« Jusqu’à maintenant, la question de la pauvreté n’était pas dans le viseur » du gouvernement d’Edouard Philippe, a relevé Claire Hédon, présidente d’ATD Quart-monde, à la sortie de la réunion de travail, le 21 septembre, entre plusieurs associations du secteur de la solidarité et le Premier ministre, en présence de la ministre des Solidarités et de la Santé et de la ministre du Travail. Trois heures d’échanges qui ont débouché sur l’annonce de la préparation d’une « stratégie de lutte contre la pauvreté » ciblée sur les enfants et les jeunes, dont le lancement devrait être annoncé le 17 octobre, Journée mondiale du refus de la misère, par le président de la République (voir ce numéro, page 7).
Si les associations consultées le 21 septembre se félicitent que le dialogue ait repris sur la question, elles ne cachent pas leurs doutes. En annonçant la volonté de cibler les enfants, les jeunes et les familles monoparentales, le gouvernement affiche l’intention de s’attaquer à la pauvreté en agissant sur plusieurs domaines – logement, éducation, insertion, santé… Ce qui nécessiterait à tout le moins d’« avoir tous les ministres autour de la table, avec leurs administrations et les départements », a plaidé François Soulage, président du collectif Alerte. Un délégué interministériel pourrait être nommé, selon les informations livrées aux associations. Deux jours avant cette réunion à Matignon, le collectif Alerte, qui avait demandé dès la campagne présidentielle un nouveau plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté assorti d’une loi de programmation(1), avait adressé un courrier à Emmanuel Macron pour lui faire part de ses attentes. Dont la mise en œuvre d’une stratégie « pluridimensionnelle et interministérielle », conduite « sous l’autorité directe du Premier ministre ». Parmi les conditions à réunir : « Ne pas organiser des reculs dans la protection sociale », « s’accorder sur des indicateurs de réussite de la stratégie globale » et s’assurer de « la prise en compte dans toutes les politiques publiques et projets de loi de leurs impacts sur les plus pauvres ».
Or les acteurs associatifs de la solidarité craignent, au-delà de la méthode qui reste à définir, un manque de cohérence et de moyens. Le ministère du Travail promet un dispositif d’insertion plus efficace, « mais il y a un gap quantitatif pour les contrats aidés, sans autre proposition pour ceux qui n’en bénéficieront plus et qui se retrouveront aux minima sociaux », a déploré à la sortie de la réunion Florent Guéguen, directeur général de la Fédération des acteurs de la solidarité, tandis que la ministre du Travail annonçait que le nombre de contrats aidés serait ramené à 200 000 en 2018, contre 460 000 en 2016. L’approche globale que souhaite avoir le gouvernement « nous satisfait, et nous avons pour notre part proposé un objectif : qu’il n’y ait plus un enfant sous le seuil de pauvreté d’ici dix ans », a insisté Véronique Fayet, présidente du Secours catholique. Parmi les moyens d’y arriver, « il faut un revenu décent, or le montant du RSA [revenu de solidarité active] n’est pas revalorisé », a-t-elle pointé, relevant qu’il conviendrait aussi d’élaborer la stratégie annoncée « avec ceux qui vivent la pauvreté ».
Ces signaux contradictoires sont également au cœur des préoccupations de l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux), qui donnait, peu après les annonces de Matignon, sa conférence de presse annuelle de « rentrée sociale »(2). « Nous prenons au mot la notion d’investissement social avancée par le gouvernement, mais qui dit “investissement” dit d’abord “dépense” », a commenté Patrick Doutreligne, président de l’Uniopss, déplorant de voir les dossiers sociaux abordés prioritairement sous un angle économique, avec une recherche d’efficacité privilégiant le court terme. « Les effets positifs de moyen terme que pourrait avoir la “stratégie logement” risquent d’être annulés par les effets négatifs » que vont avoir les mesures budgétaires prévues dans ce domaine, a illustré Jeanne Dietrich, conseillère technique à l’Uniopss, rappelant les préconisations de l’union dans ce domaine : la construction de 60 000 PLAI (prêts locatifs aidés d’intégration) par an au lieu des 40 000 annoncés, la généralisation de l’encadrement des loyers telle que prévue par la loi « ALUR » et la suppression des projets de réduction du montant des aides au logement(3).
Autre exemple des effets de « balancier » déplorés par le président de l’Uniopss : la revalorisation en trompe l’œil de l’allocation aux adultes handicapés, dont le gain sera nul pour les personnes en couple (voir ce numéro, page 5). Les politiques en direction de l’enfance et de la famille, que le gouvernement entend ériger en priorité du quinquennat, ne sont pas exemptes d’ambiguïté, a en outre démontré Samia Darani, également conseillère technique à l’Uniopss : « Comment lutter contre la pauvreté des familles si l’on s’attaque aux APL ? » La stratégie d’investissement social promue par le gouvernement, à laquelle s’ajoute la volonté de cibler certains publics jugés prioritaires, comporte en outre le risque « de ne miser que sur les publics les plus près de s’en sortir ». D’où un message clairement politique : « Soit notre gouvernement fait le pari de mesures fortes et globales pour accompagner tous les enfants et toutes les familles. Soit il choisit la logique du rendement et nous courons collectivement le risque de laisser de côté les plus vulnérables et de creuser plus encore les inégalités. »
(2) L’Uniopss a rendu public son document « Rentrée sociale des associations sanitaires, sociales et médico-sociales. Enjeux politiques, budgets prévisionnels 2018 » – Union sociale hors-série n° 310 – Septembre 2017 – 48 € – Tél. 01 53 36 35 00.
(3) Le mouvement HLM a, le 26 septembre, déclaré regretter que le ministre de la Cohésion des territoires n’ait pas saisi l’occasion du congrès de l’Union sociale pour l’habitat (USH) pour revenir sur la décision de diminuer le montant des APL des allocataires du parc social, réduction devant être compensée par une diminution des loyers HLM. Cette mesure, prévue par le projet de loi de finances pour 2018, remet en cause le logement social et son modèle économique, déplore l’USH.