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Majeurs protégés : une imbrication de vulnérabilités

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L’Association nationale des centres régionaux d’études, d’actions et d’informations en faveur des personnes en situation de vulnérabilité (Ancreai) a réalisé une étude nationale afin de mieux connaître les majeurs protégés. Elle met en lumière la complexité des situations et de l’accompagnement de cette population.

Dans un travail commandité par la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), l’Association nationale des centres régionaux d’études, d’actions et d’informations en faveur des personnes en situation de vulnérabilité (Ancreai) a réalisé une étude pour mieux connaître les majeurs protégés, « au-delà des seules données de cadrage remontées régulièrement par les DDCS [directions départementales de la cohésion sociale] ou les tribunaux ». Car si les informations sur l’âge, le sexe, le cadre de vie et les ressources de la personne protégée « ont un réel intérêt, [elles] ne sont pas suffisantes pour décrire la variété des situations concernées », peut-on lire dans le rapport de l’Ancreai(1). « Il s’agit d’une étude plus fine que ce qui avait été fait jusqu’alors sur les difficultés des personnes, leur parcours de vie, les autres intervenants qui sont autour d’elles », explique Bénédicte Marabet, responsable du pôle « Etudes et observation » du CREAI d’Aquitaine et chargée du pilotage de l’étude nationale. Les rédacteurs se sont par exemple attachés à recueillir des informations sur le parcours de vie des personnes protégées : antécédents d’hospitalisation en psychiatrie (c’est le cas pour au moins un tiers des majeurs protégés), placement ou accompagnement par l’aide sociale à l’enfance, parcours de soins et médico-social…

Autre ambition : « mieux cerner les pratiques d’accompagnement mises en œuvre et leur adéquation avec les besoins identifiés et les attentes exprimées par les majeurs protégés », afin, notamment, d’« appréhender la variété des situations de vie » concernées par les différentes mesures de protection juridique ou de « repérer les facteurs qui constituent des obstacles ou au contraire des leviers dans le suivi des mesures », précise l’Ancreai.

Évolution des publics

Cette étude a couvert 20 départements, « en prenant en compte des caractéristiques sociodémographiques susceptibles d’avoir un impact sur le volume des mesures en cours » et de l’offre des mandataires judiciaires à la protection de majeurs (MJPM) professionnels. « Dans ces 20 départements, tous les services mandataires, préposés d’établissement et mandataires individuels en activité au 31 décembre 2015 ont été sollicités pour participer à l’enquête, consistant à remplir une grille individuelle décrivant la situation des majeurs protégés ». Un second questionnaire aux MJPM portait « sur leur appréciation de l’évolution des publics et sur les difficultés rencontrées dans la gestion de certaines mesures ou l’accompagnement de certains publics ». Le dernier volet « a consisté en une approche exclusivement qualitative », à travers deux séries d’entretiens : les premiers (19) étaient relatifs à des situations où les mesures étaient gérées par des professionnels, les seconds (14) concernaient des situations où les mesures étaient gérées par un tuteur familial.

Le taux de réponse à l’enquête par questionnaire s’est révélé « très satisfaisant », soulignent les auteurs : 79 % pour les services mandataires, 77 % pour les préposés et 59 % pour les mandataires individuels. L’étude a couvert 2 808 mesures gérées par des professionnels, dont 1 903 par des services mandataires, 521 par des mandataires individuels et 384 par des préposés d’établissements. Parmi les données recueillies, on apprend que près de six majeurs protégés sur dix vivent dans un domicile ordinaire. Le deuxième mode d’habitat le plus fréquent correspond aux établissements d’hébergement pour personnes âgées (22 %), essentiellement dans une structure médicalisée : 20 % sont en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Plus de la moitié des majeurs protégés perçoivent des prestations liées à une situation de handicap : 48 % bénéficient de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) et 5 % de la prestation de compensation du handicap (PCH), tandis que 86 % des moins de 60 ans ont une reconnaissance de leur handicap par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et 29 % des 75 ans et plus bénéficient de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). Reste un « angle mort », souligne Bénédicte Marabet : « Les personnes dont la mesure est exercée par la famille. On méconnaît cette population, ce qui est dommage puisque 48 % des mesures sont confiées aux familles. »

Précarité croissante

L’étude a permis d’identifier plusieurs « points de vigilance », poursuit la responsable du pôle « Etudes et observation » du CREAI d’Aquitaine, en particulier « la présence de plus en plus importante de troubles psychiatriques » chez les majeurs protégés, ainsi que « la problématique particulière pour les personnes vivant à domicile ». Elle signale que 17 % des majeurs protégés vivant à domicile ne font l’objet d’aucun suivi psychiatrique ou psychologique alors qu’ils le nécessiteraient. « Un chiffre préoccupant, alors que ces situations peuvent vite se dégrader », prévient-elle. De même, 16 % des 75 ans et plus vivant à domicile « n’ont aucun des principaux accompagnements existants en faveur des personnes […] présentant des limitations dues à l’avancée en âge », écrivent les auteurs.

Cette étude a par ailleurs permis de dresser une typologie des majeurs protégés, en prenant en compte une vingtaine de critères répartis selon quatre « facteurs de vulnérabilité », non exclusifs les uns des autres : les situations de handicap (57,2 %), les troubles psychiques ou psychiatriques (45 %), la dépendance liée à l’âge (40 %) et la vulnérabilité sociale, qui « concerne une proportion restreinte des majeurs protégés » (7 %), même si plus de la moitié d’entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté. Enfin, pour 5 % des majeurs de l’échantillon, « aucun de la vingtaine des critères listés n’a été signalé ». Deux hypothèses sont avancées quant à ces situations : « Il semblerait que, pour une petite partie des majeurs protégés, la mise sous protection juridique reste conditionnée d’abord à des difficultés sociales intriquées en lien notamment avec des addictions et/ou des situations de surendettement. [Par ailleurs], il peut s’agir aussi de personnes présentant une altération du jugement liée à une déficience intellectuelle mais qui ont toujours évolué dans le milieu ordinaire sans reconnaissance de leur handicap par la MDPH. »

Au total, les auteurs de l’étude ont établi 15 combinaisons possibles des quatre facteurs de vulnérabilité, révélant « l’intrication des difficultés des majeurs protégés ». Parmi les tendances fortes, l’Ancreai a mis en lumière une précarité croissante des majeurs protégés, liée notamment aux ruptures de droits et au surendettement, et un difficile accès à un habitat digne. Par ailleurs, le nombre de personnes en situation de handicap psychique est en augmentation, avec des troubles de plus en plus graves. Enfin, l’isolement social est également très présent, « notamment concernant les personnes âgées à domicile ». Certains MJPM évoquent aussi une montée en charge des jeunes adultes de 20-40 ans, isolés et sans liens familiaux issus du champ médico-social pour enfants et adolescents ou de l’ASE (aide sociale à l’enfance), avec des troubles psychiques, des addictions et de très faibles ressources.

Isolement des mandataires

Sur le plan des pratiques d’accompagnement, les entretiens ont mis en lumière que plus de la moitié des MJPM rencontrent des difficultés en raison de la complexité des situations. Certaines concernent l’accès aux soins, d’autres sont liées aux caractéristiques du majeur protégé, en particulier les troubles du psychisme. Les mandataires font aussi le constat, « dans tous les points du territoire », de difficultés d’accès au logement social et, dans une moindre mesure, du manque d’offre d’hébergements et de logements adaptés. Ce sont les situations à domicile les « plus complexes » pour les MJPM, car ces derniers sont parfois les seuls à devoir gérer la situation et les seuls à être appelés en cas d’urgence. Les mandataires pointent par ailleurs l’insuffisance de certaines ressources territoriales. « Ils constatent des besoins, mais il n’y a pas de réponse possible », explique Bénédicte Marabet.

L’enquête fait apparaître dans certains départements des difficultés de partenariat avec les acteurs institutionnels (MDPH, sécurité sociale, caisses d’allocations familiales, mutualité sociale agricole, caisses de retraite), du soin et de l’accompagnement social et médico-social. Les MJPM font aussi face à « un désengagement de certains professionnels, en particulier ceux assurant un suivi social, dès qu’une mesure de protection juridique est prononcée ». Un mandataire, cité dans le rapport, déclare : « Souvent, les MJPM se trouvent assez isolés. Il y a un fantasme des [autres] professionnels sur [nos] possibilités d’action et [notre rôle]. Nous sommes perçus comme tout-puissants. » Ce manque d’information sur le dispositif de protection juridique est encore plus important s’agissant des familles. « Il y a en plus la mauvaise image de la tutelle auprès du grand public, car elle est médiatisée lorsqu’il y a des abus », ajoute Bénédicte Marabet.

Pour autant et dans l’ensemble,les majeurs dressent un bilan positif de la mise en place de la mesure et de son impact sur leur qualité de vie. « Pour des personnes dont le parcours antérieur a été mouvementé, voire chaotique, la mesure de protection a permis d’apporter un cadre et l’accès à des droits et des aides dont elles ne bénéficiaient pas jusqu’alors. » Ils mettent aussi en avant comme bénéfices « la stabilité dans le cadre de vie » et la « sérénité » apportée.Quant aux « contraintes liées à la mise en place de la mesure », elles sont surtout ressenties au début de l’accompagnement. Les auteurs soulignent que les majeurs protégés dont la mesure est gérée par un proche dressent globalement à peu près le même bilan.

Quelle éthique pour les MJPM ?

Alors que l’étude de l’Ancreai, à travers des entretiens en vis-à-vis avec des mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM), apporte des éléments qualitatifs sur les relations de ces professionnels avec les majeurs protégés, leurs pratiques d’accompagnement et les difficultés qu’ils rencontrent, la Fédération nationale des associations tutélaires (FNAT) vient de publier un ouvrage consacré à l’éthique du MJPM. « L’approche de l’éthique ici développée se veut pratique en ce qu’elle est en relation constante avec la pratique professionnelle », explique la FNAT dans la présentation de ce livre conçu comme un « guide méthodologique ». Celui-ci est « centré sur les activités principales du MJPM et les questions d’éthique spécifiques qu’elles posent ». L’ouvrage passe en revue les thématiques du logement, de la gestion de l’argent et du patrimoine, de la santé et des soins et, enfin, des relations familiales et sociales de la personne protégée. « Pour chacune d’elles, des analyses de cas sont proposées selon la méthode des scénarios, qui repose sur une courte description de la situation et expose les postures possibles face à elle », précise la FNAT.

Ethique du mandataire judiciaire à la protection des majeurs. De la théorie à la pratique professionnelle – FNAT – ESF Editeur – 21,90 €.
Notes

(1) Rapport en ligne sur www.ancreai.org.

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