Au lycée Jean-Quarré, durant l’été 2015, Juliette Kahane – ou plutôt Hannah, son alter ego – a côtoyé « la peur, la colère, l’idéalisme, la générosité, l’humour, la truanderie, la tristesse, l’espoir – mais jamais l’indifférence, qui est l’ordinaire de la vie parisienne ». C’est sans doute cela qui l’a poussée à suivre Ray, l’une de ses vieilles amies, afin de prêter main-forte aux quelque 1 000 migrants qui occupaient alors cet établissement parisien désaffecté, rebaptisé « Mdr » (maison des réfugiés). « Je connaissais ce bâtiment, parallélépipède de béton situé sur le flanc de la place des Fêtes, aussi triste et laid que les barres et les tours qui la cernent », écrit l’auteure, qui relate dans Jours d’exil son expérience de « bénévole naïve ». Celle qui, pourtant, se disait lasse « des luttes collectives » et de « la compassion organisée » s’implique et raconte ce qui s’y passe, comme la surpopulation du lieu, qui devient chaque jour plus invivable, ou les bagarres fréquentes qui opposent Afghans et Soudanais. « Souvent, c’est un événement insignifiant qui met le feu aux poudres, parfois ça se bouscule et ça retombe vite, d’autres fois le rafiot entier s’enflamme et tout le voisinage est aux fenêtres. » Les réfugiés ne comprennent pas pourquoi la « Mdr » est si mal organisée, mais ils supportent car ils ne sont plus obligés de dormir dans la rue, et ils ont moins faim. Certains, lassés, étouffent tellement qu’ils retournent dormir dans un coin de jardin ou de rue quelques jours, jusqu’au moment où ils sont chassés par la police et reviennent au lycée.
Puis il y a Zal, l’un des piliers du lieu, que les Afghans considèrent comme porte-parole en cas de conflit et avec lequel Hannah se lie. Elle a aussi des affinités avec les réfugiées, pour beaucoup des Erythréennes, qui ne se déplacent qu’en groupe et ne se mélangent pas aux hommes. Selon l’auteure, le lycée est un grand marché de troc où l’on cherche tous quelque chose : les exilés, un toit et quelques jours de répit ; les militants, un terrain de lutte ; les flics, des renseignements ; les soutiens, activistes et autres bénévoles, une occasion d’agir. « Sans compter le flot de donateurs qui ne tarit pas, de truands, de proxénètes et de pédophiles qui cherchent un nouveau terrain de chasse, les ravis qui viennent proposer aux migrants une initiation à la méditation tantrique, les associations caritatives religieuses ou non, la compagnie lyrique venue chanter Purcell dans la cour… »
Jours d’exil
Juliette Kahane – Ed. de l’Olivier – 18 €