« C’est en 2010 que nous avons rencontré ces pathologies », relate Emmanuelle Sarb, cheffe de service éducatif à Arc75. Nord-Way, l’une des équipes de prévention de cette association, travaille à la gare du Nord auprès de jeunes « en errance ». « Ils ont des histoires très lourdes, sont cabossés par des parcours difficiles souvent marqués de ruptures, de violences. Nous créons avec eux une relation de confiance pour un travail éducatif adapté. Nous prenons en compte le jeune dans sa globalité sans lui coller d’étiquette », détaille Emmanuelle Sarb.
Elle suivait, à la gare, une jeune fille de 16 ans, enceinte. « La sage-femme conseillère familiale qui intervient aux côtés de l’équipe l’a rencontrée. Elle m’a dit : « C’est sûr, elle a le SAF. » Je lui ai répondu : « Qu’est-ce que c’est » » L’équipe éducative interroge alors les services de la protection de l’enfance, qui suivait la jeune femme depuis sa naissance. Il en ressort qu’elle souffre du syndrome d’alcoolisation fœtale. « Tout est devenu plus clair », poursuit Emmanuelle Sarb : les problèmes de l’adolescente pour se repérer dans l’espace, pour lire l’heure, pour compter la monnaie, ses crises de colère soudaines… Sa familiarité excessive avec des inconnus et son manque de méfiance envers d’autres, qui la conduisaient à se mettre en danger en permanence.
L’éducatrice s’informe alors sur Internet, parcourt des publications scientifiques et se rapproche de l’association Vivre avec le SAF, qui a rédigé, avec des professionnels de santé, de nombreux documents sur ces pathologies(1). Elle imprime par exemple pour son équipe « un tableau des symptômes et les astuces à connaître pour s’adresser aux personnes avec TCAF ». « Cette adolescente, on ne lui avait pas exprimé jusqu’ici ce qui pouvait la limiter dans son quotidien, reprend Emmanuelle Sarb. Elle me disait qu’elle était bête. Je lui ai répondu : « Non, tu n’es pas bête, le SAF n’est pas une tare, nous pouvons t’aider à mieux comprendre tes capacités et tes limites. » » Le travail éducatif a pu être amélioré : « On a pris conscience que c’est à nous de penser pour ces jeunes. Il faut accepter d’aller plus lentement que d’habitude. Quand on leur explique quelque chose, il ne faut pas leur donner plusieurs informations à la fois. Et s’ils ne font pas certaines démarches, ce n’est pas par mauvaise volonté, mais le plus souvent parce que leur handicap les en empêche. »
Depuis 2010, la jeune fille de la gare « a acquis une estime d’elle-même, se sent moins coupable de ce qui lui arrive ». Dans sa relation aux hommes, « elle arrive davantage à mesurer le danger ». Elle a été placée sous curatelle et admet plus facilement qu’elle n’est pas capable de gérer un budget. Elle a accepté d’être reconnue travailleuse handicapée, ce qu’elle refusait avant. « La prochaine étape pourrait être de lui trouver un ESAT [établissement et service d’aide par le travail] », espère Emmanuelle Sarb, tout en notant qu’il sera difficile de la convaincre de sortir de son errance.
Les trois éducateurs de l’équipe sont désormais capables, lorsqu’ils rencontrent un jeune, de suspecter un TCAF. « Si l’un d’eux dit « Ma mère est alcoolique », cela fait “tilt”, nous posons d’autres questions. Récemment, une éducatrice a dit à un jeune qu’elle suivait : « Je pense que tu as un TCAF. » Elle lui a expliqué, il ne l’a pas mal pris et a répondu : “Peut-être que tu as raison” », raconte la cheffe de service. L’équipe souhaiterait maintenant orienter ce jeune vers un diagnostic neurologique et une prise en charge adaptée. Pour aller plus loin, Emmanuelle Sarb souhaite mettre en place des formations avec Vivre avec le SAF auprès des travailleurs sociaux de son association.
(1) Voir vivreaveclesaf.fr, notamment le Guide pour les parents et les aidants (bit.ly/2xkKo0j).