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« Migrants à Paris : campements, décampements et hébergements »

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Julien Damon Professeur associé à Sciences Po, conseiller scientifique de l’Ecole nationale supérieure de sécurité sociale

Paris a connu cet été ses énièmes opérations d’évacuation de campements de migrants. La place Stalingrad et la porte de la Chapelle incarnent désormais une certaine tiers-mondisation et « bidonvillisation » de quartiers de la capitale. Localement, exaspération et accablement sont de mise face à l’accumulation et à la répétition des phénomènes. Internationalement, Paris surprend, positivement ou négativement, dans sa gestion volontariste des migrants.

Mais d’abord, de qui parle-t-on ? Issus de pays en développement, en difficulté ou en guerre, les individus, les familles et les enfants qui campent, décampent et reviennent camper relèvent, en réalité, de deux catégories. Soit ils sont demandeurs d’asile ou réfugiés – quand ce statut leur a été accordé –, soit ils sont clandestins, illégaux, sans papiers, sans demande d’asile ou sans raison de demander l’asile. Des experts soulignent des zones grises, intermédiaires, complexes à évaluer et à établir. Mais la chose, sur le papier et dans le marbre du droit, est simple. Soit ces migrants sont dans une situation qui les autorise à rester sur le territoire et qui commande l’action de la France pour les accueillir dignement, soit ils ne le sont pas.

En tout cas, Paris a décidé d’agir, pour tous ces migrants, en créant notamment un « centre humanitaire » et en sollicitant la mobilisation de centres d’accueil et d’orientation un peu partout en France. Il y a là du neuf. Il y a aussi de l’ancien, avec un dilemme auquel Paris se confronte invariablement. La Ville lumière, au moins à l’échelle européenne, compte parmi les plus tolérantes et innovantes face aux diverses formes de dénuement. Son problème, multiséculaire, consiste à savoir si d’autres villes la suivront ou bien si ces autres villes se défausseront sur ses innovations.

A travers les siècles, tous les programmes de lutte contre le vagabondage et la précarité ont eu un même effet. Des misérables quittent leurs lieux d’origine vers les villes, en particulier vers la capitale, où ils pensent trouver secours, abri ou travail. Paris est ainsi rituellement obligée d’innover puis, face à l’afflux suscité de pauvres, d’inciter les autres collectivités à suivre le mouvement. Sur un plan répressif, Louis XIV crée, à Paris, au milieu du XVIIe siècle, l’Hôpital général pour enfermer les vagabonds. Devant la massification observée du phénomène, le roi demande aux provinces d’ouvrir d’autres hôpitaux. Au début du XIXe siècle, Napoléon Bonaparte crée, toujours à Paris, des dépôts de mendicité. L’empereur, face à la pression sur le système parisien, impose aux autres départements l’ouverture de nouveaux établissements. Sur un plan plus social, à la fin du XXe siècle, Jacques Chirac, alors maire de Paris, implante un SAMU social dans la capitale. Très rapidement, l’Etat doit relayer l’initiative municipale afin qu’elle soit reprise ailleurs dans l’Hexagone.

La maire actuelle, Anne Hidalgo, rencontre aujourd’hui le même problème. Paris se veut de nouveau ville innovante. La ville ouvre donc ce centre humanitaire, maintenant totalement débordé, et attend de l’Etat qu’il exerce ses compétences et ses responsabilités en matière d’immigration – régulière ou irrégulière. La municipalité lui demande également d’agir nationalement afin que le fardeau soit réparti sur tout le territoire. L’histoire, dans une certaine mesure, se répète.

Une grande différence par rapport aux initiatives passées tient à l’échelle géographique. Auparavant, la question des vagabonds et des sans-abri relevait essentiellement des frontières nationales. Aujourd’hui, elle s’inscrit dans des frontières européennes poreuses à toutes les tensions et les inégalités du monde. Tourments et inquiétudes pour la ville de Paris ne procèdent plus des autres villes françaises, mais des autres métropoles européennes. La plus grande partie d’entre elles étant bien moins ouvertes et généreuses, la partie est loin d’être gagnée. Là où Louis XIV, Napoléon Ier et Jacques Chirac pouvaient agir et influer, les marges de manœuvre contemporaines de la maire de Paris, dans un espace Schengen affecté par la crise migratoire, apparaissent bien plus contraintes…

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