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DEIS : les enjeux d’une lutte pour la reconnaissance

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Le diplôme d’Etat d’ingénierie sociale (DEIS), créé en 2006, peine encore à trouver sa place dans le paysage des formations sociales. Tel est le constat dressé par Didier Sonié, chef de service au sein de l’association Vigan Inter’aide, en troisième année de formation DEIS à Montpellier. Au terme d’une enquête(1) menée auprès de titulaires de ce diplôme, il confirme que nombre d’entre eux ne parviennent pas à le valoriser, victimes de son manque de reconnaissance.

« Le diplôme d’Etat d’ingénierie sociale, créé en 2006, vient de fêter ses dix ans. Age de raison ? Difficile à dire pour un diplôme dont on ne sait trop dire encore à quel métier il forme…

La laborieuse reconnaissance de l’“ingénieur social” peut venir de la fébrilité même de la notion d’“ingénierie sociale”(2). Le couplage des termes “ingénierie” et “sociale” fut néfaste à la notion dans le difficile débat “identitariste” qui anima les travailleurs sociaux des années 1970(3). Davantage pensée comme un “référentiel méthodologique” que comme une “reconnaissance statutaire” depuis le milieu du XXe siècle, l’ingénierie sociale semble retrouver un souffle nouveau avec l’instauration du DEIS 2. Ce renouveau serait dû au besoin de trouver des réponses innovantes aux enjeux qui traversent la société française d’aujourd’hui(4).

Une enquête réalisée en 2014 par le laboratoire d’étude et de recherche sociales de l’Institut du développement social de Haute-Normandie (LERS-IDS)(5) montrait un positionnement des titulaires du DEIS sur des statuts de cadre. Sans préciser s’il s’agissait de fonctions “liées à l’ingénierie sociale” (cadre développeur, chargé de mission ou de projet, consultant, formateur) ou de postes directement liés à l’encadrement (chef de service, adjoint de direction, directeur). Cela signifie qu’aujourd’hui le devenir professionnel des titulaires du DEIS reste un point aveugle. Alors que, une décennie après sa création, le débat sur la visibilité du diplôme reste d’actualité, c’est pour commencer à lever le voile sur cet état de fait qu’il nous a semblé pertinent de mener une enquête par questionnaire anonyme sur le devenir professionnel des “DEISiens”.

Si nous nous attachons à observer la structuration professionnelle des titulaires du DEIS à l’instant T, les choses se déclinent ainsi : une majorité de diplômés travaillent dans le secteur privé non lucratif (72 %), contre 11 % dans le privé lucratif et 17 % dans le public. Près de la moitié (45 %) occupent des fonctions classiques d’encadrement ; un quart, des fonctions liées au DEIS ; et un dernier quart sont des travailleurs sociaux. On peut en déduire que les titulaires de ce diplôme ont un statut de cadre dans 70 % des cas. Mais ce taux atteint 81 % lorsqu’on discrimine de l’échantillon les diplômés de 2017, 2016 et 2015, à l’exception de ceux qui étaient déjà cadres avant l’entrée en formation. Le temps joue en faveur de l’inscription des titulaires du DEIS sur des fonctions de cadre.

Les dynamiques postdiplôme

Après cette photographie de la structuration professionnelle des “DEISiens”, nous allons identifier les dynamiques à l’œuvre postdiplôme. Dans 57 % des cas, l’obtention du titre a permis un changement de fonction : 54 % prennent des postes classiques d’encadrement et 40 % des postes liés au DEIS. Ce changement de fonction est lié à la fonction occupée avant le diplôme : si celles et ceux qui, avant leur entrée en formation, étaient travailleurs sociaux basculent à 60 % vers de nouvelles fonctions, à l’inverse, les directeurs anté-DEIS conservent la même fonction dans 78 % des cas. Le DEIS est vraiment un diplôme qui permet une promotion sociale.

La variable temporelle qui définit le temps nécessaire à un “DEISien” fraîchement diplômé pour changer de fonction donne des résultats surprenants : 41 % ont changé de fonction en moins de trois mois. On pourrait penser que ce taux est dû au phénomène de “promotion interne”. En fait, celle-ci n’entre en ligne de compte que dans la moitié des cas. Passé le cap des trois mois, nous observons un effondrement de l’employabilité. Il faut attendre une à deux années pour retrouver des taux à la hausse, sans pour autant égaler ceux relevés pour les trois premiers mois. La dimension spatiale se décline ainsi : 42 % évoluent dans le cadre d’une promotion ou d’une mutation interne, 46 % ont changé d’employeur et 12 % s’orientent vers un statut d’indépendant.

Intéressons-nous à la situation de ceux qui n’ont pas changé de fonction. Pour près d’un quart d’entre eux, c’est un choix. Pour ceux qui sont dans une dynamique de changement, 18 % attendent une occasion, alors que 31 % cherchent activement, mais vainement, un poste ; et 9 % paraissent découragés. Les 18 % restants expriment des raisons “autres” sans les préciser. Par ailleurs, si ceux qui recherchent un emploi se positionnent prioritairement en faveur de postes liés au DEIS, 59 % sont prêts à se tourner vers des postes classiques d’encadrement.

Ce constat signifie-t-il pour autant que les diplômés qui n’ont pas encore accédé à des postes de cadre ou qui ont choisi, peut-être momentanément, la voie des postes classiques d’encadrement ne mènent pas des activités d’ingénierie sociale ?

Les répondants ont indiqué avoir participé, au total, à 160 activités d’ingénierie sociale. De plus, 93 % des répondants, quelle que soit leur fonction actuelle, ont mené au moins une fois une activité d’ingénierie sociale depuis l’obtention de leur diplôme. On peut en déduire que des activités d’ingénierie sociale sont portées par des “DEISiens”, sans que la fonction qu’ils occupent soit préjudiciable à cette dynamique. Cela étant dit, si l’action est nécessaire à la reconnaissance des compétences, la communication paraît fondamentale à la visibilité : un “DEISien” sur deux a communiqué au moins une fois depuis l’obtention de son diplôme. Dans un tiers des cas via un support écrit, dans le cadre de colloques ou de journées d’études pour les autres.

Même si les dynamiques de promotion sociale semblent fonctionner, force est de constater que, face à l’investissement formatif, nous sommes en présence d’un diplôme qui, faute d’être reconnu à sa juste valeur, peine à trouver sa place sur l’échiquier des fonctions de cadre du secteur social. Diplôme de niveau I, le DEIS est une formation longue et les attentes pédagogiques sont de haut niveau. La concomitance avec un master, lorsque la double certification est convoitée, ajoute à la densité du cursus. La question de la reconnaissance est récurrente et son déficit a des conséquences collectives et individuelles.

Un déficit de reconnaissance

Sur le plan collectif, les titulaires du DEIS sont confrontés à la difficulté de l’identification statutaire. Dans les deux conventions collectives majoritairement appliquées dans le secteur social et médico-social, il n’est nulle mention de métiers qui feraient référence à des activités d’ingénierie sociale de niveau I. Ce vide réglementaire entraîne des pratiques salariales peu favorables : “Les postes ont une rémunération très faible par rapport au niveau d’études (2 000 €)”, “chargé de mission à 1 600 €”, “je gagnais plus comme éducateur spécialisé”… Au niveau individuel, ce sont des sentiments ambivalents qui dominent. Si la majorité des titulaires du DEIS reconnaissent les apports de la formation, ils sont perplexes vis-à-vis de la reconnaissance. Certains affirment qu’ils ne recommanderaient pas le DEIS comme formation de cadre. Mais au-delà, c’est de la colère qui ressort (“Quel dommage et quel gâchis !”, “Grande déception !”), voire de la souffrance. Face à ce manque de reconnaissance, nous faisons l’hypothèse que c’est du côté de la visibilité qu’il s’agit de porter l’effort. Des pistes de travail peuvent être esquissées.

“Seul le DEIS n’a pas de dénomination de métier, ce qui complique sa visibilité”(6). Les textes proposent “cadre développeur”. Une formule imprécise qui ne dit rien de l’identité professionnelle de celui qui prétend l’être. On peut toujours objecter que le métier n’est pas la fonction et que la fonction n’est pas l’activité. Il est évident que le secteur social et médico-social n’a pas attendu le DEIS pour mener des activités d’ingénierie. Il paraît néanmoins important de ne pas réduire l’ingénierie sociale à l’activité, de définir clairement les fonctions afférentes au DEIS et de nommer le métier auquel il forme. Il en va de l’identité professionnelle des “DEISiens”, de leur manière de se présenter au monde et, in fine, de la reconnaissance des autres et des pairs.

La validation du DC 3 du DEIS passe par l’écriture d’un article. Exercice individuel, il peut donner lieu à publication. Là, il y a visibilité. Il paraît opportun de donner davantage d’ambition au DC 3. Il pourrait, sans caractère obligatoire, être collectivement porté, autour de miniprogrammes de recherche et donner lieu à des articles d’une stature plus importante, cosignés par deux ou trois étudiants. Enfin, la promotion du diplôme passera par les “DEISiens” et peut-être par les associations en menant un ensemble d’actions propices à la visibilité de l’ingénierie sociale.

Le DEIS souffre d’un déficit de reconnaissance. Pour y remédier, chacun doit prendre part au chantier : les diplômés, en clarifiant un positionnement épistémologique qui permettra de nommer le métier auquel forme le DEIS ; les instituts de formation, en promouvant la visibilité de ce diplôme durant les années d’études ; les pouvoirs publics, qui pourraient créer un statut spécifique aux activités d’ingénierie sociale. Son intégration dans les conventions collectives éviterait les situations de sous-rémunération au regard d’un diplôme de niveau I. »

Notes

(1) Je tiens à remercier sincèrement celles et ceux qui ont pris du temps pour répondre à mon questionnaire, les centres de formation qui ont accepté de le transmettre à leurs anciens étudiants, et l’association Andelis de Marseille pour le relais auprès de ses adhérents.

(2) Voir Sociologie de l’expertise et de l’intervention sociale – Jean-Christophe Barbant – Ed. L’Harmattan, 2011.

(3)Voir Ingénierie sociale et recherche. Un diplôme d’Etat d’avant-garde : le DEIS – Laetitia Naud – Ed. L’Harmattan, 2015.

(4) Voir L’ingénierie sociale. Expertise collective et transformation sociale – Alain Penven – Ed. éres, 2013.

(5) « Le profil des étudiants préparant le DEIS ainsi que des éléments sur les besoins d’employeurs en matière “d’ingénierie sociale” » – Avril 2014.

(6) Le thème de la non-reconnaissance du diplôme revient 35 fois sur 56 réponses, en fin de questionnaire.

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