âgées isolées », « rendre autonomes les usagers éloignés du numérique dans leurs démarches d’accès aux droits socio-administratifs » ou encore « aide à l’accueil, à l’information et à l’orientation des usagers de l’Office français de l’immigration et de l’intégration ». Le point commun entre ces annonces est de répondre, en théorie, à un double objectif fixé par la loi du 10 mars 2010 qui a créé le service civique(1) : « Renforcer la cohésion nationale et la mixité sociale ». Le dispositif est destiné aux 16-25 ans (jusqu’à 30 ans pour les personnes en situation de handicap) et est fondé, pour l’heure, sur le volontariat, qui leur offre « l’opportunité de servir les valeurs de la République et de s’engager en faveur d’un projet collectif en effectuant une mission d’intérêt général ».
La même lecture de ces petites annonces(2) suscite, presque immédiatement, différentes questions qui résonnent avec des problématiques bien connues des travailleurs sociaux : des non-professionnels dans une relation d’aide auprès de publics fragiles… Mais avec quels repères ? En première ligne auprès de migrants dans une situation d’extrême précarité. Avec quelles réponses ? La fragilité des publics du travail social fait que, dans ce secteur plus qu’ailleurs, le réflexion sur la définition des missions apparaît essentielle. Le volontaire doit remplir une action complémentaire de celle des salariés, des stagiaires et des bénévoles, sans s’y substituer, et qui doit à la fois lui permettre de gagner en compétences et de prendre le temps de réfléchir à son avenir, « tant citoyen que professionnel », souligne en outre l’Agence du service civique (ASC)(3). Aux structures qui accueillent revient d’imaginer ce nouveau cadre d’engagement et cette place inédite, tout en relevant le défi d’épauler des jeunes dont certains sont en rupture – le service civique ayant pour vocation de s’adresser à tous. Elsa Hajman et Sophia d’Oliveira Rouxel, chargées de mission « service civique » à la Fédération des acteurs de la solidarité, qui dispose d’un agrément collectif pour ses adhérents, confirment : « Le point principal de vigilance, c’est d’être dans la complémentarité » au moment de définir le contenu de l’intervention.
La fédération a élaboré, avec les structures, 13 fiches de référence qui correspondent à la fois aux propositions du terrain et aux critères de l’agence. Le temps de présence du volontaire a été fixé au minimum, soit 24 heures hebdomadaires, afin de lui permettre de travailler son projet personnel et de le distinguer des autres intervenants.
Après un lancement tambour battant, la Croix-Rouge française a ralenti le rythme d’intégration de nouveaux volontaires (425 volontaires en 2016, là où le double avait été envisagé) et a pris le temps de revoir le contenu de leurs missions. « Nous avons mis en place avec d’autres acteurs du service civique, comme la Ligue de l’enseignement, une “plateforme du service civique associatif” (aujourd’hui dissoute) afin d’échanger sur nos expériences réciproques », précise Pierre Catalan, responsable du volontariat dans cette association, et pour viser « davantage la qualité qu’un volume d’intégrations ». Les structures disposent ainsi d’un catalogue de fiches précisant ce qu’un volontaire peut faire ou ne pas faire, ou alors exceptionnellement. « Concrètement, la formation aux gestes de premiers secours, c’est évidemment “non”, mais la sensibilisation à la formation, c’est “oui” », précise le responsable. Dans ce bornage des missions, les grosses structures qui disposent d’un service de ressources humaines sont plus en pointe, comme le souligne Jérôme Bouron, directeur des ressources humaines du Groupe SOS (200 volontaires en 2016, sur un rythme croissant).
L’ASC a la possibilité de procéder à un contrôle du contenu des missions à deux occasions distinctes : au moment de l’agrément de la structure et de son renouvellement, puis au moment de la publication de l’offre de mission. « Nous avons une discussion très poussée avec l’agence lors du renouvellement de notre agrément et si nous nous interrogeons, nous avons des interlocuteurs réactifs », témoigne Natacha Italique, cheffe de projets « ressources humaines » au Groupe SOS. Dans ce cadre, précise Jérôme Bouron, la loi de 2010, qui énonce « clairement » l’esprit du service civique tout comme le statut du volontaire, permet de trancher. Anaïs Sautier, responsable de mission « jeunesse-solidarités » à Emmaüs France (environ 90 volontaires), partage cet avis : « Du fait de l’organisation interne de nos structures, il n’est pas toujours facile de fixer la ligne de démarcation entre emploi, stage et service civique, alors nous nous en référons à la loi. Pour moi, un volontaire qui distribue des tracts avec un de nos compagnons, une mission assimilée par l’agence à de la communication et qu’en principe elle refuse, ce n’est pas pareil que de gérer le back-office d’un site Internet ! Alors nous dialoguons. » Pour Elsa Robic, cheffe de service d’un centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) géré par Coallia, « à la fin, le curseur, c’est notre public. Il ne faut pas que le jeune soit “retourné” par les situations qu’il aborde et notre public a besoin d’avoir face à lui des personnes solides. »
Malgré ces précautions, la tentation d’une aide motivée et « pas chère » – l’indemnité mensuelle de 472,97 € est assurée par l’Etat ; la structure ajoute environ 100 € en frais ou en nature et supporte le coût du tutorat – existe, quel que soit le secteur. Des abus ont régulièrement été dénoncés par des volontaires eux-mêmes(4). L’ASC explique qu’elle retire régulièrement des annonces de son site. En se rapprochant du terrain, on constate que des recrues sont placées dans une zone grise, à la frontière de la légalité, souvent en raison de la réduction des moyens imposée au secteur social. Le témoignage de Claire P., directrice d’une maison d’enfants à caractère social (MECS), permet de comprendre le mécanisme du détournement du dispositif : « Une jeune fille, que nous connaissions déjà à la suite d’un stage en secrétariat, nous a fait savoir qu’elle souhaitait revenir dans l’établissement, car elle s’interrogeait sur son orientation vers le travail social. Nous lui avons parlé du service civique, elle s’est montrée emballée. Une de mes éducatrices partait en congé maternité. J’ai positionné la volontaire sur son remplacement. Je n’étais pas à l’aise avec cette situation, mais nous avons du mal à trouver des remplaçants et nous avions un très bon feeling de départ avec cette personne. Ce n’aurait pas été elle, je n’aurais peut-être pas fait le même choix, et notre motivation n’était pas de faire des économies. » Dans les faits, une jeune fille sans formation a bien rempli l’emploi d’un professionnel.
Pour Mathilde Pette, sociologue, maîtresse de conférences à l’université de Perpignan, spécialiste de la question de l’engagement, « le service civique est un cas d’école de la confusion entre engagement et travail salarié, la problématique est même au cœur de ce dispositif ». A l’occasion d’un terrain d’enquête, voilà deux ans, auprès de structures du Calaisis venant en aide aux migrants, la sociologue a rencontré « des jeunes en service civique surdiplômés, travaillant dans des conditions très difficiles », recrutés par des associations qui ont recours au dispositif car « elles se mettent en danger pour maintenir leur activité face à un public très en demande ». Des associations « pas à l’aise avec cette situation », note la spécialiste, et « qui la vivent comme un dilemme permanent, étant le plus souvent attachées à la défense du droit du travail ». Et d’ajouter : « Le secteur associatif survit, le service civique est une aubaine, comme pour les collectivités territoriales qui subissent des coupes budgétaires. » Albin Martin, coordinateur à l’association Une famille Un toit 44 (Loire-Atlantique), en témoigne : « Il n’est pas rare que lors de la phase de négociation pour un marché public, on nous demande de façon pressante de “faire un effort” sur le coût de nos moyens humains engagés. »
Des constats qui ne sont pas sans conséquence sur la structure d’emplois des organismes d’accueil. « Le service civique est devenu une opportunité d’ouvrir la porte de l’emploi pour de jeunes diplômés qui se présentent sur un marché où il y a peu d’embauches, ce qui, d’ailleurs, les pousse à accepter de travailler dans des conditions difficiles », analyse Mathilde Pette. Benjamin Pierron, chargé de l’appui au réseau à la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France (FCSF, agrément collectif de 40 services civiques pour 1 200 centres sociaux), remarque, « sans jugement », que les motivations des jeunes sont souvent « loin de l’engagement pour la nation », et davantage de saisir une occasion de se stabiliser quelques mois avec une sécurité financière, même modeste. Ou alors d’aborder cette occasion « comme un stage », témoigne Fiona Fosse, à Coallia, « ce qui crée de la confusion ». Benjamin Pierron conseille de « ne pas faire de dogmatisme ni de se voiler la face et plutôt d’essayer de comprendre précisément pourquoi les jeunes se portent candidats ».
La Croix-Rouge française a entrepris de sonder précisément ses volontaires sur leurs motivations et leur ressenti à travers une enquête (environ 800 sondés) réalisée avant, pendant et après leur mission. Il en ressort que les jeunes s’engagent en premier lieu pour « développer leurs compétences », puis pour « se poser et être entouré », enfin pour « être utile ». La Croix-Rouge s’est adaptée à cette réalité en développant l’offre de formations internes ouvertes aux volontaires et en donnant un style « plus coaching » à son management des ressources humaines, précise Pierre Catalan. « Comme les volontaires semblaient frustrés par rapport au sentiment d’utilité, nous avons instauré des temps de synthèse et d’échanges sur la notion d’engagement », ajoute-t-il. L’Agence du service civique semble être, elle aussi, dans une dynamique de révision des objectifs du dispositif. Son président, Yannick Blanc, explique que, « pour répondre à l’attente des jeunes », il entend « positionner davantage le service civique comme un temps d’orientation professionnelle avec une augmentation des temps de formation », tout en soulignant qu’il convient de rappeler aux jeunes les principes du dispositif quand, d’eux-mêmes, ils « tentent de déraper vers une forme d’emploi ».
Bien que posté sur une mission dite « complémentaire », le volontaire intègre l’équipe de la structure, tout d’abord par le biais de son tuteur. Depuis la loi « Egalité et citoyenneté » du 27 janvier 2017, la formation de ce dernier est devenue obligatoire. « Par rapport à un stagiaire en travail social, dont le projet professionnel est déjà défini, le volontaire demande davantage de temps et de proximité dans la relation. Le tuteur est dans un rôle de conseil face à un jeune qui se cherche », estime, de par sa propre expérience, Hervé Rozec, directeur du centre social Les Amarres, à Brest. D’autant plus si la structure accueille des volontaires en situation de rupture scolaire ou sociale, comme le fait ce centre social, qui travaille dans ce but avec une mission locale. « Pour un de nos volontaires, il fallait déjà lui redonner l’envie de se lever tous les matins », précise Hervé Rozec. En plus du tutorat, les structures ont l’obligation d’assurer à leurs recrues une « formation civique et citoyenne »(5).
L’intégration d’un volontaire peut susciter des réticences. Mais, en dépit des efforts d’encadrement demandés à des équipes qui manquent souvent de temps, les professionnels l’affirment : son arrivée est, en général, « une bouffée d’air frais ». Benjamin Pierron (FCSF) remarque que « les volontaires n’étant pas rompus au travail social, ils représentent une occasion de réinterroger les pratiques ». « La présence du volontaire permet aux professionnels d’être dans la transmission », se félicite Elsa Robic (Coallia). Sans oublier que l’investissement du volontaire est, en toute logique, bénéfique au public comme à la structure. « Leur présence change totalement l’ambiance de la salle d’attente de nos plateformes d’accueil des migrants et l’entretien face au travailleur social se déroule mieux », constate Fiona Fosse, conseillère technique à la direction de l’hébergement et du logement accompagné à Coallia. Nathalie Joussaume, attachée de direction à l’association Saint-Benoît Labre 44 (ASBL 44, Loire-Atlantique, une dizaine de services civiques), se félicite, elle aussi, de la présence des volontaires : « Les journées peuvent être longues dans nos centres d’hébergement. Grâce à eux, on peut proposer des sorties, des ateliers… Ça fuse ! »
Coallia, le Groupe SOS ou encore Emmaüs France ont déjà recruté d’anciens volontaires dont ils étaient particulièrement satisfaits. Coallia propose ainsi des CDD à des services civiques pour assurer le fort taux de rotation de ses professionnels sur les plateformes d’accueil de demandeurs d’asile (PADA), « où le travail est usant, ce qui entraîne une demande de mobilité élevée », explique Fiona Fosse.
En général, le recrutement semble relever du cas par cas, tout d’abord parce que les structures sont sollicitées par les jeunes diplômés qui sortent d’école en travail social ou tentent, quand l’occasion se présente, de stabiliser leurs propres salariés en situation de précarité et aussi parce que les services civiques ne se destinent pas tous à faire carrière dans le social. Selon les témoignages des structures, ils représenteraient de un tiers à la moitié des volontaires. « Nous recevons des candidatures très éloignées de notre secteur et aussi celles qui sont de véritables bouteilles à la mer, émanant de jeunes visiblement perdus », témoigne Elsa Robic. La Fédération des acteurs des solidarités incite ses adhérents « à recevoir tous les candidats, à nouer des partenariats avec les missions locales et les maisons de quartier afin de toucher tous les jeunes », souligne Elsa Hajman. D’ailleurs, des acteurs font entrer leurs propres publics, fragiles, dans le dispositif, comme à la fondation Apprentis d’Auteuil, qui « place des jeunes chez [ses] proches partenaires dont le Secours catholique », explique Audrey Legoupil, responsable du bénévolat et du volontariat. Les structures assurent retenir les candidats sur leur motivation et leur compréhension de l’engagement bien plus que sur leurs diplômes. Un positionnement qui vient probablement réduire les chances d’intégration pérenne mais aussi les risques de confusion entre mission et emploi.
En 2016, 92 000 jeunes ont effectué un service civique dans un des 9 230 organismes agréés(1). Les deux tiers (65 %) ont travaillé dans une association, une union ou une fédération. Pour rappel, l’objectif du « service civique universel » annoncé par le président François Hollande début 2015 était d’accueillir 350 000 volontaires par an, soit la moitié d’une classe d’âge. Sur les 92 000 volontaires de 2016, 26 000 se sont engagés dans le « secteur des solidarités » – selon la terminologie choisie par l’Agence du service civique (ASC) –, qui mêle social et sanitaire et s’impose comme le premier recruteur (28 %). Le président de l’agence, Yannick Blanc, estime que ce secteur est celui « qui conjugue le mieux la dimension d’engagement et la dimension d’expérience professionnelle », ce qui expliquerait sa prédominance. Dans une perspective de montée en charge, trois secteurs sont identifiés par l’ASC comme « porteurs de forts viviers de développement » : le médico-social, le sanitaire et les collectivités – ces dernières ne représentent encore que 6 % des structures d’accueil. Pour le secteur sanitaire, l’agence s’appuie sur un récent rapprochement avec les agences régionales de santé (ARS). Pour le secteur social, elle suit un programme lancé en 2015 avec le ministère des Affaires sociales et articulé autour de trois thèmes : « la famille et les personnes âgées », « le handicap et la lutte contre les exclusions » et « les droits des femmes ». 24 fédérations et associations nationales étaient signataires de ce dispositif en 2015.
Toutes missions confondues, le volontaire type est tout d’abord une volontaire (60 %) âgée de 21 ans (41,5 % ont entre 18 et 20 ans) et disposant d’un niveau bac (40 %), alors que les bac + 2 représentent 35 % des missionnés. En moyenne, les aspirants déposent 3,6 candidatures en se concentrant sur des missions de solidarité, d’éducation et du secteur culturel, et entrent en mission 2 mois plus tard. Le ratio est de 3,5 demandes pour 1 place disponible sur le site. A leur entrée en mission, 48 % des volontaires étaient en recherche d’emploi, 29 % étudiants, 20 % inactifs et 3,6 % salariés. Afin d’atteindre l’un des objectifs principaux du dispositif, la mixité sociale, 10 % des volontaires ont bénéficié de la majoration de leur indemnité (472,97 €) sur critères sociaux (parmi eux, 60 % vivent dans un foyer bénéficiant du RSA [revenu de solidarité active] et 40 % touchent une bourse de l’enseignement supérieur). Seulement 1,1 % des volontaires étaient, en 2016, en situation de handicap (0,75 % en 2015). L’Agence du service civique estime que ce taux « pourrait être sous-estimé », les candidats n’étant pas dans l’obligation de déclarer leur situation. En 2016, les volontaires représentaient 114 nationalités différentes et 4 % d’entre eux étaient de nationalité étrangère (chiffre légèrement en baisse). De plus, de jeunes Européens sont accueillis en France via des projets transfrontaliers et de jeunes Français remplissent tout ou une partie de leur mission à l’étranger (1 367 en 2016, le double d’en 2015). Une tendance à la hausse et qui permettrait, selon l’analyse de l’ASC, de « favoriser l’accès à la mobilité pour les publics les plus éloignés ». L’agence a développé un programme en ce sens avec le ministère de la Ville dans le cadre de l’expérimentation européenne IVO4All (International Volunteering Opportunities for All), qui offre, notamment, une aide logistique renforcée aux volontaires.
(1) Le service civique, défini par la loi du 10 mars 2010, a été modifié par la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté.
(2) Au 26 septembre 2017, 19 378 postes étaient à pourvoir dans le « secteur des solidarités ».
(3) Créée le 12 mai 2010, l’Agence du service civique (ASC) est un groupement d’intérêt public (GIP) qui a, notamment, pour mission de définir les orientations du dispositif et de gérer les agréments des structures accueillantes.
(4) Voir, notamment, les revendications du collectif associatif Génération précaire.
(5) La formation du volontaire, obligatoirement assurée par la structure, comporte désormais un volet théorique (transmission des valeurs citoyennes) et un volet pratique sous la forme d’une formation aux premiers secours.
(1) Contre 55 000 en 2015 et 29 000 en 2012, deux ans après le lancement du dispositif. Fin 2016, l’agence affichait un bilan de 207 000 volontaires depuis son lancement en 2010.