Directeur de l’EHPAD des Jardins du Castel, à Châteaugiron (Ille-et-Vilaine), Michel Barbé est un homme heureux… En tout cas, lorsqu’il parle du service de restauration de son établissement. « Cela sonne peut-être un peu bizarre, mais c’est le cas, sourit-il. Le repas constitue un moment très important pour les résidents âgés, et j’ai la chance de pouvoir compter sur une équipe de restauration très professionnelle et toujours volontaire. » Dans cet établissement public autonome de 121 places, les cuisiniers « sont là pour les résidents », affirme leur chef, Philippe Chevalier, et ils ne ménagent pas leurs efforts pour que les plats aient du goût et de la tenue. La première fois que le directeur a goûté un repas mixé (une texture servie à près de 40 % des résidents), lui-même reconnaît avoir été surpris. « Ce menu est identique à celui du repas classique. Et s’il prévoit de la betterave, de la blanquette et de la tarte aux pommes, vous retrouvez vraiment la saveur de chaque aliment », assure Michel Barbé.
Composés deux mois à l’avance par une commission intégrant des représentants des résidents, les menus comportent assez peu de régimes particuliers. En dehors des pathologies cardiaques ou d’un autre risque médical grave, les diététiciens « privilégient le plaisir de manger », observe le directeur. Dans le restaurant de chaque pavillon, le poste hôtelier connaît les préférences de chacun, peut ajouter un peu de sauce ou servir une quantité adaptée à l’appétit du jour. Et, l’an dernier, une pesée rigoureuse des déchets a permis de réduire le gaspillage et de réaliser 8 000 € d’économies d’achats alimentaires, sur un budget de 200 000 €.
Dans les établissements médico-sociaux, les repas se situent à l’articulation entre le soin et la convivialité. Pour en finir avec l’image déprimante de la cantine industrielle, à la saveur inversement proportionnelle à la quantité d’emballages, les pouvoirs publics ont lancé au printemps une « charte nationale pour une alimentation responsable et durable » (voir encadré). Les structures du secteur n’avaient cependant pas attendu ce texte non contraignant pour s’atteler au sujet. Des exemples ? Les « dîners aux chandelles » organisés en petits groupes par l’animatrice des EHPAD de Bondues et Mouvaux, dans le Nord, le passage au bio des ESSMS de la Loire sous l’impulsion du conseil départemental, le concours annuel mettant en concurrence des chefs du groupe Korian… D’autant que l’importance des repas avait été soulignée à plusieurs reprises par l’ANESM (Agence nationale de l’évaluation de la qualité des ESSMS) : « Manger ne peut se réduire à l’unique satisfaction d’un besoin primaire et physiologique », rappelait ainsi l’agence en 2011 dans sa recommandation sur la qualité de vie en EHPAD.
A l’Adapei de la Loire, la restauration et la nutrition constituent désormais un volet distinct du projet associatif. L’association sert 750 000 repas par an à des personnes en situation de handicap : autant dire que l’enjeu est colossal. En 2011, une inspection des services vétérinaires dans un établissement avait mis l’association en demeure d’établir urgemment un plan d’amélioration, sous peine de fermer celui-ci. L’occasion pour l’association de se lancer dans un audit global. Le projet stratégique issu de cette réflexion a permis à l’organisation de reprendre la main sur ses repas. En 2013, sur la base d’un cahier des charges rigoureux, l’Adapei a ainsi dénoncé les contrats qui la liaient à six prestataires différents et a lancé un nouvel appel d’offres. « Il s’agissait de passer d’une approche standard, uniquement fondée sur des grammages, à une approche par couverture nutritionnelle, en fonction de grands groupes de consommateurs déterminés à partir du diagnostic individuel de nos 1 800 usagers », résume Francis Paillard, directeur territorial et membre du comité de pilotage du projet 3S (pour « santé », « satisfaction » et « sécurité »). Le partenariat noué avec les deux prestataires retenus a « bouleversé les manières de travailler », estime-t-il avec le recul. Les professionnels ont été formés à de nouvelles techniques culinaires, la distribution a été améliorée pour éviter la dégradation des saveurs entre la cuisine et le consommateur, la vaisselle a été renouvelée au profit de matériel moins bruyant, les produits frais sont privilégiés…
Trois ans après le démarrage de ce projet, l’Adapei 42 jongle désormais entre trois formules : production autogérée, production sur place concédée et production livrée puis distribuée. Quant au coût, il n’a ni baissé, ni augmenté. « Toutes les économies réalisées se sont retrouvées dans l’assiette », insiste Francis Paillard. En 2018, l’association vise la réinternalisation de la majorité de la production, à travers une cuisine centrale actuellement en construction.
Signée le 29 mars dernier par les ministres et secrétaires d’Etat concernés (agriculture-agroalimentaire et santé-social), la « charte nationale pour une alimentation responsable et durable dans les établissements médico-sociaux »(1) encourage les structures à proposer aux personnes âgées et handicapées une alimentation adaptée et saine, inscrite dans une démarche de responsabilité sociétale et de développement durable. Le texte insiste notamment sur la nécessité de piloter étroitement la mise en œuvre de ces grands principes, à travers une inscription dans le projet d’établissement, la participation de toutes les parties prenantes, la formation du personnel et l’établissement d’un plan d’action donnant lieu à des évaluations régulières.
« Depuis un an et demi, la Résidence Sainte-Elisabeth s’est lancée dans un travail de fond autour de l’amélioration gustative et nutritionnelle des repas servis aux 78 résidents. Nous sommes accompagnés par EC6, un cabinet d’audit et de conseil en alimentation et restauration. Dans un premier temps, nous avons changé de prestataire, au profit d’une filiale d’EC6 dont la proposition nous semblait mieux répondre à nos exigences. Conséquence immédiate : il a fallu renouveler la quasi-totalité de l’équipe de restauration, qui ne se retrouvait pas dans ce nouveau projet… Le premier niveau consiste à travailler sur la qualité des produits et des préparations. Désormais, nos quatre cuisiniers s’approvisionnent principalement en produits frais et tout est cuisiné sur place – les conserves ou les surgelés ne sont autorisés qu’une fois par semaine. Cet été, par exemple, nous avons servi des jus de fruits frais à tous les goûters ainsi que des glaces maison. Nous souhaiterions également privilégier les produits locaux et envisageons de rejoindre une centrale de référencement lyonnaise. Un autre établissement de la fondation s’est lancé dans la même démarche. Le deuxième niveau de ce projet est plus ambitieux. Il s’agit de mettre en application les préconisations du programme de recherche Renessens (« Réussir écologiquement une nutrition équilibrée et sensoriellement adaptée pour senior ») développé par EC6. Cette phase se déroule sur trois ans, jusqu’à la fin 2019, auprès de 40 résidents volontaires – avec un GIR moyen pondéré [niveau de dépendance] de 600, nos usagers sont plutôt autonomes. Il s’agit d’étudier le profil nutritionnel des participants et d’adapter les repas servis. En fonction des préférences énoncées par chacun, les apports sont concentrés sur les repas préférés (surtout le petit déjeuner), les habitudes sont observées pour proposer des compléments alimentaires dans les sauces ou les desserts… L’intérêt étant ensuite de mesurer les effets de ces changements sur différents indicateurs de l’état de santé : taux d’albumine, indice de masse corporelle… Ce projet de longue haleine, suivi par une équipe de chercheurs du CHU [centre hospitalier universitaire] de Dijon, demande davantage d’efforts à l’équipe de restauration. Pour le médecin coordonnateur, l’infirmière coordinatrice et moi-même, l’aspect expérimental est très enthousiasmant. Et nous ne perdons pas de vue l’essentiel : l’amélioration de la qualité du service rendu. »
(1) Disponible sur