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Les services sociaux hospitaliers en mal de visibilité

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Obligés de jongler entre les exigences d’un accompagnement social souvent complexe et le raccourcissement des durées d’hospitalisation, les assistants sociaux de l’hôpital sont devenus experts en gestion des paradoxes. Artisans des liens entre l’intra et l’extra-muros, ils doivent s’employer à concilier le soin aux usagers et la bonne santé des établissements hospitaliers.

Les directeurs d’hôpitaux ont parfois des connaissances plus ou moins précises de l’activité du service social de leur établissement. « Il faut leur faire comprendre qui on est et comment on travaille », souligne Alain Bouchard, responsable du service social du centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy (Meurthe-et-Moselle). Mais ces explications ne sont pas nécessaires avec les dirigeants récemment arrivés en poste. « A l’Ecole des hautes études en santé publique [EHESP], on leur a dit que le service social est un acteur important de la sortie du patient, donc attention ! Il faut l’avoir à l’œil… Ces directeurs-là viennent vite nous voir : “Alors, on s’occupe de la sortie du patient, monsieur l’assistant social” Tous ceux qui sont fraîchement émoulus nous posent cette question, s’amuse Alain Bouchard. Ce qui, à la limite, n’est pas négatif car, pour une fois, quelqu’un s’intéresse à nous… »

De fait, si le rôle de ces assistants sociaux – ou socio-éducatifs, comme sont nommés ceux qui exercent dans la fonction publique hospitalière – ne se réduit évidemment pas à la préparation de la sortie, cette dernière est un axe prioritaire de leur intervention. En raison du mode de financement des établissements de santé, qui lie l’allocation des ressources à l’activité réalisée(1), les lits doivent tourner pour que l’hôpital ne se retrouve pas en (trop grand) déficit. « Il y a une quinzaine d’années, on nous demandait : “Alors, patient Untel ? Pas de réponse de la structure d’accueil sollicitée ? Bon, ce n’est pas grave, patient suivant.” Aujourd’hui, reprend Alain Bouchard, vous vous entendez rétorquer : “Comment ça, pas de réponse ? Mais qu’est-ce que vous fichez ? Eh bien, trouvez une autre solution, parce qu’on ne peut pas garder le malade.” » Mais une autre solution, cela peut vouloir dire une solution au rabais, une solution où la personne sera prise en charge dans de moins bonnes conditions. Or, il n’y a pas que les durées moyennes de séjour non respectées qui posent problème à l’établissement, il y a également les questions de qualité qui jouent de plus en plus aujourd’hui, à l’heure des procédures de certification. Faute de se sentir correctement traités, les usagers peuvent décider de se faire soigner ailleurs. C’est aussi ce que les services sociaux essaient de faire entendre aux directions d’établissements soucieuses de ne pas enregistrer de pertes d’activité.

Sécuriser les retours

« Dans l’analyse des parcours des patients, on se rend compte que la qualité des sorties n’est pas suffisamment prise en compte », commente Monique Kohser, responsable du service social des Hôpitaux civils de Colmar (Haut-Rhin). Or, quelle que soit l’orientation des intéressés – transfert vers un établissement de soins de suite, admission en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ou retour à domicile –, bien préparer la sortie, surtout dans les situations les plus complexes, permet aussi d’éviter les hospitalisations indues et répétées. « Les retours à domicile sont un gros volet de notre action. Ils nécessitent la mise en place d’aides – service de soins infirmiers à domicile [SSIAD] ou infirmière libérale, auxiliaire de vie, aide à la toilette, ou tout simplement aide au ménage, portage de repas ou téléalarme », détaille Monique Kohser. Outre ces aides, il faut établir des relais pour le suivi des patients en cas de besoin, afin de sécuriser et de consolider leur retour. Relais avec les services d’accompagnement à la vie sociale pour les personnes en situation de handicap, relais avec les CLIC (centres locaux d’information et de coordination) ou les gestionnaires de cas des MAIA (maisons pour l’autonomie et l’intégration des malades Alzheimer) pour les personnes âgées.

« Il y a des organismes à but lucratif qui démarchent les hôpitaux pour proposer un produit, par exemple du matériel médical, et qui disent : “On s’occupe de tout à la sortie.” Ils installent effectivement le lit médicalisé, si tout va bien les patients sont éventuellement remboursés, mais ça s’arrête là. Ces prestataires ne sont pas compétents pour faire l’expertise et les démarches sociales qui permettent aux personnes de savoir à quels droits elles peuvent prétendre et comment y accéder », dénonce Monique Kohser. Les services de soins des établissements pensent avoir réglé le problème en ayant fourni au malade sortant les ordonnances nécessaires pour qu’il ait du matériel adapté. Mais « c’est le service social hospitalier qui est à même d’actionner simultanément tous les rouages pour venir en aide aux patients, aux familles et, finalement, remettre en état l’équilibre socio-environnemental des intéressés », insiste la responsable du service social des Hôpitaux civils de Colmar (Haut-Rhin). Elle n’en reconnaît pas moins que, au vu des effectifs, les travailleurs sociaux ne peuvent voir, tout au plus, que 10 % à 20 % des publics fréquentant les établissements pour des consultations ou des hospitalisations et qu’ils sont contraints, par conséquent, de cibler leurs interventions. Seule exception : les services de cancérologie où, depuis l’introduction des consultations d’annonce et des soins de support dans le cadre des plans « cancer », tous les malades devraient systématiquement être rencontrés. « On connaît l’impact de cette maladie qui désorganise la vie, et la place extrêmement importante du social dans le suivi du parcours sanitaire du patient », fait observer Silvana Sion, responsable des services sociaux du Groupement des hôpitaux de l’Institut catholique de Lille (GHICL) (Nord).

Accès aux soins

Si raccourcir les durées moyennes de séjour constitue la grande préoccupation des établissements de santé, le problème d’une partie de la population n’est pas – ou pas seulement – d’être correctement accompagnée au moment de quitter l’hôpital, il est d’y entrer. L’accès aux soins est l’autre principale orientation de travail des assistants sociaux. Avec la montée de la précarité, ce domaine d’intervention va croissant. Ainsi, aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg (Bas-Rhin), les demandes formulées pour obtenir une couverture sociale (de base ou complémentaire) ou pour bénéficier de dispositifs tels que l’aide médicale de l’Etat (AME) ou les soins urgents (pour les étrangers en situation irrégulière non admis à l’AME) sont quasiment toutes en constante augmentation depuis trois ans, au niveau tant du service social que de la permanence d’accès aux soins de santé (PASS) de l’hôpital. L’aide à l’acquisition d’une protection maladie est évidemment capitale pour les patients. Elle l’est aussi pour l’établissement qui rentre ainsi dans ses frais. A l’issue du séjour des patients qui ont été hospitalisés, il s’agit aussi de trouver un hébergement pour ceux qui sont en situation de grande précarité. Cela suppose un travail en partenariat étroit avec les acteurs extérieurs, mais qui n’aboutit pas toujours, faute d’une offre à la hauteur des besoins.

Pour les personnes les plus fragiles – démunies, âgées ou en situation de handicap –, le développement des prises en charge médicales ou chirurgicales sur une journée, désignées par l’expression « virage ambulatoire », pose problème. « Pour repérer les personnes vulnérables qui viennent pour une intervention chirurgicale en ambulatoire, on a intégré à l’entretien infirmier d’accueil quelques critères relatifs à la précarité sociale, à l’isolement, aux difficultés d’accès aux soins, ainsi qu’à la polypathologie », explique Sylvie Brout, cadre socio-éducatif au centre hospitalier d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). « Quand un certain nombre de ces items sont renseignés, les infirmiers envoient un courriel d’alerte au service social de manière que nous rencontrions le plus vite possible les patients concernés », ajoute-t-elle. Et de plaider pour que cet entretien infirmier n’ait plus lieu le jour même de l’opération, mais en amont, lors de la consultation, quand sa date est fixée. En tout état de cause, « le service social hospitalier est tributaire du temps de l’intervention médicale, c’est un peu sa spécificité », développe Sylvie Brout. « Tous les jours, nous prenons soin de patients en urgence que nous n’avons jamais vus avant, par exemple des femmes victimes de violences. Nous avons l’habitude de travailler vite – avec beaucoup de relais au-dehors pour être efficaces. » La nature de l’action ne dépend d’ailleurs pas du temps dont les travailleurs sociaux disposent. « On peut, en quatre jours, être amené à traiter des problèmes énormes, comme faire un signalement au procureur d’un enfant en danger, ou demander une protection juridique ou une entrée en EHPAD pour une personne âgée », complète Monique Kohser.

Garant du suivi

« Les services sociaux sont constamment dans l’interrelation, en intra comme extra-muros », relève Silvana Sion, responsable des services sociaux du GHICL. Mais il a fallu expliquer aux partenaires extérieurs la métamorphose hospitalière : l’hôpital contemporain, c’est de moins en moins un lieu d’hébergement, de plus en plus un plateau technique. Pour s’adapter à cette nouvelle donne, le GHICL a créé le réseau santé-solidarité Lille Métropole avec deux autres établissements sanitaires – l’Etablissement public de santé mentale (EPSM) et le CHRU de Lille – et deux associations d’aide aux sans-abri. « Dans le cadre de ce réseau, nous avons mis en place des outils, comme l’intervision, pour étudier les situations complexes de personnes âgées complètement isolées, ou de personnes dans la grande précarité, afin de trouver pour elles des orientations à l’issue d’une hospitalisation, précise Silvana Sion. Après avoir été très centré sur lui-même, « l’hôpital, maintenant, parle à son environnement, c’est ce qui est important », insiste-t-elle. Cependant, « même si nos partenaires changent, ou se désengagent, nous continuons à avoir de la lumière, à accueillir et à répondre au téléphone », rebondit Monique Khoser. Quand un assistant social ne trouve pas à qui passer le relais, il lui arrive d’ailleurs de rester le garant ou le référent du suivi. C’est également le cas avec des patients atteints de pathologies chroniques (insuffisance rénale, maladies neurodégénératives, cancer), qui font, pour leurs soins, des allers-retours répétés à l’hôpital. Il y a alors une notion d’accompagnement au long cours, à l’instar de celui qui se pratique en psychiatrie. « J’ai des assistantes sociales à temps plein sur des centres médico-psychologiques [CMP], qui suivent pendant toute leur existence des malades vivant à domicile, explique Marie Siwiorek, cadre socio-éducatif au centre hospitalier spécialisé George-Sand de Bourges (Cher). En intra-hospitalier, comme en CMP, nous faisons partie intégrante de l’équipe pluridisciplinaire, ce qui permet au lien de confiance avec le patient de se créer. » La participation des assistants sociaux des hôpitaux généralistes aux équipes pluriprofessionnelles des services au sein desquels ils travaillent est néanmoins loin d’être systématique (voir page 23). Peut-être se développera-t-elle grâce à la loi du 26 janvier 2016 de modernisation du système de santé, qui a consacré la place des professionnels de service social comme membres des équipes de soins, à même, en tant que tels, de partager les informations concernant les patients avec les professionnels sanitaires(2).

Promouvoir l’activité socio-éducative

Le service social est la plus petite catégorie professionnelle de l’hôpital. Il y avait, fin 2015, en équivalent temps plein, 8 072 assistants sociaux et 452 cadres socio-éducatifs dans les établissements sanitaires – contre, par exemple, 210 000 aides-soignants(3). Ce petit appendice du système de santé constitue un grand atout pour l’accueil et la prise en charge des patients les plus fragiles, comme pour les finances des établissements. Mais il doit encore et toujours défendre sa légitimité. « Il faut beaucoup travailler si on veut promouvoir et conserver dans les hôpitaux cette activité socio-éducative, qui ne va pas de soi ; on doit faire plus d’efforts que les professionnels qui ont des positions plus “acquises” et visibles », évalue Monique Khoser. Est-ce par défaut de communication ? Toujours est-il que « l’investissement des assistants sociaux dans l’accompagnement des patients est trop méconnu », déplore Jérôme Penot, président de l’Association professionnelle des services sociaux hospitaliers et de la santé (Aprosshes). La Fédération hospitalière de France (FHF), qui regroupe 1 000 hôpitaux et 3 800 établissements médico-sociaux publics, est du même avis. Pour David Gruson, son délégué général, « la fonction socio-éducative, aujourd’hui, n’est pas suffisamment connue et reconnue, or elle est véritablement essentielle au service public hospitalier. C’est ce constat-là, de principe, qu’on veut faire partager, mais nous avons aussi, à la FHF, une série d’orientations et de propositions pour agir, qu’on a bien l’intention d’approfondir avec les acteurs de la filière dans les prochains mois ». A suivre, donc.

Des pionnières

C’est à l’hôpital que l’expression « assistante sociale » a été utilisée pour la première fois, rappelle Sarah Ferrand, formatrice en travail social(4). Les premières assistantes salariées apparaissent dès 1905 dans les hôpitaux aux Etats-Unis. En France, c’est en 1913 que le service social hospitalier est créé au sein de la pédiatrie, précise-t-elle. L’assistante sociale assiste le médecin : « Elle le seconde dans ses fonctions, pose le diagnostic social (quand le médecin pose le diagnostic médical), assure le lien entre le malade et sa famille. » Toutes les assistantes sociales sont alors recrutées dans des écoles d’infirmières. C’est seulement dans les années 1960 que les deux corps professionnels d’infirmiers hospitaliers et d’assistants de service social de l’Etat seront totalement séparés.

Questionnements éthiques

Les assistants de service social occupent une position stratégique dans l’accompagnement des personnes âgées hospitalisées. « La survenue d’une hospitalisation constitue souvent une rupture qui accentue la fragilité de la personne dans son parcours de santé et, par voie de conséquence, dans son parcours de vie », expliquent Marie-Antoinette Castel-Tallet et Alice Coquelet, de la Fondation Médéric Alzheimer (FMA)(5). Lors des orientations relatives à la sortie d’hospitalisation, les travailleurs sociaux sont souvent confrontés à des problèmes éthiques, témoignent-ils dans une étude réalisée par la FMA(6). Ainsi font-ils quasiment tous état de difficultés liées au refus des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer d’intégrer un établissement médico-social. Souvent, les intéressées s’opposent aussi à toute aide à domicile. Le cas de conscience se situe alors entre le respect de la volonté de la personne et sa sécurité. Qu’en disent les proches ? Les travailleurs sociaux remarquent chez eux un fort sentiment de culpabilité lorsque se pose cette question de l’entrée en institution. Parfois, aussi, un grand épuisement. Ce qui les conduit à s’interroger sur la manière de protéger la personne âgée, mais aussi son aidant. Quand la demande d’hébergement en établissement est faite par la famille contre la volonté de la première concernée, certains assistants sociaux estiment avoir du mal à faire entendre à l’entourage que le choix de leur parent doit être au maximum respecté. Un autre problème naît des désaccords entre les membres de la famille, alors que la personne elle-même n’est pas capable de donner son avis. « Ces conflits peuvent avoir d’importantes répercussions sur le projet de la personne, la gestion de son budget, la mise en place d’une mesure de protection juridique ou la participation financière des obligés alimentaires », détaille Alice Coquelet. De fait, l’aspect financier apparaît souvent comme un frein à l’institutionnalisation, en raison du reste à charge à acquitter. Certains proches désirent s’y soustraire, ou bien la personne âgée ne souhaite pas demander de l’aide à sa famille, ou se séparer d’un bien pour payer son hébergement. Quand il s’agit de trancher entre le retour à domicile et l’entrée en établissement, c’est bien souvent l’entourage familial qui a « le contrôle sur le devenir du patient », regrette un assistant socio-éducatif. Mais où situer le curseur ? « Jusqu’où la personne est-elle capable de se gérer elle-même sans se mettre en danger ? » « Jusqu’où ses troubles cognitifs peuvent-ils l’empêcher de faire des choix éclairés et réfléchis ? » Cette question des limites – dont celles de leur intervention – taraude les travailleurs sociaux.

Notes

(1) C’est la tarification à l’activité (T2A) mise en place par la réforme hospitalière de 2007.

(2) Voir ASH n° 2951 du 11-03-16, p. 47, n° 2972 du 26-08-16, p. 43, et n° 2979 du 14-10-16, p. 46.

(3) Voir « Les établissements de santé », DREES, 2016.

(4) Voir Assistant de service social. Métier, formation, enjeux – Sarah Ferrand, avec la collaboration de Sacha Mandelcwajg – Editions Wolters Kluwer, 2015.

(5) Voir La Lettre de l’Observatoire des dispositifs de prise en charge de la maladie d’Alzheimer, n° 40 – Décembre 2015 – Accessible sur le site de la FMA.

(6) 311 assistants sociaux exerçant dans des services de court séjour gériatrique, de médecine à orientation gériatrique, ou dans des services de soins de suite, ont répondu en 2015 à cette question sur les problèmes éthiques qu’ils rencontrent – Voir note ci-dessus.

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