Dans son rapport final publié le 13 juillet(1), la mission sénatoriale « Désendoctrinement, désembrigadement et réinsertion des djihadistes en France et en Europe » confirme les vives critiques émises à l’égard de la politique de lutte contre la radicalisation menée en France, dans son bilan d’étape de février dernier(2).
Premier regret des sénatrices Esther Benbassa (EELV) et Catherine Troendlé (LR), rapporteures de la commission des lois : le caractère trop tardif de la mise en place d’une politique de déradicalisation. Le rapport relève en effet que ce n’est qu’en avril 2014 que la France s’est dotée d’un premier plan, bien après certains de ses voisins européens, comme la Grande-Bretagne qui s’est intéressée à la question dès 2009.
Le rapport déplore aussi la méthode, et notamment le manque de concertation et d’évaluation des politiques mises en œuvre qui auraient permis « d’éviter à temps les écueils rencontrés ». Si les sénatrices reconnaissent qu’il n’existe pas, en la matière, de « recette miracle », elles formulent néanmoins une série de recommandations consistant pour la plupart en un « ajustement » des dispositifs déjà lancés.
Le premier plan lancé en 2014 prévoyait la création d’une structure d’écoute et de signalements qui s’est matérialisée par un numéro vert géré par le Centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation violente(3). Ce numéro permet à toute personne de signaler aux autorités un cas de radicalisation et ainsi d’être mise en relation avec des professionnels à même de leur apporter une écoute, un soutien psychologique et des conseils sur les démarches à entreprendre. Il permet aussi aux pouvoirs publics de collecter des informations sur les cas de radicalisation afin d’assurer un suivi par les services de sécurité ou une prise en charge par les services sociaux.
Le rapport indique que 5 723 signalements ont déjà été recueillis. Les sénatrices relèvent une « certaine efficacité » de ce dispositif et conseillent qu’il soit maintenu dans sa forme actuelle.
Le rapport est en revanche plus critique sur les modalités d’intervention du secteur associatif en matière de déradicalisation (voir notre « Décryptage », ce numéro page 26). Il constate en effet que l’expérience de ces structures, sollicitées par les pouvoirs publics, en matière de prévention et de traitement de la radicalisation, n’est « pas toujours, ou pas encore, avérée ».
Pire, les sénatrices indiquent que la réduction drastique des subventions publiques et la possibilité d’obtenir, grâce à une reconversion dans la radicalisation, de nouvelles ressources financières, ont alimenté « un nouveau marché lié au terrorisme » et ont pu conduire à « des effets d’aubaine financière ». Le rapport reconnaît toutefois que ces financements sont d’une « ampleur relativement limitée » (de l’ordre de 4,1 millions d’euros en 2016).
Esther Benbassa et Catherine Troendlé recommandent tout de même de définir, au niveau national, un cahier des charges pour la sélection de ces organismes, mais également de rendre systématique l’évaluation du contenu des programmes financés tout en réduisant progressivement leur nombre, « de sorte à opter pour la qualité plutôt que la quantité ».
Autre critique des sénatrices : le manque d’individualisation de la prise en charge des personnes radicalisées. A ce titre, le « centre de prévention, d’insertion et de citoyenneté » de Pontourny (Indre-et-Loire), créé en septembre 2016, concentre leurs critiques. Ce dispositif expérimental, qui devait préfigurer l’ouverture de 13 centres similaires, est destiné à accueillir des personnes dont le comportement peut faire craindre la préparation, voire la commission, d’actes violents inspirés par l’idéologie djihadiste.
Le rapport relève que, à sa plus forte affluence, le centre, basé sur le volontariat, n’a accueilli que neuf personnes. Aujourd’hui, il n’accueille plus personne. Les sénatrices déplorent « l’absence totale de résultat » de ce dispositif, qui a même pu « susciter des phénomènes d’emprise par une concentration de personnes en voie de radicalisation ». Selon les sénatrices, cet échec résulte notamment du « déracinement » des personnes accueillies. Elles estiment que « cet éloignement rend illusoires les chances de réinsertion des personnes radicalisées » et tend à « renforcer [leur] stigmatisation ». A l’idée d’un centre de déradicalisation, les sénatrices préfèrent donc le développement des prises en charge « individualisées et pluridisciplinaires » qui présentent par ailleurs l’avantage d’être plus économiques.
S’agissant, enfin, du cas particulier des mineurs radicalisés, les sénatrices saluent la « réactivité » des services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), ainsi que « les nombreuses initiatives déployées » pour mettre en place une prise en charge adaptée à chaque mineur. Elles suggèrent toutefois de regrouper ces initiatives dans un référentiel de prise en charge et de doter la PJJ des moyens financiers et humains nécessaires à leur prise en charge.
(1) Rapport disponible sur