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Les enjeux de l’ouverture à l’international

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Du 27 au 29 juin se tenait à Paris une conférence européenne organisée par la European Association of Schools of Social Work (EASSW) et l’Union nationale des acteurs de formation et de recherche en intervention sociale (Unaforis). Laquelle a fait valoir la dynamique internationale pour favoriser l’évolution du travail social et le développement social durable.

Historiquement enseigné en dehors de l’Université et tardivement inscrit dans l’espace européen de l’enseignement supérieur, le travail social pourrait faire figure, 30 ans après le lancement d’Erasmus, de retardataire dans la dynamique d’ouverture de ses formations et de ses professionnels à l’international. Pour autant, de longue date, des établissements de formation et des réseaux de recherche se sont engagés dans des partenariats. Et ce qui est jusqu’ici apparu de l’ordre de l’initiative, d’expériences disparates ou isolées, semble devoir s’imposer, à la faveur de l’évolution de l’environnement du travail social, de ses formations et des besoins sociaux. Enrichir les pratiques professionnelles, pédagogiques et de recherche, favoriser les coopérations et faire valoir le rôle du travail social dans le respect des droits humains et le développement social : autant d’enjeux qui ont été abordés lors de la conférence européenne « Les formations en travail social en Europe, bouger les lignes pour un avenir durable », organisée du 27 au 29 juin par l’Unaforis et l’EASSW à l’université Paris-Descartes. Preuve de l’intérêt des acteurs du secteur pour le sujet, plus de 1 000 participants venus de 39 pays (dont plus de 400 contributeurs) ont répondu présents à l’événement – dont l’Unesco et le Conseil de l’Europe, également partenaires. Etaient programmés des sessions, ateliers et symposiums autour de quatre thèmes : les méthodologies d’enseignement, la recherche et les pratiques novatrices dans les formations ; le développement des programmes et des contenus de formation ; l’éthique ; les questions relatives aux conditions organisationnelles et statutaires de la formation.

Atteindre les objectifs de développement durable

« Nous voulons œuvrer aux coopérations entre pays, entre acteurs de terrain, pour consolider, développer et augmenter l’influence et l’efficacité du travail social à travers le monde », a fait valoir Denis Vallance, président de l’Unaforis, en ouverture de l’une des sept conférences préparatoires – dont celles de l’Association internationale des écoles de travail social et de l’Association européenne de recherche en travail social – qui se sont tenues le 26 juin. « Nous sommes convaincus que la solidarité et les échanges internationaux sont de nature à améliorer la prise en compte humaine de toutes les détresses dans un monde soumis à de fortes tensions internationales : migrations climatiques, conflits, vieillissement, mobilités, radicalisations de toutes sortes. » Ce qui n’est pas une incantation à relever des défis mondiaux, mais traduit la volonté d’inscrire le travail social dans les outils mobilisables pour atteindre les objectifs nationaux, européens et internationaux de lutte contre la pauvreté et d’inclusion sociale. Une ambition à la fois pédagogique et politique qui nécessite de reconsidérer les approches internationales du travail social, a pour sa part exposé Robert Bergougnan, président de la conférence européenne, directeur général d’Erasme, à Toulouse, et représentant de l’Unaforis au sein de l’EASSW.

Depuis la conférence mondiale, en 1928, qui a donné naissance aux trois principales organisations que sont l’Association internationale des écoles de travail social (AIETS), la Fédération internationale des travailleurs sociaux (FITS) et le Conseil international de l’action sociale (CIAS), rapidement, ces approches « ont été considérées sous l’angle de l’enrichissement comparatif », dans la logique des transferts de bonnes pratiques. Mais avec l’essor de la mondialisation, « le regard sur le travail social international s’est déplacé pour l’appréhender d’un point de vue plus global ». Cette évolution a nourri le travail de l’AIETS, de la FITS et du CIAS, notamment à l’origine de l’agenda global pour le travail social et le développement social, arrêté en 2012, et dont plusieurs thématiques rejoignent les objectifs des Nations unies pour le développement durable. Ces derniers, a précisé Robert Bergougnan, « se déclinent dans les programmes de l’Unesco, avec qui nous sommes partenaires pour la promotion du “Laboratoire des politiques inclusives” du programme MOST » (programme pour la gestion des transformations sociales, voir encadré ci-dessous). Les enjeux du travail social international se situent donc bien au-delà « d’une vision bienveillante et interculturelle de la question sociale ». Il s’agit, « dans un monde où les effets de la croissance sont inverses au progrès social et environnemental », de construire « un travail social à même d’agir dans le processus de transition éco-sociale ».

Un soutien à la coopération

Cette perspective rejoint la définition internationale du travail social, que la France vient de transcrire dans le code de l’action sociale et des familles dans le cadre du plan d’action pour le travail social et le développement social adopté en octobre 2015. « Si le travail social prend appui sur le local, pour bien agir localement, il faut penser globalement », abonde Christian Rollet, président du prochain congrès mondial du travail social, qui aura lieu à Dublin en juillet 2018, et auteur de l’ouvrage Du village gaulois au village global, points de repères pour le travail social(1). « S’ouvrir à l’international, ce n’est pas aller chercher des modèles ailleurs, ni chercher à exporter notre modèle. C’est une discipline intellectuelle : comprendre notre système par contraste en cherchant à mieux connaître celui des autres. » Loin des représentations et d’une vision « descendante » de la coopération – « il existe un doctorat en travail social au Népal », a précisé Manuel Pélissié, directeur général de l’IRTS (Institut régional du travail social) Paris Ile-de-France, représentant de l’Unaforis au sein de l’Association internationale pour la formation, la recherche et l’intervention sociale (Aifris). Mais sans occulter non plus certains contextes politiques qui font barrage aux échanges.

Comment passer de l’utopie à la réalité d’un travail social efficace et crédible dans sa participation au développement social durable ? Quelles pistes pour évoluer d’une approche purement comparative à une approche non pas uniformisée, mais partagée ? Lors de la « préconférence » de l’Unaforis, plusieurs interventions ont permis d’entrer dans le concret. Parmi les expériences présentées : la contribution de l’Institut méditerranéen de formation et de recherche en travail social (IMFRTS) aux « programmes concertés pluri-acteurs » (PCPA). Financièrement soutenus par l’Agence française de développement, ces instruments sont nés dans les années 2000 de la volonté des pouvoirs publics d’apporter un soutien à la coopération non gouvernementale, autour de partenariats avec les acteurs de la société civile. L’institut a participé à quatre PCPA, dont trois au Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie), principalement autour des thématiques de l’éducation, de l’insertion sociale et professionnelle de la jeunesse, de la lutte contre toutes les formes d’exclusion et des inégalités en matière d’accès aux droits.

Dans ces projets, l’IMFRTS se situe dans une démarche d’ingénierie sociale privilégiant la coconstruction, à partir de diagnostics de territoire, du développement de projets d’innovation sociale portés par la société civile, mobilisant toutes les ressources locales (collectivités, associations, universités…), et à travers des dispositifs de formation-action. Dans ce cadre, il organise des visites croisées de professionnels, bénévoles, formateurs et représentants des pouvoirs publics, des ateliers thématiques, des séminaires sur le renforcement des capacités de la société civile (mise en réseau, montage de projets…), des formations de formateurs, et propose un appui à l’élaboration de dispositifs de formation. Outre la « production de connaissances et la construction d’une expertise partagée autour des problématiques sociales en Méditerranée », dans une « dimension interculturelle de l’intervention sociale », cette expérience a permis la construction de partenariats, notamment pour promouvoir le développement de l’économie sociale et solidaire, de développer des axes de recherche et d’associer des étudiants dans les démarches d’études, a précisé Marie-Pierre Sarat, directrice générale de l’IMFRTS. Cette implication dans les PCPA « nous met au cœur de la dimension politique de l’intervention sociale », relève-t-elle.

La coconstruction d’une formation

Autre exemple de projet international : la coconstruction d’une formation, comme l’a illustré Elisabeth Prieur, chargée de mission à l’international à l’Institut social de Lille. Alors qu’en 2008 le ministère des Affaires sociales, de l’Action humanitaire et de la Solidarité de la République du Congo souhaitait « relancer la formation des professionnels du travail social parallèlement au développement de nouvelles politiques nationales d’action sociale, a-t-elle expliqué, nous étions prêts à partager notre expérience d’appui technique international dans la formation des travailleurs sociaux. La formation des professionnels, essentiellement des assistants de service social et des auxiliaires sociales, s’était arrêtée avec le conflit armé de la fin des années 1990 », et bon nombre exerçaient sans qualification. Le projet s’est alors inscrit dans une conjoncture favorable impulsée par un appui technique et financier de l’Etat français et la volonté du ministère congolais de développer les formations au travail social, en créant à Brazzaville un Institut national du travail social, en partenariat avec le ministère de l’Enseignement supérieur du pays.

Après une série de travaux, dont une étude des besoins et de faisabilité et un séminaire international financé par l’Union européenne, les partenaires ont décidé de coconstruire une licence professionnelle unique avec trois spécialités (assistant de service social, éducateur spécialisé et animateur de développement social local), et un tronc commun. « Ce qui nous a amenés à relever quatre défis », explique Elisabeth Prieur : « Créer et innover, développer des compétences transversales aux trois métiers concernés et spécifiques pour chacun d’entre eux, concevoir et rendre opérationnel une formation adaptée au contexte congolais, former par la recherche une équipe de formateurs et publier avec eux. » Un ouvrage collectif est ainsi paru en décembre 2014 sur la violence conjugale au Congo-Brazzaville, codirigé par Emmanuel Jovelin, enseignant chercheur à l’Institut social de Lille. Les premiers diplômés de la licence professionnelle « sortiront, en principe, fin 2017, avec une licence codélivrée par l’université et le ministère des Affaires sociales » congolais, a précisé Elisabeth Prieur, soulignant la dimension formatrice et fédératrice du projet, tant pour les équipes de l’Institut social de Lille que celles de l’Institut national du travail social congolais.

Responsable du développement à l’international à l’Institut de l’enseignement supérieur du travail social (IEST) de Nice, Elisabeth Sultan rejoint les constats d’un enrichissement pédagogique grâce aux projets internationaux. Les différences de pratiques « permettent d’ouvrir un questionnement, qui est le fondement du processus de formation des adultes », ainsi qu’une « prise de conscience de ses propres pratiques », a-t-elle insisté. La mobilité internationale, qui n’est pas un objectif en soi, « est un outil pédagogique supplémentaire qui renforce la qualité des formations », en « optimisant le rapport à l’altérité » et en développant leur capacité d’autonomie, de créativité et d’adaptabilité de l’étudiant, sans oublier les aspects linguistiques. Plusieurs pistes existent : les mobilités individuelles et collectives d’étudiants, la formation ou l’enseignement de formateurs à l’étranger, ou encore l’accueil d’étudiants et de professionnels d’autres pays. Des possibilités dont s’est d’ailleurs emparée l’Unaforis, qui inclut les travaux et expériences à l’international – notamment dans le cadre d’Erasmus – dans ses propositions pour la diversification des modalités de professionnalisation.

Les acteurs du travail social doivent encore investir plus largement le champ de la recherche internationale. Certains établissements de formation sont déjà depuis longtemps inscrits dans le mouvement, comme l’Ecole supérieure en travail éducatif et social de Strasbourg, engagée dans des coopérations transfrontalières, qui ont notamment débouché sur des travaux franco-allemands sur la protection de l’enfance. Des pôles régionaux de recherche et d’étude pour la formation et l’action sociale (Prefas) lancent aussi des projets internationaux, mais ils manquent de soutien financier. Autre handicap : l’absence de doctorat en travail social en France, comme il en existe dans d’autres pays. Pour l’heure, seule la chaire de travail social et intervention sociale du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) délivre un doctorat en sociologie ou en sciences de l’éducation, mention « travail social ». Certains établissements de formation se sont rapprochés d’universités étrangères, comme l’IRTS de Paris Ile-de-France qui a signé en 2015, avec l’Institut universitaire de Lisbonne (ISCTE-IUL), un protocole de coopération visant à codiriger des doctorants en travail social. « La discipline et l’interdisciplinarité, la création d’un doctorat, voire d’un doctorat international, sont des enjeux majeurs pour le travail social », considère Joëlle Libois, présidente de l’Aifris. Autre défi à relever pour les centres de formation, a ajouté Marc Rouzeau, directeur de la recherche et de la prospective d’Askoria : disposer de « chercheurs capables de travailler sur la conceptualisation en anglais », langue largement prédominante dans les publications scientifiques – ce qui renvoie à la question de l’attractivité des postes d’enseignants chercheurs, donc du statut de ces derniers.

Dans le cadre du plan d’action pour le travail social, la recherche a été timidement soutenue, a reconnu lors de la conférence préparatoire de l’Unaforis Louis-Xavier Colas, chef du bureau des professions sociales à la direction générale de la cohésion sociale, évoquant néanmoins deux appels à projets qui ont « intégré une dimension internationale » et le développement des coopérations avec l’université. A cette perspective s’ajoute la volonté du Haut Conseil du travail social « de se doter d’une cellule de réflexion pour développer des partenariats à l’international », a-t-il annoncé.

L’Unesco rapproche la recherche de l’élaboration des politiques publiques

Parmi les 17 objectifs du programme de développement durable adopté par l’assemblée générale des Nations unies en 2015, « la notion d’“inclusion sociale” tient une place importante », a expliqué, lors de la « préconférence » de l’Unaforis, John Crowley, chef de service de la section « Recherche, politique et prospective » à l’Unesco. Dans cette vision globale, qui nécessite des cadres nationaux pour mettre fin à toutes les formes de pauvreté, combattre les inégalités et s’attaquer aux changements climatiques, « les formations au travail social assurent une médiation entre les principes généraux et la mise en pratique ». Le Comité français pour les sciences humaines et sociales, présidé par Michel Wieviorka, président de la Fondation Maison des sciences de l’homme, apporte la contribution française au programme MOST (Management of Social Transformations) de l’Unesco – dont l’objectif est de renforcer le lien entre la recherche et les politiques publiques. Parmi les thèmes de réflexion : les phénomènes migratoires, les inégalités sociales, les transformations apportées par le numérique, les questions d’environnement… Dans ce cadre, une plateforme collaborative en ligne de l’Unesco, l’Inclusive Policy Lab (en.unesco.org/inclusivepolicylab), vise à favoriser la coproduction de savoirs et leur traduction en politiques publiques d’inclusion. « Ce que veut dire le caractère inclusif des politiques peut être nourri des expériences des professionnels du travail social », a illustré John Crowley. Lequel a appelé à s’appuyer sur les discussions de la conférence européenne organisée par l’Unaforis et l’EASSW pour « mettre en évidence des champs concrets » d’action au profit des objectifs de développement durable « à l’échéance 2030, sans attendre le 31 décembre 2029 » pour constater qu’ils ne sont pas atteints.

Notes

(1) Voir ASH n° 3016 du 23-06-17, p. 33.

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