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" Les enfants ayant des parents handicapés ou malades sont plus vulnérables "

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De nombreux enfants grandissent avec un parent malade ou handicapé. Une situation dont on parle peu mais qui n’est pas sans conséquences sur leur construction. Or, selon la psychologue Jaqueline Wendland, qui a codirigé un livre sur le sujet, il existe encore peu de structures d’écoute et de soutien pouvant aider les familles confrontées à cette réalité particulière.
D’où est venue l’idée de ce livre ?

Il est le résultat d’une recherche qui s’est effectuée entre 2013 et 2015, dont l’objectif était de recenser les travaux scientifiques existants sur le développement et le devenir des enfants vivant avec des parents malades ou handicapés. Faute de chiffres officiels, il est difficile de savoir combien d’enfants se trouvent dans cette situation, d’autant que le phénomène recouvre des situations très différentes – allant des pathologies mentales ou somatiques aux handicaps (moteurs, sensoriels et intellectuel) –, mais cela concerne un pourcentage non négligeable de jeunes. Surtout, en épluchant la littérature nationale et internationale, nous nous sommes aperçus qu’il existait plus d’études sur le quotidien des parents ayant un enfant malade que l’inverse. Notre travail devrait donc contribuer à combler un manque. En effet, grandir avec un parent malade ou handicapé n’a rien d’anodin.

Quel est l’impact du handicap ou de la maladie d’un parent sur un enfant ?

La première conséquence concerne le parent lui-même, qui se retrouve entravé dans l’exercice de sa parentalité. Il a une disponibilité moindre : un papa en fauteuil roulant ne peut pas faire du foot avec son fils, une maman atteinte d’un cancer se bat pour survivre, elle ne peut pas porter toute son attention à sa famille, un parent souffrant d’une maladie psychiatrique peut avoir des troubles du comportement, des « crises ». La relation parent-enfant en est forcément affectée. Il y a souvent une inversion des rôles : c’est l’enfant qui prend soin de son parent, qui le protège. Il est amené à se responsabiliser et à le suppléer dans les tâches quotidiennes (courses, ménage, toilette, rendez-vous, prise en charge des frères et sœurs…). Il a moins de temps pour s’amuser, voir ses copains, apprendre. Certains enfants peuvent tirer des bénéfices secondaires à jouer presque un rôle d’adulte : hypermatures, ils peuvent être autonomes et indépendants plus tôt et acquérir une certaine liberté. Toutefois, c’est à double tranchant car, parallèlement, ils ne vivent pas leur enfance avec la même insouciance que leurs camarades. Ils sont en situation de vulnérabilité psychologique et physique.

Comment se traduisent ces fragilités ?

Un enfant qui doit se débrouiller plus ou moins tout seul à la maison est exposé à des risques d’accidents domestiques. Il n’est pas, non plus, à l’abri de troubles « psy », à commencer par le sentiment de culpabilité. L’enfant peut penser qu’il est responsable de ce qui arrive à son parent, surtout si la maladie ou le handicap est survenu après sa naissance et qu’il l’a connu autrement. Les enfants dont les parents sont malades peuvent être aussi plus anxieux ou dépressifs que les autres, ne serait-ce que parce qu’ils ont peur de les perdre. A la différence des autres enfants, ils peuvent être préoccupés par leur propre santé. Notamment, lorsque la pathologie du père ou de la mère a un caractère génétique, ils grandissent avec l’angoisse d’avoir un jour le même trouble. Ils ont également tendance à refouler leurs propres besoins pour ne pas solliciter leurs parents en permanence. Certains vont somatiser ou montrer des symptômes psychologiques ; d’autres parviendront à transformer cette expérience en quelque chose de constructif, qui pourra les aider à être plus forts plus tard. Dans une même fratrie, les effets ne sont pas identiques, certains enfants s’en sortent mieux que d’autres, en fonction de leurs propres vulnérabilités et ressources.

La situation est-elle différente selon l’âge ?

Cela pose parfois davantage de problèmes à l’adolescence. A cette période de la vie, le jeune peut avoir plus de mal à se différencier de ses parents et les conflits sont plus difficiles à gérer. Il peut réprimer des disputes, des conduites de défi face à des parents perçus comme malades, affaiblis. Pour construire son identité, l’adolescent a besoin de s’appuyer sur des modèles solides dont il est fier, mais aussi qu’il n’a pas peur de critiquer. Il n’est pas facile de s’identifier à l’image d’un père ou d’une mère défaillante. D’autant qu’il peut être victime au collège ou au lycée de railleries ou de moqueries qui lui rappellent que son parent n’est pas comme les autres. Dans les représentations collectives, le handicap reste vu comme une faiblesse, une « anormalité ». D’une manière générale, il arrive que, quel que soit leur âge, les enfants dont les parents sont malades ou handicapés se sentent exclus et développent une mauvaise estime de soi. Ils peuvent aussi avoir des difficultés scolaires. L’école peut être un lieu d’épanouissement où l’enfant est déchargé de ce qui se passe à la maison, mais il peut être aussi un lieu de stigmatisation. Personne n’accompagne ni ne vient chercher l’enfant après la classe, personne ne l’aide à faire ses devoirs… Il est également souvent privé de loisirs et d’activités extrascolaires, que ses parents ne peuvent lui offrir par manque de moyens.

L’enfant peut-il néanmoins compter sur son autre parent ou son entourage ?

Tout dépend des situations. Quand l’autre parent est valide, cela se passe mieux, mais parfois les deux parents sont atteints de troubles. Cela peut arriver, par exemple, dans un contexte de handicaps sensoriels, de toxicomanie ou d’autres troubles psychiatriques. Si, autour de lui, l’enfant n’a pas une famille soutenante, il ne peut compter sur personne. Les grands-parents peuvent jouer un rôle important, mais il faut qu’ils soient en bonne santé, disponibles et à proximité car, pour l’enfant, c’est le quotidien qui compte, pas uniquement de partir en vacances de temps en temps avec eux. En cas de négligence trop grande, les services de l’aide sociale à l’enfance peuvent décider de le placer. Ce paramètre douloureux s’ajoute aux autres difficultés. Or il est compliqué, voire impossible, pour un enfant d’être résilient quand il n’a pas de soutien.

Justement, les familles disposent-elles de lieux d’écoute et d’aide ?

Les enfants peuvent être pris en charge dans les centres médico-psychologiques, si besoin, et dans tous les lieux qui proposent des accompagnements aux familles, comme les associations. Certains bénéficient parfois d’une aide éducative en milieu ouvert, avec un éducateur qui les suit de près. Mais notre étude montre que les dispositifs sont très inégaux selon les régions. De même, il peut y avoir des équipes très spécialisées dans les grandes villes et des déserts ailleurs. Beaucoup de parents cherchent des informations sur Internet. Il faudrait développer des lieux d’écoute et de soutien avec des professionnels formés et supervisés. On ne peut pas improviser dans ce domaine, surtout avec les petits enfants, il faut un accompagnement spécifique. Cela pourrait se faire dans les services de protection maternelle et infantile. Pour les maladies comme le cancer, il existe des groupes de parole. En revanche, pour la psychiatrie, c’est le grand vide. Sans doute parce qu’il est plus facile d’expliquer à un enfant ou un adolescent que son parent a une maladie grave, qu’il est fatigué, qu’il doit prendre des médicaments pour se soigner que de lui dire qu’il a problème dans sa tête et que c’est pour cela qu’il crie parfois ou qu’il est instable.

Quelles pourraient-être les pistes d’actions à mener ?

Nous démarrons une deuxième recherche qui va donner la parole aux professionnels et aux familles. L’objectif est de savoir ce qu’ils souhaiteraient voir mis en place pour les aider concrètement. Ainsi, aujourd’hui, très peu de maternités disposent de locaux adaptés à l’accouchement d’une femme handicapée, le personnel n’est pas formé non plus. C’est pareil quand une femme a un cancer, elle est vue par l’oncologue comme une patiente qu’il faut soigner, bien sûr, mais pas comme une maman. Tout est cloisonné. Sans parler des stéréotypes : beaucoup de personnes pensent encore qu’une personne handicapée ne devrait pas avoir d’enfants. J’ai connu une maman déficiente mentale contrainte d’avorter plusieurs fois sous la pression de l’entourage et des professionnels, qui a fini par avoir un bébé après avoir caché sa grossesse jusqu’au cinquième mois. Elle a été accompagnée dans son travail de parentalité. Sa fille a 10 ans aujourd’hui et va très bien. Il faudrait développer les centres d’accompagnement à la parentalité pour parents malades ou en situation de handicap, comme celui qui existe à Paris, unique en son genre, qui propose une bibliothèque de livres en braille où les mamans aveugles peuvent venir faire la lecture à leurs enfants et où du matériel de puériculture est mis à disposition des mères en fauteuil roulant pour qu’elles puissent changer ou baigner leurs bébés.

Propos recueillis par Brigitte Bègue

Repères

Jaqueline Wendland est professeure de psychologie clinique et psychopathologie à l’Université Sorbonne Paris Cité, et psychologue clinicienne à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Avec Emilie Boujut et Thomas Saïas, elle a coordonné le livre La parentalité à l’épreuve de la maladie ou du handicap : quels impacts pour les enfants ? (éd. Champ social, 2017).

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