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Référents de parcours : quatre départements en ordre de marche

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Renforcer la cohérence de l’accompagnement, éviter les ruptures et replacer les personnes au cœur de leur projet, tels sont les objectifs de la fonction de « référent de parcours ». Une expérimentation démarre dans quatre départements volontaires, où le dispositif, non sans soulever des interrogations parmi les professionnels, commence à montrer sa plus-value.

C’est l’un des principaux axes du plan d’action en faveur du travail social et du développement social d’octobre 2015 : favoriser la coordination des interventions sociales, dans une perspective d’accompagnement global et de continuité du parcours de la personne. Pour cela, et conformément aux décisions validées par Ségolène Neuville, ancienne secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, l’expérimentation de la mise en place d’un « référent de parcours » a été lancée en novembre dernier. Pilotée par la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), l’Assemblée des départements de France (ADF) et l’Association nationale des directeurs d’action sociale et de santé (Andass), elle devrait durer un an dans quatre départements : l’Ariège, le Bas-Rhin, Paris et le Pas-de-Calais (voir page 25). « Il y a aujourd’hui une multiplicité d’intervenants et de dispositifs dans le travail social, il faut améliorer la coordination des réponses aux situations complexes », rappelle Cécile Charbaut, adjointe à la sous-direction de l’inclusion sociale, de l’insertion et de la lutte contre la pauvreté à la DGCS. Une volonté des pouvoirs publics et des associations qui traverse tous les champs de l’action sociale et médico-sociale. Le plan d’action interministériel précise d’ailleurs que le dispositif expérimental peut s’inspirer de pratiques existantes, comme la « méthode d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie » (MAIA), issue du troisième plan « Alzheimer ». Selon le cahier des charges du projet (voir encadré page 23), le rôle du référent de parcours, choisi parmi l’un des intervenants auprès de la personne, est de coordonner et de faciliter son accompagnement, dès le diagnostic des besoins. L’enjeu de l’expérimentation, qui devrait permettre de faire émerger les bonnes pratiques et d’identifier d’éventuelles évolutions réglementaires nécessaires, est d’apporter des réponses aux questions soulevées par la mise en œuvre du dispositif : le choix du référent, ses compétences, son cadre et son périmètre d’intervention, ses outils…

A priori, tous les travailleurs sociaux qui œuvrent auprès de la personne peuvent assumer ce rôle, quelle que soit l’institution ou l’association dont ils relèvent. Ceux qui interviennent dans le champ de la santé, par exemple, peuvent être concernés, en fonction des situations et des difficultés rencontrées. Car le référent de parcours n’est pas envisagé comme un nouveau métier, mais comme une nouvelle mission attribuée à certains professionnels. « Le référent de parcours garde son cadre d’intervention classique, mais il vient en plus coordonner le parcours de la personne en faisant le lien avec ses différents intervenants », explique Patricia Gacquerre, responsable de la mission « travail social et prospective » du Pas-de-Calais, coordinatrice du dispositif. Il devient le gardien du projet du bénéficiaire. « Il veille à faire respecter les objectifs prévus et à ce que l’information circule sur les différentes situations, précise Jean-Luc Meng, conseiller départemental en travail social dans le Bas-Rhin et chef de projet de l’expérimentation. C’est une charge supplémentaire, certes, mais cela apporte un fil rouge afin que tout le monde se sente coengagé sur la durée. »

Concertation collective

La plupart des départements sont encore en train de sélectionner les situations concernées par l’expérimentation et les professionnels à mobiliser, et tous n’en sont pas au même stade d’avancement. Mais certains atouts sont déjà perceptibles, selon les équipes qui se sont déjà lancées dans le projet. Tout d’abord, les bénéficiaires sont placés au cœur de leur parcours : ce sont eux qui choisissent – autant que faire se peut – leur référent, lors d’une réunion à laquelle ils sont conviés avec leurs intervenants. Leur projet est alors revu et si besoin réorienté avec l’ensemble des professionnels. « C’est un temps de concertation collective pendant lequel chacun – bénéficiaire et intervenants – s’exprime à tour de rôle, par exemple les CCAS [centres communaux d’action sociale], les organismes de tutelle, Pôle emploi… Cela permet de faire émerger certaines difficultés et objectifs prioritaires. Avant, ces espaces d’échange étaient rares », se félicite Carine Carpentier, cheffe de service social dans l’un des lieux d’expérimentation du Pas-de-Calais, chargée de la mise en œuvre du dispositif. Ainsi, les personnes accompagnées peuvent participer à la construction de leur projet. « Je me rappelle une maman très en difficulté qui s’est beaucoup impliquée lors d’une commission, elle nous a elle-même apporté de nouveaux éléments de compréhension sur sa situation », témoigne Sylvie Darras, elle aussi cheffe de service social dans le Pas-de-Calais. Les personnes « ont souvent un regard pertinent sur leur situation, il faut savoir prendre le temps de les écouter et de se mettre à leur portée,abonde Sylviane Schwartz, conseillère territoriale en action sociale et cheffe de projet sur un lieu d’expérimentation du Bas-Rhin. Ainsi, la dynamique qui s’opère n’est plus seulement conduite par les professionnels, mais aussi par les familles. » Ce croisement des approches correspond au souhait, également au cœur du plan d’action interministériel, de faire évoluer l’accompagnement social par la participation des personnes. Ce dont se félicite Véronique Huber, cheffe de projet « référence de parcours » à Paris : « Cela change l’équilibre des rapports entre les bénéficiaires et les travailleurs sociaux : ce n’est plus un sachant qui apprend à l’autre. Ce dispositif peut paraître simple, mais c’est en réalité un véritable changement de posture. »

Un moyen de décloisonner les pratiques

A l’issue de cette concertation, un document qui rappelle les objectifs fixés est rédigé et signé par chacun pour garantir à la famille que rien ne sera décidé en dehors de sa présence. Il formalise également la nomination d’un référent de parcours, dont la première tâche est d’établir une liste précise des intervenants auprès de la personne. Objectif : instaurer plus de lisibilité et de cohérence dans le suivi et permettre à la personne accompagnée de disposer de tous les éléments pour gagner en autonomie. « Pour que les bénéficiaires ne soient pas réduits à de l’assistance, ils doivent pouvoir demeurer acteurs afin de s’y retrouver plus facilement. La dignité se gagne aussi parce qu’on est partie prenante », défend-on du côté de l’ADF.

En quelques mois, les changements ont d’ailleurs été surprenants, selon Doriana Visentino, assistante sociale de secteur, devenue référente de parcours d’une famille dans le Bas-Rhin, dont la situation très complexe n’évoluait plus depuis des années, avec des problèmes liés à l’emploi, à la santé, à l’éducation des enfants… « Ensemble, nous avons mis à plat toutes leurs difficultés et nous avons ciblé les services pouvant les aider, ce qui a insufflé une importante dynamique de changement. Depuis, l’homme a retrouvé du travail dans un chantier d’insertion et les principaux freins ont été levés. La famille est plus motivée », souligne-t-elle.

L’effet est aussi positif pour les professionnels, qui y voient un moyen de décloisonner les pratiques. « Les travailleurs sociaux expriment leur sentiment d’être enfermés dans des logiques de dispositifs. Ils ont besoin qu’on redonne du temps et du sens à leurs missions, indique Marie-Paule Cols, membre de l’Andass. Cette expérimentation peut contribuer à donner une nouvelle place à la coordination, qu’ils mettent parfois en œuvre, mais dans des conditions difficiles et pas optimales. » Le dossier de la famille, et non le déclenchement de dispositifs, doit être au cœur de la logique d’accompagnement. « Nous dépassons le champ social pour nous intéresser à tout l’environnement de la personne », ajoute Annick Genty, directrice du développement des solidarités au conseil départemental du Pas-de-Calais et pilote de l’expérimentation.

Polyvalence de secteur

Cette fonction vient-elle empiéter sur celle de la polyvalence de secteur, par ailleurs en manque de moyens, comme s’en sont inquiétées certaines organisations syndicales et professionnelles après la présentation du plan d’action pour le travail social ? Dans le Bas-Rhin, la quasi-totalité des référents de parcours déjà nommés proviennent de la polyvalence de secteur, même si Jean-Luc Meng assure que « les choses évolueront naturellement » avec le temps. Pour l’ADF, ces deux missions peuvent coexister : « Le travailleur social de polyvalence de secteur a une vision plus globale, c’est vrai, mais la question sociale déborde souvent sur d’autres problématiques qui ne sont pas forcément de sa compétence, comme le lien avec le monde de l’entreprise ou avec Pôle emploi, sur le volet de l’insertion professionnelle. » Le cahier des charges de l’expérimentation invite néanmoins à aborder la question de l’articulation avec d’autres dispositifs de coordination existants, comme l’accompagnement global dans le cadre des conventions entre Pôle emploi et les conseils départementaux. « Il ne faut pas tomber dans l’excès de tout généraliser dans un même service, la spécialisation reste essentielle pour répondre à des besoins spécifiques », considère Anaïs Lalande, référente de parcours à Paris, où le projet prévoit notamment un accompagnement des professionnels et des bénéficiaires à l’utilisation du numérique. « A la permanence sociale d’accueil dans laquelle nous travaillons, nous nous occupons de sans-abri isolés, des personnes qui sont dans l’urgence. La “référence de parcours” ne semblait pas être la priorité pour eux. Et pourtant, cela nous a beaucoup apporté à tous, insiste-t-elle. L’expérimentation nous a permis de prendre du recul sur nos pratiques et de redonner du sens à nos missions. »

Autre atout de l’expérimentation : le renforcement des réseaux d’échanges entre partenaires. « Jusqu’à présent, il n’y avait pas assez de discussions autour du parcours de la famille, et celles-ci étaient surtout focalisées sur des difficultés conjoncturelles. Il manquait un temps de prise de recul pour échanger. Les réunions de synthèse ne sont pas nouvelles, mais la coopération autour d’un projet que l’on construit tous ensemble permet de consolider les partenariats autour de la personne. Cela prend un temps supplémentaire à celui que l’on consacre habituellement à une famille, mais le résultat en vaut largement la peine », se félicite Jean-Luc Meng.

Ces réunions permettent également de mieux se connaître entre travailleurs sociaux et de cadrer davantage les interventions respectives pour avancer plus facilement dans le cas de situations complexes. Et, parfois, de nouveaux interlocuteurs émergent, à l’initiative des familles. « Certaines évoquent des acteurs auxquels nous n’aurions pas forcément pensé, comme les centres médico-psychologiques qui n’étaient pas dans la boucle au départ. Nous les avons depuis invités à rejoindre les concertations », illustre Sylviane Schwartz. A Liévin, dans le Pas-de-Calais, une trentaine de partenaires ont participé aux réunions pour préparer la « référence de parcours », parmi lesquels le CCAS et la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). A Paris, de nombreux acteurs ont également été sollicités, du champ de la domiciliation aux caisses d’allocations familiales, en passant par les hôpitaux de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. « La ville dispose de tellement de services spécifiques qu’il est difficile de s’y retrouver, les personnes doivent tout le temps rencontrer de nouveaux interlocuteurs. Le dispositif permet de renforcer le réseau et de repenser les transitions lors des changements d’intervenants sociaux », explique Véronique Huber. C’est au référent de parcours de transmettre les informations qu’il juge nécessaires aux interlocuteurs adéquats, ce qui implique un rappel des droits des personnes accompagnées et des règles qui encadrent le partage d’informations.

Freins psychologiques

En raison des freins rencontrés du côté des travailleurs sociaux, le lancement des expérimentations a pris plus de temps que prévu. Est notamment née l’inquiétude de se voir inutilement rappeler les principes de l’accompagnement et d’une remise en question des pratiques existantes. « Il y a un frein psychologique à dépasser, celui d’accepter qu’aujourd’hui nous ne travaillons pas tout à fait comme nous l’aimerions, analyse Jean-Luc Meng. Les travailleurs sociaux ont une vision du travail coopérative et ils connaissent plutôt bien leurs partenaires. Mais, dans la réalité, le rythme de travail est tellement intense qu’on n’arrive plus à se coordonner, avec le temps nécessaire. Nous pouvons faire bien mieux ! » D’autres réticences ont été liées à la charge de travail et à la reconnaissance de cette mission.

Tous les bénéficiaires n’ont pas non plus immédiatement adhéré au dispositif. Certains ont même préféré le refuser. Participer aux commissions demande un investissement inhabituel pour les personnes en difficulté. « Elles n’ont pas toujours la culture de l’écrit », ajoute Sébastien Morel, référent de parcours à Paris. Se pose aussi la question de la participation sur le long terme. « Nous arrivons surtout à mobiliser les bénéficiaires sur un petit temps, face à des événements particuliers qui surviennent dans leur situation personnelle, mais rarement sur la durée, explique Jean-Luc Meng. Avec cette expérimentation, nous espérons parvenir à dresser un bilan avec eux, à travailler dans la continuité. Ils sont les plus à même de dire si l’accompagnement a changé quelque chose dans leur vie ou pas. »

Un cahier des charges tres souple

Les retards sont aussi imputables au processus de démarrage de l’expérimentation : le temps nécessaire à la communication auprès des équipes et à leur préparation a pu être sous-estimé au départ. « Il a fallu expliquer et réexpliquer à plusieurs reprises la “référence de parcours”, pour bien préciser le sens de la démarche. Cela a été un travail assez important pour motiver les équipes », soupire Sylvie Moskal, directrice adjointe de l’insertion logement à la direction de la solidarité départementale du conseil départemental de l’Ariège, et pilote de l’expérimentation. L’un des territoires pressentis dans l’Ariège n’a pas souhaité entrer dans l’expérimentation. Le Pas-de-Calais a rencontré le même problème. « Initialement, nous voulions travailler sur 25 situations par site, soit une centaine de situations sur l’ensemble du département. Aujourd’hui, nous en sommes à une soixantaine, regrette Géraldine Botte, responsable du service départemental du développement social dans le Pas-de-Calais, également pilote de l’expérimentation. Mais quel que soit le nombre de dossiers qui entrent dans l’expérimentation, l’important sera l’analyse qualitative que l’on en tirera. »

Une grande marge de manœuvre a été accordée aux départements expérimentateurs, dans l’idée d’identifier les points forts ou les lourdeurs des schémas retenus. Seule une réunion par trimestre permet à ces quatre territoires d’échanger. « Le cahier des charges est très souple, il apporte surtout un cadrage sur les objectifs attendus de l’expérimentation. Nous cherchons à dégager des pratiques inspirantes à partir d’expériences locales », indique Cécile Charbaut. Quelles méthodes de travail ? Quid de la formation ? « Nous sommes en train de travailler avec l’institut régional des travailleurs sociaux sur une possible formation pour outiller sur le long terme les référents de parcours. Car même si l’expérimentation se termine au premier trimestre 2018, toute une réflexion est à poursuivre au niveau du département », souligne Géraldine Botte.

Il faudra également réfléchir à la question des statuts liés à la mission de coordination, un point qui fait écho à la réforme en cours sur les diplômes du travail social. Sans compter que les équipes se sont déjà confrontées à des problèmes d’organisation de la mission. « Il y a beaucoup de petits contrats chez les travailleurs sociaux, un problème de mobilité… Cela fait déjà deux fois qu’un référent est plébiscité par une famille, mais qu’il ne peut pas accepter cette mission, car son contrat de travail va s’arrêter sous peu », témoigne Sylvie Darras. Les premières réponses à ces problèmes devraient être proposées dans le cadre de l’évaluation finale, prévue pour le premier trimestre 2018.

Les missions fixées par le cahier des charges

Le cahier des charges de l’expérimentation a été élaboré par un groupe de travail national dont le rôle est également de suivre sa mise en œuvre, composé de représentants de la DGCS, du ministère, de l’ADF, de l’Andass, de la FNARS (aujourd’hui Fédération nationale des acteurs de la solidarité), de l’Association nationale des assistants de service social, de l’Unccas, de l’Uniopss, de la CNAF, de la MSA, en lien avec des personnes accompagnées, sous la présidence de François Soulage. Le document précise le rôle dévolu au référent de parcours. Celui-ci « réalise un diagnostic global des besoins de la personne et définit un projet d’ensemble avec cette dernière ». Il « accompagne la personne afin d’actionner les outils et les dispositifs nécessaires à la mise en œuvre de son projet individuel ; il construit avec l’ensemble des intervenants un plan d’actions en adéquation avec celui-ci, assure le suivi de la situation de la personne et la coordination des différents intervenants ». Il garantit « la continuité du parcours d’insertion et la cohérence de l’accompagnement », mission qui repose « sur le principe d’une information partagée entre professionnels ». Le référent doit « intervenir comme facilitateur de l’ensemble des actions mises en œuvre », mais il n’est « en principe pas exclusivement dévolu à cette mission et n’est en tout état de cause pas l’intervenant unique au bénéfice de la personne ». Le document précise que l’expérimentation portera « sur les personnes en grande difficulté sociale et aux situations complexes ». Chaque département doit bénéficier d’une aide de 50 000 € au lancement et de 30 000 € une fois l’expérimentation terminée.

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