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« Depuis toujours, la justice pour mineurs hésite entre éduquer et punir »

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« Mauvaise graine », « sauvageons », « blousons noirs »… Au fil du temps, les mots changent pour qualifier les jeunes délinquants, mais le débat oscille toujours entre protection et coercition. Du début du XIXe siècle jusqu’aux années 1980, l’historien Mathias Gardet nous raconte ici les contours d’une histoire passionnante et méconnue, celle de la justice pour enfants.
Quand la justice a-t-elle commencé à s’intéresser aux enfants ?

L’idée qu’il fallait une justice pour mineurs a germé pendant la Révolution française, puis s’est concrétisée dans le premier code pénal de 1810. Jusque-là, les enfants de moins de 16 ans – c’était l’âge de la majorité pénale à l’époque – étaient soumis au même système judiciaire que les adultes. Tout d’un coup, on a pris conscience que l’on ne pouvait pas leur appliquer les mêmes peines et, surtout, qu’il fallait remettre les enfants sur la bonne route. L’idée sous-jacente était qu’ils devaient plutôt être rééduqués que punis. A partir de là, on s’est intéressé à eux et on a commencé à les recenser, ce que l’on n’avait jamais fait. Ces enfants n’étant plus noyés dans la masse, on s’est aperçu que plusieurs milliers d’entre eux passaient devant les tribunaux, dont certains très jeunes (5 ou 6 ans), et qu’ils étaient arrêtés pour vagabondage. Ce phénomène a conforté le fait qu’il fallait pour eux une justice différente de celle des adultes.

En quoi cela a-t-il consisté ?

Les tribunaux ont regardé pourquoi l’enfant avait commis le délit et se sont demandé s’il avait agi avec discernement ou pas. Voyant qu’il y avait beaucoup de petits larcins, ils ont cherché à savoir si son acte était le fruit d’une histoire familiale ou d’un système social défaillant. Ils se sont dit : « Si ses parents ne le nourrissent pas, c’est normal qu’il vole un quignon de pain », ou : « Si ses parents n’ont pas de logement, c’est normal qu’il soit vagabond. » Dans ces cas-là, les tribunaux ont considéré que les enfants avaient agi sans discernement et qu’ils n’étaient donc pas vraiment coupables. Ils les ont acquittés et placés. Pour les autres, aucune excuse n’a été trouvée, mais leur peine a été divisée par deux par rapport à celle d’un adulte et ils ne devaient plus être condamnés à mort. Tout au long du XIXe siècle, beaucoup d’enfants ont pu ainsi échapper à des condamnations.

Il y a eu aussi une tentative d’explication biologique de la délinquance…

C’est le grand rêve : repérer dès le plus jeune âge ceux qui vont mal tourner. Au XXe siècle, de nouveaux acteurs sont apparus : les psychiatres, dont certains allaient devenir experts auprès des tribunaux. Ils ont réalisé des tests, fait des diagnostics sur les jeunes délinquants et conclu que seuls 10 à 15 % relevaient d’un problème social et que les autres relevaient de la médecine. Selon eux, il suffisait donc de les « traiter » pour qu’ils rentrent dans le droit chemin. Dans l’entre-deux-guerres, des centres d’observation furent créés, où les enfants étaient envoyés durant trois mois avant d’être placés. C’est là que, persuadés que la délinquance était dans les gènes, quelques psychiatres menèrent leurs expériences. Un exemple : partant du principe que le tatouage fait mal et que beaucoup de criminels étaient tatoués, ils ont supposé que les criminels sont moins sensibles à la douleur que les autres. Ils piquèrent donc les bras des enfants et serrèrent leurs pouces et leurs orteils dans des étaux pour voir leur réaction. Les juges n’ont pas vraiment tenu compte des conclusions de ces médecins, mais ces méthodes ont néanmoins perduré jusque dans les années 1960.

Où étaient enfermés les enfants qui étaient condamnés ?

Ils étaient mis en prison avec les adultes, mais on a compris très vite qu’en les mélangeant ainsi, la prison allait devenir l’école du crime. A partir de 1817, on a décidé de les isoler dans un quartier qui leur serait réservé, un étage, une aile… de la prison. Sauf qu’il n’y avait pas d’étanchéité entre les deux groupes, surtout dans les activités de jour où ils étaient mixés. De plus, à l’époque déjà, les prisons étaient surpeuplées et lorsqu’il y avait trop d’adultes, ils étaient dirigés vers les quartiers de mineurs, et vice versa. De ce constat est né une autre solution : celle de construire une prison modèle pour enfants seulement. C’est la création de la Petite Roquette, à Paris, vers 1830. On poussa l’isolement très loin, en les séparant les uns des autres, de jour comme de nuit. Pour cela, la cour de la prison fut compartimentée en 14 petits couloirs où ils étaient censés faire de l’activité physique. Comme ils étaient entre 500 et 600 enfants, chacun n’avait droit qu’à un quart d’heure pour jouer avec un cerceau. Et pour qu’ils ne se croisent pas et surtout ne se voient pas, chacun attendait son tour avec une cagoule sur la tête. Finalement, il y aura tellement de suicides que ce confinement sera abandonné, et la Petite Roquette sera transformée en dépôt puis en prison pour femmes.

Quelles ont été les autres solutions ?

La presse a beaucoup parlé de « bagnes », c’est le surnom qui a été donné aux colonies agricoles pénitentiaires pour dénoncer les mesures disciplinaires et les sévices dont étaient victimes les enfants. Sortes d’énormes centres d’accueil collectif, ils se trouvaient dans d’anciens couvents ou d’anciennes fermes, voire dans un ensemble pavillonnaire construit de toutes pièces pour les garçons. Jusque dans les années 1960, les filles étaient, elles, confiées à des congrégations religieuses cloîtrées. Ce qui signifie que non seulement elles étaient cantonnées au couvent mais qu’à l’intérieur de celui-ci, elles avaient interdiction de circuler hors de l’espace qui leur était réservé. Par ailleurs, des sociétés privées de patronage ont été fondées, les mineurs étaient placés par leur intermédiaire chez des paysans et des artisans, où ils servaient surtout de main-d’œuvre très bon marché. On retrouve, plus ou moins, ces différents dispositifs aujourd’hui : il y a toujours des quartiers pour mineurs dans les prisons pour adultes, comme à Fleury Mérogis ; les prisons pour enfants sont devenues des établissements pénitentiaires pour mineurs ; les colonies peuvent correspondre à des centres d’accueil et les placements chez les particuliers, aux actuelles familles d’accueil.

A partir de quand y a-t-il eu des juges et tribunaux pour enfants ?

Il faudra beaucoup de temps pour que l’on se dote vraiment d’espaces et de professionnels dédiés. On commence sérieusement à en parler en 1912. Emerge alors l’idée qu’il faudrait recevoir les mineurs dans des lieux autres que ceux des adultes ou, au moins, à des plages horaires différentes. On pense aussi que le juge ne doit plus recevoir les petits délinquants dans sa robe, du haut de son pupitre, mais qu’il faudrait qu’il le reçoive dans un bureau, habillé en civil, de façon plus paternelle. En réalité, il faudra attendre 1945 pour que cela commence à bouger au sein des écoles de la magistrature. Petit à petit, des juges vont se spécialiser uniquement dans les affaires de mineurs. Pour la plupart, très investis et engagés, ils vont rester juges pour enfants jusqu’à la fin de leur carrière. D’une majorité d’hommes au départ, aujourd’hui, ce sont souvent des femmes.

A quel âge se situe la minorité pénale en France ?

En 1912, l’âge minimal à partir duquel on peut juger et condamner pénalement un enfant a été fixé à 13 ans. Aux Etats-Unis, selon les Etats, il est à 7 ou à 9 ans ; en Angleterre, à 10 ans. Une des hypothèses de l’âge retenu en France est qu’il correspondait à l’époque à l’obtention du certificat d’études et à la fin de la scolarité obligatoire. En dessous, l’enfant était encore considéré comme un petit écolier. Désormais, c’est un collégien et, en écho à certains faits divers, des voix s’élèvent régulièrement pour que ce seuil de 13 ans soit revu à la baisse.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans cette histoire ?

Ce qui me frappe, c’est qu’entre le XIXe, le XXe et le début du XXIe siècles, nous sommes toujours dans la même valse-hésitation entre éduquer et punir. Cela montre la difficulté de savoir quoi faire. En fait, l’histoire de la justice pour enfants est tout le temps en dents de scie. Elle oscille entre protection et coercition, avec, d’un côté, l’envie de mettre tout en œuvre pour renforcer l’accompagnement des jeunes délinquants en milieu ouvert et, de l’autre, la peur qui conduit à vouloir opter pour plus de répression. Or on s’aperçoit à travers l’histoire que la peur est liée à d’autres circonstances que le nombre de délits commis par les jeunes. Elle est plutôt corroborée à la perception qu’a la société de sa jeunesse à un moment donné. D’ailleurs, l’idée qui revient fréquemment, notamment dans les médias, d’une délinquance de plus en plus précoce et de plus en plus violente n’est pas nouvelle puisqu’elle est colportée depuis la fin du XIXe siècle . Ce qui est certain, c’est que plus le sentiment d’insécurité est élevé dans la population, plus celle-ci réclame des sanctions ; a contrario, plus elle se sent rassurée, plus elle se montre tolérante.

Propos recueillis par Brigitte Bègue

Repères

Mathias Gardet est historien et professeur en sciences de l’éducation à l’université Paris-8. Il est l’auteur, avec Véronique Blanchard, de Mauvaise graine. Deux siècles d’histoire de la justice des enfants (éd. Textuel, 2017). Un ouvrage qui s’inspire du travail au centre d’exposition « Enfants en justice » de Savigny-sur Orge (Essonne), financé par l’Ecole nationale de protection judiciaire de la jeunesse.

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