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Accréditation des EFTS par l’enseignement supérieur : quels enjeux ?

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Les formations en travail social de niveau III peuvent désormais accéder à la reconnaissance du grade de licence. Un « tournant historique », estime Stéphane Rullac, directeur de la recherche et directeur scientifique à l’IRTS Paris Ile-de-France, mais qui soulève une série de questions dans la mesure où la certification du diplôme demeure l’apanage des universités et des grandes écoles publiques. Autre inconnue : la constitution du travail social en une véritable discipline universitaire de type licence-master-doctorat.

« L’instruction interministérielle du 9 mai 2017 présente le processus d’accréditation des écoles de formation en travail social (EFTS) par le ministère de l’Enseignement supérieur, pour que les formations du travail social de niveau III accèdent enfin à la reconnaissance de licence. Le cadre législatif de référence est l’arrêté du 22 janvier 2014 fixant les modalités de cette accréditation, même si cette dernière est spécifique à cet appareil de formation, et non celle réservée aux universités ou aux grandes écoles. Ce processus constitue un tournant historique pour ces écoles qui signent enfin leur entrée pleine et entière dans le champ de l’enseignement supérieur. Cette double réforme concerne les actuels diplômes d’Etat de niveau III(1), qui se verront également réformés dans leurs programmes à la rentrée de septembre 2018 pour satisfaire leur reconnaissance de licence. Pour accompagner l’acculturation d’un appareil de formation professionnelle qui s’est constitué historiquement en dehors du champ académique (universités et grands établissements ou écoles), l’instruction oblige chaque EFTS à conclure une convention avec une université publique. Les diplômes préparés resteront des diplômes d’Etat (DE) concomitamment gradés licence, dans le cadre d’une certification assurée par le rectorat.

Le droit commun de l’enseignement supérieur

Cette accréditation s’inscrit dans le principe d’harmonisation européenne de tous les diplômes supérieurs, fixé par les accords de Bologne de 1999 et transcrit dans le droit français par les décrets du 8 avril 2002. Cette harmonisation repose sur la norme du triptyque « licence-master-doctorat » (LMD) et des ECTS (European Credits Transfer System). Pour s’attaquer à ce chantier, le législateur a intégré les formations de niveau II en travail social dans les ECTS depuis la circulaire interministérielle du 5 décembre 2011, pour qu’elles obtiennent un niveau licence. L’obtention du grade de licence représente ainsi une avancée notable de l’entrée dans le droit commun de l’enseignement supérieur des formations professionnelles du travail social, même si du chemin reste à faire. En effet, cette accréditation ad hoc se limite à une autorisation de préparation et non de certification, sous une forme de supervision universitaire, même si la logique annoncée est celle de la coproduction. Si l’autorisation de décerner un jour un grade universitaire pour les EFTS est envisageable, cet horizon sera indépassable dans la mesure où la délivrance des diplômes universitaires est le monopole des universités et des grandes écoles publiques françaises, comme vient de le rappeler le Conseil d’Etat le 7 juin 2017.

Universitarisation versus académisation

En matière d’intégration des EFTS dans le champ de l’enseignement supérieur, deux pistes sont possibles.

• L’universitarisation : comme les écoles d’infirmières, l’établissement prépare le diplôme universitaire, mais c’est l’université partenaire qui le délivre. L’universitarisation peut aussi être totale, comme pour les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) qui ont été intégrées dans les universités.

• L’académisation : comme les écoles de commerce ou celles de gestion, l’établissement délivre le grade de licence.

En l’état, le processus d’accréditation des EFTS a tourné le dos à la logique d’universitarisation, qui garantit une forme d’autonomie institutionnelle conformément au modèle d’un appareil formatif construit par un champ professionnel, en dehors d’une reconnaissance académique. Cette continuité historique est certainement liée à la mobilisation de l’Unaforis (Union nationale des acteurs de formation et de recherche en intervention sociale), depuis 2008, qui a permis aux EFTS de se mobiliser collectivement. Si le projet des HEPAS (hautes écoles professionnelles en action sociale) a échoué, et avec lui la possibilité de certifier le grade dès à présent, cette mobilisation a permis néanmoins que les EFTS échappent à une universitarisation pour prendre le chemin d’une académisation plus conforme à son histoire. Ce processus d’autonomisation est cependant partiel, comme nous l’avons déjà dit, et laisse comme perspective d’évolution l’obtention du droit à certifier le grade de licence et à conventionner librement avec une université. Les textes ont leur esprit et les acteurs qui les appliquent possèdent leur propre lecture. Si cette accréditation est claire dans ses attendus, c’est la réforme concomitante des DE gradés licence qui autorise des interprétations. De manière paradoxale, une universitarisation aurait permis aux EFTS de rester en l’état, sans modifier outre mesure leur modèle formatif. En effet, la tutelle universitaire qui certifie aurait servi de caution académique, sans obliger les EFTS à se réformer. Ce processus d’accréditation est tout le contraire, tant le début d’autonomie accordée à ces écoles repose sur leur capacité à s’acculturer selon les normes académiques.

Bidiplômation versus codiplômation

Si le conventionnement avec une université est un appui, elle ne peut suffire, surtout si la certification du grade est un jour sollicitée par un EFTS. De manière pragmatique, l’obtention de l’accréditation implique à court terme l’adoption des normes du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES). C’est le prix de l’obtention de l’indépendance académique des EFTS qui intègrent des critères spécifiques de qualifications, de compétences, d’activités et de publications scientifiques. Face à ces enjeux, deux pistes de partenariats avec les universités sont possibles.

• La bidiplômation : la convention entre l’EFTS et l’université vise à ce que les étudiants en travail social obtiennent concomitamment le DE gradé délivré par le rectorat et le diplôme de licence délivré par l’université.

• La codiplômation : la convention entre les EFTS et les universités vise à la mise en synergie des équipes de formateurs et d’enseignants au service de la qualité de chaque diplôme, afin que le DE gradé délivré par le rectorat intègre davantage une qualité scientifique et que le diplôme de licence délivré par l’université intègre davantage une qualité professionnelle.

Nous postulons que le processus d’accréditation des EFTS rend obsolète la bidiplômation, qui reposait sur un déficit de légitimité et de continuité entre les modèles formatifs des EFTS et des universités. L’obtention du grade comble ce déficit et ouvre la voie à des relations plus équilibrées avec les universités, de licences (diplômes) à licences (grades), afin de renforcer mutuellement les formations de chacun en mutualisant les forces et les spécificités. Rappelons que si les étudiants des EFTS devaient préparer une licence, l’inverse n’était pas vrai. Cette quête de légitimité se payait alors au prix fort : un double travail des étudiants pour compenser un déficit de légitimité des formations du travail social. Nous pensons également que la bidiplômation peut à terme offrir la tentation de revenir à une universitarisation, si ce n’est officielle, du moins de fait.

Prise en compte du projet professionnel

Dès lors, se pose la question du droit des travailleurs sociaux gradés licence de continuer leurs études en master, dans la mesure où la discipline du travail social n’existe pas en France. Depuis la loi du 24 décembre 2016, les universités sont autorisées à faire une sélection à l’entrée du master. De ce fait, les travailleurs sociaux pourraient en faire les frais et se voir recalés pour entrer dans le master 1 de leur choix. Cependant, dans un même temps, un droit à la poursuite d’étude a été instauré pour les détenteurs d’une licence (y compris professionnelle ou gradée) qui se seraient vu refuser l’entrée d’un master. Les étudiants dans cette situation peuvent faire appel au rectorat, qui doit soumettre trois propositions. Le projet professionnel sera pris en compte dans ces suggestions. La mise en œuvre de ce droit pourrait ainsi s’intégrer aux nouvelles responsabilités des EFTS, pour assurer la continuité de la formation de leurs étudiants. Plus généralement, les EFTS doivent aujourd’hui intégrer la nouvelle valorisation dans le champ académique de leur offre de formation inaugurée par cette accréditation, et tourner le dos aux anciennes stratégies de compensation d’une faiblesse statutaire de leurs certifications qui n’est plus. »

Contact : srullac@parmentieridf.fr

 

Notes

(1) Le diplôme d’Etat d’assistant de service social (DEASS), le diplôme d’Etat d’éducateur spécialisé (DEES), le diplôme d’Etat d’éducateur technique spécialisé (DEETS), le diplôme d’Etat d’éducateur de jeunes enfants s(DEEJE) et le diplôme d’Etat de conseiller en économie sociale et familiale (DECESF).

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