« L’isolement social est un phénomène qui concerne plus de 5,5 millions de personnes, soit plus de une sur dix en France. » C’est ce que constate le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans un rapport et un avis relatifs à l’isolement social, rapportés par Jean-François Serres et adoptés le 28 juin par l’assemblée plénière de l’instance(1). Défini par le conseil comme « la situation dans laquelle se trouve la personne qui, du fait de relations durablement insuffisantes dans leur nombre ou dans leur qualité, est en situation de souffrance et de danger », l’isolement social touche une large population : les personnes âgées, les personnes malades, les proches aidants, notamment familiaux, les personnes vivant seules, les personnes en situation de handicap, de chômage, de précarité, les familles monoparentales et les jeunes, durant certaines étapes de leur vie. Facteur aggravant dans des situations de fragilité et de vulnérabilité psychologique, l’isolement social constitue une cause d’accélération de la perte d’autonomie et participe à la dégradation globale de la santé des personnes concernées. A ce titre, le conseil considère l’isolement social comme un « fait social majeur » qu’il est « impératif » de mieux comprendre et de mieux prévenir. Si de nombreuses actions sont déjà à l’œuvre, « elles ne sont ni suffisamment valorisées, ni suffisamment soutenues ». L’enjeu n’est donc pas de promouvoir de nouveaux dispositifs, explique le CESE, mais « de consolider, valoriser, mettre en synergie, développer dans la durée ce qui existe et l’inscrire dans une démarche cohérente, partagée et lisible ». De ce constat, le conseil a élaboré 20 recommandations réparties en trois grands axes. Focus sur quelques-unes de ces préconisations qui « partent toutes de la proximité, c’est-à-dire de ce qu’il est nécessaire de comprendre et de faire au plus près des personnes et des territoires isolés ».
S’il touche une part de plus en plus importante de la population, l’isolement social n’est pas défini de manière stable. C’est ce que constate le conseil économique, social et environnemental, qui propose d’adopter, au préalable, une définition de l’isolement social. Il estime que « c’est sur cette base que pourront être déterminés les moyens de la lutte contre l’isolement social ».
Le conseil préconise aussi de doter les territoires desoutils nécessaires à l’observation et à la compréhension du phénomène. Il propose, par exemple, que des programmes communs d’observation soient mis en place pour recueillir les données relatives à l’isolement social sur les territoires. Ces programmes associeraient à la fois les collectivités territoriales (communes, intercommunalités et départements), les associations, les professionnels, les bénévoles et les universités. En parallèle, il préconise que l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) réalise, au moins une fois tous les cinq ans, une enquête statistique sur l’évolution de l’isolement social en France.
Partir de l’implication citoyenne et des interventions institutionnelles et professionnelles pour articuler les actions des différents intervenants. C’est l’un des objectifs du CESE, qui propose, à cet effet, de déployer et de reconnaître comme « partenaire légitime » des équipes citoyennes – réunions d’habitants bénévoles luttant contre l’isolement social – sur l’ensemble du territoire. Cette reconnaissance supposerait l’engagement de chaque équipe au projet de la lutte contre l’isolement social, et un portage juridique du dispositif par une personne morale.
Par ailleurs, l’assemblée consultative estime que c’est sur le plan local que doit s’organiser l’animation et la coordination des différents acteurs de la lutte contre l’isolement social. Il souhaite faire des communes et des intercommunalités le niveau de portage des coopérations entre les acteurs de la lutte contre l’isolement social. Le conseil estime que ces « bassins de vie » constituent un cadre de proximité pour les personnes isolées et permettent de consolider et d’encourager les modes de coopération de réseaux d’acteurs. A plus grande échelle, il propose aussi de faire des départements et des métropoles le niveau de coordinationde la démarche, notamment en inscrivant la lutte contre l’isolement social dans les objectifs des documents stratégiques des politiques territoriales. Au niveau régional, le CESE recommande d’inscrire la prévention et la lutte contre l’isolement social dans les projets régionaux de santé. Il s’agirait « d’améliorer l’approche transversale au profit de l’organisation des parcours de santé » des personnes concernées. Le projet régional de santé permettrait ainsi d’adapter la coordination des différents acteurs aux besoins locaux.
Autre axe majeur du CESE : soutenir les professionnels de la lutte contre l’isolement social. A cette fin, il préconise de faire de cette dernière « un levier d’évolution et de valorisation des métiers du développement social ». Il souhaite aussi l’intégration de la prévention et de la lutte contre l’isolement social dans les formations et les missions des professionnels de la santé, du médico-social et du travail social. Le conseil ajoute que cette question devrait être « inscrite à l’agenda du Haut Conseil du travail social récemment institué ».
Constatant que l’isolement social interagit avec des facteurs de discrimination, d’inégalités sociales et de pauvreté, le CESE propose d’intégrer la lutte contre l’isolement social dans les objectifs du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, qui s’inscrit dans une logique de décloisonnement des politiques sociales.
Par ailleurs, le conseil estime que le pilotage national de la lutte contre l’isolement social doit se situer à un niveau interministériel. Pour autant, il doit être « visible et incarné ». C’est pourquoi la troisième assemblée de la République préconise la désignation d’un délégué interministériel en charge de la prévention et de la lutte contre l’isolement social. Chargé de piloter et de coordonner les actions à mener contre l’isolement social, ce responsable gouvernemental disposerait de programmes dédiés et identifiés dans le budget de l’Etat. Objectif : faire de la lutte contre l’isolement social un objectif de nombreuses politiques publiques, comme celles de santé, d’urbanisme ou de lutte contre le chômage.
Pour permettre le repérage, la valorisation et la diffusion des pratiques innovantes mises en œuvre dans les territoires, le CESE propose enfin d’instituer une « tête de réseaux » au service des institutions et des acteurs engagés dans la mobilisation contre l’isolement social. Elle prendrait la forme d’un site Internet dédié à la lutte contre l’isolement social. Ce site pourrait « capitaliser la connaissance » des acteurs en leur proposant des guides pratiques ou des illustrations d’expériences. Il devrait aussi permettre la géolocalisation des coopérations ou des équipes citoyennes et lister les formations proposées.
(1) Rapport prochainement disponible sur