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Ouvrir les crèches au handicap

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A Strasbourg, le Centre-ressources « petite enfance » aide les crèches du Bas-Rhin à accueillir les enfants en situation de handicap.Ce qui nécessite tout un travail d’information et de sensibilisation auprès des professionnels.

Ce matin, Marie-Hélène Metz cherche la crèche de la rue de Wattwiller, dans la cité HLM de la Musau, au sud de Strasbourg. L’éducatrice vient présenter à sa directrice le Centre-ressources « petite enfance et handicap »(1) du département du Bas-Rhin, dont elle est salariée. Elle vient voir aussi si l’établissement peut recevoir une petite fille trisomique dont la mère cherche désespérément un mode de garde. « Si l’accueil devait se faire ici, nous pourrions accompagner votre équipe et réfléchir à l’aménagement de l’espace et à des outils adaptés », assure Marie-Hélène Metz. Pourtant, la directrice de la crèche, Séverine Robert, qui a déjà accueilli des enfants autistes, s’interroge : l’enfant aura-t-elle besoin d’un adulte dédié, une perspective hors de portée pour sa petite équipe ? « On accueille parce qu’on se doit d’accueillir, mais nous sommes vraiment démunis face à de telles situations. » Marie-Hélène Metz la rassure : « La trisomie n’est pas le handicap qui va poser le plus de difficultés. En raison de son faible tonus musculaire, un petit trisomique a besoin d’un siège adapté pour prendre ses repas avec des accoudoirs et de la mousse pour le maintenir. Cela peut être fait maison, ça n’implique pas de matériel spécifique à votre charge », explique-t-elle, avant d’ajouter : « C’est bien le rôle des professionnels de la petite enfance de repérer les difficultés. Plus tôt on va pouvoir alerter, mieux c’est. » Et Marie-Hélène de dérouler l’appui que peut apporter le Centre-ressources pour des enfants à troubles autistiques, notamment des temps de sensibilisation et d’information des équipes à l’aménagement d’« espaces doux » permettant à l’enfant de se recentrer. « Tout ce qu’on peut mettre en place pour un enfant en situation de handicap peut servir pour tous les autres enfants », insiste-t-elle. « C’est dommage que l’on ne vous ait pas rencontrée avant !, conclut la directrice. Cette visite va faire bouger les choses chez nous. Jusqu’à présent, nous étions ouverts au handicap mais sans savoir vers qui se tourner en cas de problèmes. »

Sensibiliser les professionnels

Le Centre-ressources a été créé en 2011 par l’association AAPEI(2) à la demande de la caisse d’allocations familiales (CAF) (voir encadré page 24). Il cible à la fois les professionnels de la petite enfance et les familles désireuses de socialiser leur enfant, avec accord médical. De fait, l’accueil des enfants de 0 à 6 ans en situation de handicap dans les structures collectives de droit commun comme les crèches est une obligation depuis 2011, mais cette mesure se heurte encore à une forte résistance sur le terrain. Marie-Hélène Metz a rejoint le dispositif il y a deux ans, quand le centre a élargi son périmètre d’action de Strasbourg à tout le département. Auparavant, elle a travaillé pendant six ans à la crèche de l’AAPEI Les Marmousets, qui reçoit 30 % d’enfants handicapés. Elle est aujourd’hui référente pour le sud du département et apporte son renfort sur l’agglomération de Strasbourg. Deux fois par semaine, elle reçoit familles et professionnels dans un bureau de la maison de l’enfance d’Obernai. « Le reste du temps, je suis sur le terrain comme mes collègues. » En deux ans, elle a effectué un travail important de démarchage et de sensibilisation. « Mais beaucoup de lieux d’accueil ne sont pas encore dans l’optique d’intégrer des enfants handicapés », regrette-t-elle.

En début d’après-midi, comme chaque semaine, Marie-Hélène Metz retrouve ses collègues pour une réunion dans le quartier général de l’équipe, au siège de l’AAPEI. L’urgence est d’aider un père isolé à trouver une place pour son petit garçon, qui présente un retard de développement sévère. La maison de l’enfance de son quartier étant très réticente à l’accueillir, l’hôpital de jour de Strasbourg l’a orienté vers le Centre-ressources.

Au rez-de-chaussée du bâtiment, les 24 enfants de la crèche des Marmousets digèrent leur déjeuner. La structure mélange enfants handicapés et « ordinaires » depuis 1985. Pendant que les petits font la sieste, les grands sont en activité. Attablés dans la salle principale, une dizaine de bambins s’amusent à faire mousser du savon liquide. Toutes les idées sont bonnes pour stimuler les sens des enfants. « Il ne faut pas grand-chose pour qu’ils soient ensemble », assure Anne Berretz, directrice des Marmousets ainsi que du Centre-ressources. « Quand on part de la vie quotidienne, c’est simple. » Une éducatrice a emmené un groupe de quatre enfants profiter d’un espace doux dans une petite pièce à côté – l’innovation pédagogique des Marmousets. Dans une ambiance tamisée, elle invite les enfants à s’amuser avec des bâtonnets de lumière, qui tracent entre eux des faisceaux colorés. Puis elle prend chacun à part, à tour de rôle, dans un petit cocon fait de coussins pour leur offrir une pluie de plumes. Une parenthèse de calme et de délicatesse sensorielle qui apaise les enfants.

Une mixité propice a tous les enfants

Le projet du Centre-ressources a émergé au cœur de cette crèche experte sur le handicap. « Nous recevions beaucoup de demandes de parents auxquelles nous ne pouvions pas répondre, raconte Anne Berretz. Des crèches et des assistantes maternelles de Strasbourg ont commencé à nous solliciter pour des conseils, ou même à nous envoyer des enfants. Avec la CAF, nous nous sommes dit qu’il manquait un maillon pour faciliter l’accueil des petits dans les dispositifs ordinaires, ce qui devrait pourtant être naturel aujourd’hui. » De ses six ans passés à la crèche, Marie-Hélène Metz a gagné la conviction que la mixité est bénéfique à tous les enfants : « Leurs rencontres sont très riches. C’est très beau d’avoir cette ouverture si tôt. Les enfants repèrent des différences, pas des handicaps. »

A côté du terrain, le travail de l’équipe des éducatrices consiste aussi à consacrer beaucoup de temps à la communication téléphonique ou par e-mails et à la rédaction de comptes rendus. « Le Centre-ressources nous permet de faire évoluer nos compétences, ce qui aurait été plus difficile si nous étions restées éducatrices de terrain. Il nous pousse aussi à prendre du recul sur notre métier, à échanger sur les pratiques », souligne Margaux Wirig, sa collègue.

Au lancement du dispositif, Anne Berretz imaginait que la première étape de son action à destination des professionnels serait d’aider les lieux d’accueil à rédiger le volet handicap de leurs projets d’établissement. Mais ce n’était pas leur priorité. « Le raisonnement courant des structures auprès desquelles on vient se faire connaître est de dire : “Nous n’accueillons pas d’enfants handicapés, donc nous n’avons pas besoin de vous.” Pourtant, à un moment où à un autre, il y aura une famille qui aura besoin d’eux. On est là pour leur permettre d’anticiper. »

Les quatre éducatrices de l’équipe sillonnent les quatre secteurs du département à partir d’un bureau de proximité, installé dans une structure d’accueil de jeunes enfants favorable à leur démarche. L’idée est de faire tache d’huile et de diffuser progressivement auprès des professionnels l’idée que cette culture de l’accueil des enfants handicapés est normale et possible. Pour les décomplexer, l’équipe leur propose des temps d’immersion à la crèche des Marmousets. « On leur montre qu’ils ont de réelles qualifications pour accompagner ces enfants : proposer des activités adaptées, être dans l’observation, repérer des difficultés, résume Anne Berretz. Tout cela relève bien du champ éducatif et n’a rien à voir avec des compétences médicales. »

Andréa Holder est assistante maternelle à domicile depuis cinq ans, agréée pour quatre enfants et salariée d’une crèche familiale. A son embauche, il lui a été demandé si elle était prête à accueillir un enfant en situation de handicap. « J’avais répondu “oui, mais…” Tant qu’on ne connaît pas le handicap, on ne sait pas trop à quoi s’attendre. » Quand l’occasion s’est présentée, elle a passé une journée aux Marmousets. « J’ai observé les enfants, échangé avec eux, vu comment les éducatrices abordaient les différents moments de la journée : l’arrivée, les jeux et activités, les repas, le départ à la sieste… », note l’assistante maternelle, qui avait encore beaucoup d’interrogations. Notamment, comment gérer les situations de crise : « Les éducatrices ont levé mes freins et mes appréhensions. J’ai réalisé qu’une petite structure à domicile comme la mienne avait des atouts. Avec un petit groupe, la sieste est prise en fonction des besoins de l’enfant, les repas peuvent être à heures variables. On a toute une souplesse pour s’adapter plus facilement aux besoins spécifiques des enfants. Elles m’ont montré des petites astuces, des boîtes à outils pour répondre aux angoisses de chacun, des jeux de lumières, de bouchons à faire tourner… Des choses très simples, pas chères et efficaces pour rassurer les enfants. » Andréa Holder a aussi réalisé qu’il y a autant de handicaps que d’individus : « Je me sens désormais capable d’accueillir un enfant handicapé quand la demande se présentera. D’autant que le Centre-ressources est là pour m’épauler. »

Une aide également pour les parents

Un sentiment que connaît Karen Gisselbrecht, directrice du multi-accueil collectif La Souris verte, à Villé, au sud du Bas-Rhin. Son équipe s’est occupée sans difficultés d’une enfant polyhandicapée. Mais d’autres enfants avec des troubles du comportement l’ont, en revanche, laissée démunie. Avec l’aval des parents, la directrice a alors demandé de l’aide : « C’est un soulagement quand le Centre-ressources peut passer nous donner des idées. » Le dernier cas était celui d’un petit garçon avec suspicion d’autisme, qu’elle avait au préalable orienté vers un centre médico-psychologique (CMP). « Le CMP ne nous donnait aucune indication pour comprendre ce petit », souligne-t-elle. La référente du centre est alors venue à la rescousse. Après une phase d’observation et d’échange avec l’équipe, elle a proposé un projet individualisé qui formalise tout ce qui aide l’enfant – dans ce cas, des activités centrées sur le transvasement de sable, de riz, d’eau, ainsi qu’un espace doux. « On a pu lui proposer des choses qui lui plaisaient vraiment », note Karen Gisselbrecht. Solène Parisot, accompagnante éducative et sociale du dispositif, a aussi confectionné un précieux livret composé de photos qui permet à l’enfant de visualiser et d’anticiper l’enchaînement de ses journées : la porte d’entrée de la crèche pour l’arrivée, la voiture rouge des parents pour les trajets, les visages de toutes les personnes qui sont dans son environnement… « Avant l’intervention du Centre-ressources, on en arrivait à se dire que c’était trop dangereux de l’accueillir », se souvient Karen Gisselbrecht.

Ces différents outils ont permis la cohabitation avec les autres enfants, qui avaient auparavant peur de lui. Ce cadrage a aussi beaucoup aidé la mère à communiquer avec son fils : « Désormais, il emmène son classeur partout. Il est beaucoup plus calme et apaisé, il sait où il va et ne fait plus de crises quand il arrive à la crèche. Il arrive à être avec un groupe d’enfants, à jouer en leur présence même s’il ne joue pas avec eux. » Même constat pour une autre mère : « Le Centre-ressources est arrivé au bon moment, alors que mon fils entrait à la crèche et que ses troubles autistiques n’étaient pas encore diagnostiqués. On avait tous besoin d’un moyen de communiquer avec lui, je n’arrivais pas à gérer ses frustrations. Le projet individualisé a été comme un mode d’emploi pour tout le monde. La référente du centre est aussi un vrai soutien moral lors des réunions avec tous les professionnels qui s’occupent de mon fils. C’est une aide précieuse pour tous les parents qui galèrent dans ce genre de parcours. »

Un partenariat avec l’équipe soignante

La plupart du temps, l’accompagnement des enfants par le centre se fait en partenariat et en complémentarité avec les structures médicales qui les suivent, au cas par cas. « Nous coconstruisons le projet de l’enfant, explique Céline Auger, psychomotricienne au centre d’action médico-sociale précoce (CAMPS) Centre-Alsace. Nous travaillons ensemble pour coordonner le projet du CAMPS et le projet individuel sur le lieu de socialisation. Le Centre-ressources définit ce projet avec des objectifs éducatifs et d’éveil, tandis que nous sommes dans le soin. Chacun a besoin de l’autre pour s’ajuster. » Chaque année, le CAMPS rassemble tous les acteurs qui gravitent autour de l’enfant pour redéfinir son projet de soin. Le Centre-ressources tient alors une place de tiers : « Il aplanit les tensions et permet que nous ne soyons pas dans un face-à-face avec la crèche et la famille quand ça ne se passe pas bien. » Le projet individuel proposé par le centre constitue aussi une « feuille de route » essentielle, selon Carmen Schroder, pédopsychiatre, responsable de l’hôpital de jour pour jeunes enfants et de l’unité de soins précoces des hôpitaux universitaires de Strasbourg, dévolue aux enfants porteurs de troubles autistiques. « Même si nous avons la volonté d’aller hors les murs et de rester en contact avec les structures d’accueil, nous manquons de temps pour cela. Le Centre-ressources, qui connaît les structures, est notre partenaire au plus près du terrain. » Autre intérêt pour le médecin : l’action de formation qu’il réalise auprès des professionnels de la petite enfance et qui favorise un dépistage plus précoce des troubles. « Etant plus sensibilisés, ils savent désormais faire un travail de repérage des difficultés. Cela aide à ce que des enfants nous soient adressés plus jeunes. »

Si, théoriquement, les petits handicapés peuvent rester en crèche jusqu’à 5 ans, ils ont vocation à poursuivre leur socialisation à l’école maternelle comme les autres. Depuis peu, le Centre-ressources élargit son champ d’action à l’accompagnement de cette transition. « C’était une perspective d’avenir, mais nous avons été devancés par les sollicitations des parents », explique Anne Berretz. Quand le thérapeute estime que l’enfant est prêt pour l’école, le centre peut organiser des passerelles : proposer des temps d’immersion accompagnée de l’enfant dans sa nouvelle école pour qu’il l’apprivoise, sensibiliser l’enseignant sur les besoins particuliers de son nouvel élève, faire le lien, si nécessaire, avec l’auxiliaire de vie scolaire (AVS). « L’objectif est qu’il y ait le moins de rupture possible pour l’enfant », précise la directrice. Une continuité qui reste à conquérir : en ce début d’année scolaire, plusieurs enfants qui avaient pu commencer l’école l’an passé se trouvent cantonnés à la maison car ils ne sont plus en âge d’aller en crèche et n’ont plus d’AVS…

Rendez-vous en novembre à Strasbourg

Le Centre-ressources « petite enfance et handicap de l’AAPEI est le dispositif du genre le plus abouti en France. En novembre, il va rassembler à Strasbourg les structures existantes dans l’Hexagone. Il a émergé en 2011 sur l’agglomération de Strasbourg à travers une convention entre l’AAPEI et la caisse d’allocations familiales du Bas-Rhin, dans le cadre d’un appel à projets de la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF). « Nous en avons profité pour imaginer avec l’AAPEI une réponse globale à la problématique, plutôt que d’avancer au cas par cas avec les crèches qui nous sollicitaient », explique Nathalie Curtet, conseillère technique à la CAF 67. En 2014, le dispositif a été déployé sur tout le département. D’un éducateur mi-temps à ses débuts, il est passé à quatre aujourd’hui, répartis dans quatre antennes, et une assistante médico-psychologique, tous à temps plein. Son budget annuel de 280 000 € est financé à 80 % par la CAF du Bas-Rhin et la CNAF, et à 10 % par l’agence régionale de santé du Grand-Est, l’AAPEI supportant les 10 % restants. Ses partenaires sont engagés jusqu’en décembre 2018. Mais après ?

Notes

(1) Centre-ressources : 60, rue de la Grossau, 67100 Strasbourg – Tél. 03 88 34 94 20 ou 06 29 91 20 97 – centre.ressources@aapei-strasbourg.fr.

(2) L’AAPEI (Association de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis) gère plusieurs établissements médico-sociaux dans le Bas-Rhin.

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