Alors que je travaillais dans une association qui gérait une permanence juridique, et étant moi-même malentendante, j’ai proposé à la mairie de Paris, en 2002, de créer une permanence juridique gratuite en langue des signes. Personnes licenciées ou qui voulaient divorcer n’arrivant pas à connaître leurs droits et à les faire valoir, femmes à qui on a demandé de mimer leur viol quand elles ont voulu déposer plainte au commissariat : la situation s’est vite révélée alarmante. Au sein de l’association Droit pluriel, présidée par Fabienne Servan-Schreiber et qui s’appuie sur un réseau de juristes, de magistrats, d’avocats, d’universitaires et d’étudiants, nous avons partagé le constat qu’au-delà de la surdité, le handicap était un frein à l’accès à la justice. En 2010, nous avons reconstitué le premier « procès dans le noir » au tribunal de grande instance de Paris. En 2015, l’association a lancé la mission « Professionnels du droit et handicap » pour favoriser l’accès des personnes handicapées à la justice. La première étape de ce travail, accompagné par le défenseur des droits, a constitué en un état des lieux. Plusieurs rencontres ont été organisées avec les institutions représentatives de chaque professionnel du droit, suivies d’un questionnaire et d’entretiens. La même démarche a été menée du côté du secteur du handicap. Ces contacts nous ont permis de rencontrer des justiciables en situation de handicap.
Au-delà de l’accessibilité matérielle, ce qui manque, c’est de l’information. Sur les techniques et outils de compensation, d’une part. Par exemple, les professionnels du droit ne connaissent pas la différence entre un interprète en langue des signes, diplômé et tenu à certaines obligations, et une interface, qui peut être un travailleur social. Il ressort, d’autre part, une méconnaissance des différentes situations de handicap, qui peut donner lieu à des représentations, à des confusions, et poser de graves difficultés dans les décisions : des parents aveugles peuvent se voir refuser la garde de leur enfant et les associations dénoncent régulièrement des décisions concernant les enfants autistes. Certains comportements sont évoqués sans qu’ils soient reliés à une situation de handicap, notamment psychique, faute d’outil pour l’identifier. Un autre constat est la méconnaissance des dispositions juridiques en faveur des personnes handicapées, éparses dans le droit commun. Elles ne concernent pas seulement l’aide à la compensation : en cas de licenciement, par exemple, le préavis est doublé pour un salarié handicapé. Nous nous sommes aussi aperçus que les personnes handicapées ne vont pas spontanément vers les professionnels de la justice, de peur d’être mal comprises ou mal reçues.
De petites formations spécifiques ont été mises en œuvre, mais la question du handicap n’a jamais été posée de façon globale au sein de la justice. Nous allons mettre en place une formation générale au handicap à tous les professionnels. Nous en sommes au stade de la construction des outils pédagoqiques. Nous souhaitons aussi que soit favorisée la coordination des bonnes pratiques. Par exemple, il y a une permanence en langue des signes au barreau de Paris, il faudrait généraliser l’expérience sur tout le territoire. De même, un référent « handicap » pour chaque métier permettrait de répondre aux demandes des professionnels.
Ce travail a été l’une des rares expériences réunissant tous les professionnels de la justice, qui ont ensemble avancé sur la question du handicap. La formation à laquelle nous travaillons devrait être mise en œuvre dès que possible. Les écoles et les centres de formation aux métiers de la justice se sont déjà engagés dans cet objectif. Il faut ensuite que les professionnels s’en emparent. La démarche est aussi un message aux personnes handicapées, pour qu’elles fassent connaître leurs besoins dans les maisons de justice, les points d’accès aux droits, les permanences juridiques.
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