Les centres locaux d’information et de coordination gérontologique (CLIC) ont toujours été victimes d’une forme d’imprécision. Nés d’une circulaire en 2001(1), ils sont apparus aussitôt comme des structures à géométrie variable avec leurs trois niveaux de labellisation bien distincts. Selon la configuration médico-sociale sur laquelle ils s’implantaient, ils pouvaient n’être qu’un guichet d’accueil et d’information destiné aux plus de 60 ans (niveau 1), recevoir en plus un mandat du département pour l’évaluation de la situation des personnes (niveau 2) et aller jusqu’à exercer un rôle de coordination des acteurs locaux autour des situations (niveau 3). L’accueil sur le terrain a été au diapason. Leur facette « information » les a fait paraître tantôt comme une opportunité de franchir un palier dans l’orientation des personnes âgées, tantôt comme un doublonnement des missions déjà remplies par les centres communaux d’action sociale (CCAS) ou les services sociaux du département. Idem pour leur vocation de coordination et d’organisation des acteurs. Alors que se développaient les réseaux gérontologiques, certains ont aussitôt fait des CLIC un outil central pour la cohésion des acteurs locaux, quand d’autres n’ont vu dans leur apparition qu’une nouvelle couche au millefeuille institutionnel. Autant de visions antagonistes qui expliquent que certains départements n’ont jamais connu de CLIC, tandis que d’autres ont procédé à un maillage savant et complet de leur territoire. A l’image de l’Ille-et-Vilaine, qui ne compte pas moins de 14 CLIC.
En juin 2017, un premier état des lieux national, lancé à l’initiative de l’Association nationale des coordinateurs et coordinations locales (ANC.CLIC), est venu confirmer cette impression d’un dispositif laissé à l’interprétation des acteurs(2). A commencer par la pléthore d’appellations venues se substituer à l’acronyme « CLIC » en vigueur dans les textes, telles que Point info seniors, Point ressources services, Espace seniors, Espace public personnes âgées… Le nombre de services reste lui-même incertain. Les fichiers non actualisés des administrations font état d’un millier de lieux d’information, dont 592 CLIC labellisés, « sans que ces sources puissent être confirmées, en raison de l’incertitude qui règne sur la différentiation entre CLIC, antenne de CLIC, point d’entrée d’un réseau gérontologique », observe l’ANC.CLIC dans son bilan.
Sur le plan des missions, certains CLIC apparaissent en plein dynamisme jusqu’à devenir les animateurs des politiques d’autonomie développées par les agences régionales de santé (ARS) et les départements, tandis que d’autres restent limités à un simple rôle de diffuseur d’informations, voire sont tout simplement menacés par les arbitrages économiques des collectivités territoriales.
C’est dans ce contexte morose que l’ANC.CLIC repère pourtant l’importante transition abordée par une nouvelle génération de CLIC. Avec l’évolution rapide de la législation, nombre d’entre eux se sont inscrits dans les dynamiques de parcours, de coordination et d’intégration incarnées par les programmes Paerpa (personnes âgées en risque de perte d’autonomie), expérimentés depuis 2013, et les « plateformes territoriales d’appui », lancées en 2016 pour favoriser la coordination des parcours de santé complexes. Ces deux dispositifs empruntent très directement aux missions des CLIC en les élargissant à une organisation qui intègre praticiens libéraux, acteurs du sanitaire, du social et du médico-social.
Selon Richard-Pierre Williamson, président de l’ANC.CLIC, la notion de porte d’entrée, qui fonde l’existence des CLIC, n’a jamais paru autant d’actualité. « Toutes les personnes âgées dépendantes ne correspondent pas forcément aux publics des nouveaux dispositifs de coordination et d’intégration. Il faut donc une porte d’entrée qui informe, évalue, suit, coordonne, et qui puisse proposer en back office du Paerpa pour les plus de 75 ans, de la gestion de cas des MAIA [méthode d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie] pour les plus fragiles ou de la plateforme territoriale d’appui pour les maladies chroniques », explique-t-il.
Paulette Guinchard à l’origine du programme des CLIC, en 2000, en tant que secrétaire d’Etat aux personnes âgées du gouvernement de Lionel Jospin, appelle elle aussi à une convergence des coordinations. La « vision globale du vieillissement », propre aux CLIC, doit contrebalancer « l’approche trop sanitaire » prise ces dernières années par les politiques publiques, milite-t-elle. « Ne laissons pas les vieux aux mains des médecins. Les CLIC sont porteurs d’une culture et d’une expérience du social : leur rapprochement avec les Paerpa et autres dispositifs d’intégration est essentiel. »
Signe de cette transition : les appels à projets de la conférence départementale des financeurs, instaurée par la loi d’adaptation de la société au vieillissement pour articuler les financements de la prévention de la perte d’autonomie entre les secteurs sanitaire, social et médico-social, sont devenus pour les CLIC un moyen de se doter de nouvelles marges opérationnelles. La moitié y ont recours, notamment en matière de prévention en santé et de soutien à l’innovation. De même, 30 % revendiquent une activité auprès des personnes en situation de handicap, enfants comme adultes, en devenant les relais sur les territoires de la maison départementale des personnes handicapées (MDHP).
La trajectoire du CLIC de Nancy et couronne, en Meurthe-et-Moselle, apparaît comme un exemple type. Dans ce département pionnier en matière de coordination, les CLIC du territoire ont été placés dès le départ sous la bannière large de la perte d’autonomie, en incluant personnes âgées et adultes handicapés. « Même si les publics sont différents, il existe des points de convergence, ne serait-ce qu’à travers la nécessité pour les personnes handicapées de bénéficier d’un accueil en proximité pour les épauler dans leurs démarches d’accès au droits », explique Boris Bernard, directeur. L’évolution de la structure découle de cette logique. En 2004, le CLIC de Nancy et couronne englobe les équipes « APA » (allocation personnalisée d’autonomie) du département. En 2005, il sert tout naturellement de guichet d’accueil à la MDPH qui vient de s’implanter. En 2009, il devient coporteur, avec le réseau gérontologique local, de la MAIA du département. En 2013, l’expérimentation du projet Paerpa signe un rapprochement sous le même toit du CLIC et du réseau gérontologique, tous deux plébiscités par les professionnels pour porter la coordination territoriale d’appui du dispositif Paerpa. A cette occasion, un numéro unique est mis en place pour orienter, en fonction de la question posée, vers le CLIC ou le réseau sanitaire et médico-social.
Faut-il toujours parler d’un CLIC au sens du texte fondateur ? Boris Bernard en est convaincu, même s’il milite pour une transformation de l’appellation en « maison territoriale pour l’autonomie », plus parlante pour les familles. Quant aux 25 professionnels désormais regroupés dans la structure, ils croisent leurs compétences, œuvrent ensemble au quotidien, mais ont conservé leur statut d’origine, avec par exemple une équipe d’évaluation « APA » sans lien hiérarchique avec celle du CLIC. « Le travail de pilotage du CLIC consiste de ce fait en beaucoup de coordination interne, avec l’enjeu de porter une déclinaison opérationnelle du schéma territorial d’autonomie adopté par le département », résume le directeur.
Dans les Deux-Sèvres, Pascal Pousse, directeur du CLIC du Pays de Gâtine et pilote de la MAIA nord Deux-Sèvres, à Parthenay, évacue même toute idée de niveau d’intervention pour sa structure officiellement labellisée en niveau 1. « Nous avons dépassé les missions du CLIC pour aller jusqu’à la gestion des parcours de santé, y compris pour les personnes en dessous de 60 ans avec la gestion de cas de la MAIA ou la mise en place d’actions de retour au domicile pour des personnes gravement accidentées en sortie d’hôpital. » Porté par l’Association gérontologique de Gâtine, le CLIC et ses trois antennes territoriales s’est imposé comme un outil majeur de la politique d’autonomie du département en devenant le centre d’un dispositif regroupant MAIA, réseau de santé gérontologique et plateforme de répit, le tout accessible par un numéro unique. Situé dans les locaux du conseil départemental, il travaille avec le service d’action sociale généraliste du département pour des problématiques sociales (accès aux droits, logement, difficultés financières), ainsi qu’avec l’équipe d’évaluation de l’APA – cette dernière assure les missions d’évaluation globale qui incombaient auparavant au CLIC. Enfin, une fiche de contact et d’orientation informatisée, créée à l’initiative de la MAIA, permet de relayer les plans d’intervention préconisés vers les acteurs les plus adéquats, tels que les médecins généralistes dans le cadre de la mise en place d’un projet de soins personnalisé.
En dépit de cet élargissement du périmètre de compétences, qui peut aller jusqu’au suivi de l’effectivité des préconisations à l’intérieur du réseau sanitaire et social, « nous continuons de nous projeter en tant que CLIC », assure Pascal Pousse. La différence tient, selon lui, au mandat accordé à la structure par le département. « Le conseil départemental nous a clairement donné comme mission d’être l’animateur de la coordination gérontologique sur un territoire. En clair, on peut s’impliquer dans n’importe quel projet porté par les acteurs locaux, proposer des initiatives pour mieux articuler les structures et les dispositifs entre eux dans le cadre du parcours d’une personne, comme on peut développer de nouveaux projets avec le réseau des partenaires. » A terme, l’objectif du département est de capitaliser sur la maturité acquise dans le champ des personnes âgées pour déborder sur d’autres types de publics.
Autre scénario, à Paris, avec l’inscription du CLIC Paris émeraude Nord-Est dans une supercoordination territoriale créée dans le cadre de l’expérimentation Paerpa dans les IXe, Xe et XIXe arrondissements. Face à la densité de l’offre sanitaire, sociale et médico-sociale de la capitale et à la difficulté d’y impliquer les professionnels de santé libéraux, l’ARS et la Ville de Paris ont choisi de regrouper, en 2016, coordination territoriale du Paerpa, CLIC, réseau de santé et équipe de gestion de cas de la MAIA dans une même structure : la maison des aînés et des aidants (M2A). Cette nouvelle entité dotée d’une équipe pluridisciplinaire de 17 professionnels a pour double objectif le décloisonnement des acteurs et l’aide à la fluidification du parcours de santé des personnes de 60 ans et plus. Joignable via un numéro unique, la M2A conserve les missions traditionnelles d’accueil, d’information et d’orientation du CLIC, tout en venant en appui aux professionnels de terrain pour de la coordination, de l’évaluation multidimensionnelle ou la définition de plans d’action. « L’évaluation du CLIC, qui était jusqu’alors tournée vers le plan d’aide, vise désormais un plan d’aide et de soins. De même, le suivi social d’une personne nécessitant des soins primaires peut s’élargir, s’il le faut, à un suivi médical en lien avec le médecin traitant », explique Aurélie Misme, directrice médicale de la M2A, et responsable du CLIC Paris émeraude Nord-Est.
Ce brassage de missions a nécessité de dépasser le périmètre d’action de chaque structure intégrée dans le dispositif parisien. L’équipe du CLIC est ainsi indifférenciée dans l’ensemble plus large de la M2A. « Mais les anciens du CLIC gardent leur identité de travailleurs sociaux, tout en ayant été formés et accompagnés dans une vision plus large de leur métier », explique la directrice. Ces professionnels de culture sociale, coordinateurs gérontologiques pour la plupart, n’hésitent plus à récupérer un compte rendu médical, comme l’autorise le décret sur le secret professionnel entourant l’expérimentation du Paerpa, et à échanger avec leurs homologues du soin par une messagerie de santé sécurisée.
Forte de sa connaissance des problèmes des CLIC, Aurélie Misme estime cette évolution inévitable. « S’il ne faut surtout pas perdre l’idée d’une porte d’entrée sur l’offre de services aux familles, il reste que nous sommes dans des équilibres sanitaires et sociaux qui s’ajustent en permanence et que le CLIC ne pouvait faire autrement qu’évoluer. Demain encore, la structure que nous avons mise en place devra elle aussi se transformer. » Avec un premier bilan positif de 12 000 appels téléphoniques parvenus à la M2A en 2016 et de 1 900 plans personnalisés de santé mis en place, la Ville de Paris et l’ARS entendent généraliser l’expérience. Une maison des aînés et des aidants sera créée sur chacun des six territoires gérontologiques de la capitale, en précipitant de fait la fusion des six CLIC existants.
Combien sont ces super-CLIC ? Nés d’ajustements des acteurs locaux, parfois jusqu’à déborder des cadres réglementaires, leur configuration très diverse interdit pour l’heure toute comptabilité. Mais il est probable qu’avec la prochaine généralisation des dispositifs Paerpa et autres systèmes d’intégration des professionnels, leur nombre ne fera qu’augmenter. De premiers éléments de réponse devraient être apportés par l’ANC.CLIC courant 2018, grâce à un second volet d’enquête effectué auprès des conseils départementaux, avec cette fois l’intention de préciser le nombre précis de CLIC et les différents modes d’organisation dans lesquels ils s’inscrivent. Leur dynamique repose toutefois la question des différences de moyens et d’objectifs sur les territoires. Face à la tentation de repli de certains départements, l’ANC.CLIC estime à ce titre urgent de « sanctuariser » les missions d’accueil en proximité, d’information, de conseil et d’orientation réalisées aujourd’hui par les services. L’association en appelle également à l’installation d’un « pilotage national des CLIC », seul moyen pour engager une régulation du dispositif. « Celui-ci pourrait être confié à la CNSA [Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie], comme pour les MDPH. Sur le budget de 23 milliards d’euros de la caisse, 600 millions sont détournés chaque année par l’assurance maladie ; c’est la somme qu’il faudrait aux départements pour continuer à développer les CLIC », glisse Richard-Pierre Williamson.
Reste l’adaptation du cahier des charges national. Depuis 2001, ses trois niveaux de labellisation et son ancrage sur les seniors ont été dépassés par la mise en place des parcours de santé, établis non plus en fonction du handicap ou de la maladie, mais en fonction de la complexité des besoins des personnes. La différence ? « Les professionnels ne se réfèrent plus à leur structure d’origine. L’idée du parcours est de mettre en face de l’usager l’acteur le plus compétent, au meilleur coût et au moment donné », explique Eliane Abraham, responsable de la coordination territoriale d’appui du dispositif Paerpa de Nancy.
Si certains CLIC pourraient y trouver un rôle de chef d’orchestre, il n’est pas dit que ce soit le cas de tous, en raison des disparités territoriales. Marie-Dominique Lussier, manager à l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP), ne cache d’ailleurs pas que la convergence des dispositifs nécessaire à cette dynamique de parcours pourrait se révéler « douloureuse », en raison des doublons de missions et des superpositions d’organisations sur le terrain. « Répondre aux besoins des populations, ce n’est plus se poser la question du meilleur statut juridique pour avancer, ni de la place du CLIC par rapport à un autre acteur, mais déterminer quel est le meilleur dispositif d’appui pour y parvenir. » Et de mettre en garde : « Les structures ne sont pas propriétaires de ce qu’elles produisent, mais au service des usagers. »
L’alerte vaut particulièrement pour les responsables de CLIC, divisés à parts égales entre optimistes et pessimistes quant aux choix que les décideurs locaux pourraient faire à brève échéance. « Les optimistes sont les bien-portants, grâce à des départements qui vont de l’avant et, pour certains, sont déjà dans des CLIC de nouvelle génération », précise le président de l’ANC.CLIC.
Au-delà des statistiques, le dossier devrait continuer à évoluer sous l’impulsion de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm). Celle-ci a en effet annoncé le lancement, dans le cadre de son programme 2017-2018, de groupes de travail chargés d’élaborer des recommandations de bonnes pratiques pour les CLIC. Une forme de reconnaissance, quinze années après l’installation des si discrets centres locaux d’information et de coordination gérontologique.
CLIC d’un côté, Paerpa de l’autre : ces deux dispositifs possèdent de nombreuses similitudes. Si les Paerpa proposent aux acteurs de s’intégrer dans un fonctionnement collectif, les CLIC les ont précédés avec leur vision élargie de la coordination. Selon la circulaire de 2001, les CLIC ont pour mission de « mettre en cohérence les dispositifs existants et recomposer l’offre de services avec une démarche d’approche globale et personnalisée du besoin d’aide des personnes âgées ». Ils contribuent à « la mise en relation des acteurs », y compris le médecin traitant. Ils visent également à « repérer les besoins des personnes âgées, individuels ou collectifs, à détecter les situations de crise et de rupture et à les anticiper chaque fois que possible ». Enfin, chaque CLIC doit tendre vers une organisation qui lui permet d’assurer « un suivi complet d’une personne », de « gérer les situations d’urgence », en passant « des partenariats avec les établissements sanitaires et médico-sociaux ». Autant de points communs qui facilitent les rapprochements, là où les Paerpa sont expérimentés.
(1) Circulaire du 18 mai 2001 relative aux centres locaux d’information et de coordination (CLIC) – Modalités de la campagne de labellisation pour 2001.
(2) « État des lieux national des services CLIC et autres structures d’information et de coordination », présenté lors de la journée nationale de l’ANC.CLIC, le 6 juin 2017.