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Réduire les écarts pour rééquilibrer les pouvoirs

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Depuis 2011, les membres d’un réseau international, PowerUs, développent des méthodes pédagogiques visant à mettre étudiants et personnes accompagnées sur un pied d’égalité.

En travail social, où la dimension relationnelle est centrale, les différences de point de vue entre professionnels et personnes accompagnées constituent autant d’obstacles à l’instauration de la confiance et à la communication. Ce sont ces barrières que, dans plusieurs pays, des chercheurs et formateurs en travail social et des représentants d’associations d’usagers s’emploient à étudier et abattre. Ils se sont réunis au sein du réseau informel PowerUs, lancé en 2011 par des Britanniques, des Suédois et des Norvégiens. Depuis, ceux-ci ont été rejoints par des partenaires d’autres pays proches (Allemagne, Belgique, Danemark, France, Pays-Bas, Pologne, Suisse) ou plus lointains (Afrique du Sud, Canada). Leur objectif est de « développer des méthodes pédagogiques d’apprentissage mutuel ayant pour but de refaçonner les pratiques du travail social, afin que celles-ci soient plus efficaces dans le soutien au processus d’ empowerment des groupes marginalisés et discriminés de la société », expliquent Paul Morin et Annie Lambert, professeurs à l’Ecole de travail social de l’université de Sherbrooke (Canada), qui font partie du réseau(1).

Les membres de PowerUs se retrouvent autour de la notion de gap-mending (« réduction de la distance »). Ce concept vient de Suède, où l’Ecole de travail social de l’université de Lund expérimente depuis 2005 une démarche pédagogique qu’elle a ainsi nommée. Il s’agit d’un programme visant à aider les enseignants, les chercheurs et les étudiants en travail social à réfléchir avec des utilisateurs de services sociaux ou médico-sociaux à ce qui augmente, maintient ou réduit les écarts entre les professionnels et les usagers. La pédagogie du gap-mending est mise en œuvre dans le cours de « mobilisation », qui réunit pendant six semaines à plein temps des étudiants en premier cycle de travail social et des usagers recrutés dans une cinquantaine d’organisations appartenant à différents champs (addictions, justice, exclusion, maladie mentale, handicap, ou communautés discriminées, comme les Roms). L’ambition de ce cours est de remettre en cause la vision de l’usager comme d’une personne à problèmes et celle du travailleur social comme d’un expert de ces problèmes. Les étudiants et les personnes accompagnées – auxquels l’université de Lund reconnaît le statut d’étudiants – sont traités sur un pied d’égalité. Ils sont, par exemple, tous sollicités pour livrer des histoires personnelles, ce qui donne à chacun la possibilité de se révéler comme sujet et favorise les rapprochements. Universitaires et usagers partagent aussi les mêmes lectures et activités. Par petits groupes, ils coélaborent notamment des projets basés sur leurs savoirs respectifs – dont plusieurs ont pu se concrétiser, comme la création d’une organisation nationale représentant les parents dont les enfants ont été placés en famille d’accueil.

« Usagers entraîneurs »

Selon les pays et les écoles qui participent au réseau PowerUs, l’association de personnes accompagnées à la formation des travailleurs sociaux n’a pas la même forme ni la même envergure. En Allemagne, « très peu d’universités ou de centres de formation mettent en place cette pratique de “co-teaching”, même si elle est très enrichissante et complémentaire des autres approches » et contribue à un rééquilibrage des pouvoirs, fait observer Gaby Strassburger, professeure à l’Ecole supérieure catholique de travail social de Berlin, qui intègre des usagers dans ses cours depuis 2014(2). « Les choses sont compliquées car, dans la tradition allemande, les usagers sont peu pris en compte et il est difficile de convaincre les formateurs et les universitaires de l’importance de les impliquer auprès des étudiants, la coformation étant vue comme moins importante que l’enseignement académique. » Ce à quoi s’ajoute le problème financier auquel se heurtent les promoteurs de coformations pour mieux rémunérer les usagers, qui sont actuellement très peu payés, précise Gaby Strassburger. A l’Ecole de travail social de l’université de Sherbrooke (Canada), « nous avons un fonds d’innovation pédagogique qui nous permet de développer de façon structurante et structurée l’implication des usagers et de leurs proches dans nos programmes de formation », explique Paul Morin. Cette systématisation du travail avec les usagers, décidée fin 2015, se traduit notamment depuis janvier dernier par l’instauration d’« usagers-entraîneurs » – sans statut ni rémunération de la part de l’université, mais qui touchent une compensation financière dans le cadre d’une recherche simultanée sur cette démarche, dont ils sont également partie prenante. A l’instar des « praticiens entraîneurs », désignation des professionnels qui interviennent traditionnellement dans la formation des travailleurs sociaux aux côtés des professeurs et des chargés de cours, les usagers-entraîneurs ont un rôle de coenseignants et d’évaluateurs. « Je fais quelque chose d’utile avec mon vécu », se félicite Kathy Lévesque, qui compte parmi la douzaine d’usagers-entraîneurs participant aux formations des étudiants de première et deuxième années – à raison, dans chaque cas, d’environ 24 heures par trimestre. « J’ai un grand sentiment de fierté, d’accomplissement, j’ai retrouvé un meilleur rythme de vie et une stimulation mentale », ajoute-t-elle.

Notes

(1) Voir « L’apport du savoir expérientiel des personnes usagères au sein de la formation en travail social », http://bit.ly/2yvfRvY.

(2) Propos tenus lors de la Conférence européenne EASSW-Unaforis sur les formations en travail social en Europe, qui s’est tenue à Paris du 27 au 29 juin.

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