A la mi-2016, 68,5 millions de personnes se trouvaient en situation de déplacement forcé dans le monde, dont 21,7 millions de réfugiés, souligne l’association Forum réfugiés-Cosi dans son nouvel état des lieux, « L’asile en France et en Europe »(1), rendu public le 20 juin, à l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés. Un chiffre qui atteint « un niveau exceptionnel » et permet de mettre en perspective la hausse de la demande d’asile en France, les réponses à déployer en matière d’accompagnement et d’intégration, dans un contexte où l’Union européenne (UE) « peine à instaurer une politique protectrice et solidaire ».
En France, 85 696 demandes d’asile ont été formulées en 2016, soit une hausse de 7 % en un an. Le taux global de dossiers ayant débouché sur une protection internationale a progressé pour atteindre 38,1 % – ce qui porte à 36 553, un record, le nombre de personnes ayant obtenu d’être protégées (mineurs inclus). Une hausse, ajoute Forum réfugiés-Cosi, qui s’explique notamment par le nombre important de demandes déposées par des personnes issues de pays pour lequel le taux d’accord est élevé, « dont une partie résulte des engagements pris par la France dans le cadre du programme européen de relocalisation ». En mai 2017, la France avait « relocalisé » 3 404 personnes, contre 19 714 prévues dans le cadre du plan adopté par l’UE (106 000 personnes au total avant septembre 2017).
Il n’empêche que le système d’accueil demeure en crise. Alors que la loi prévoit un délai de trois jours, qui peut être étendu à dix, entre la présentation en plateforme d’accueil pour demandeurs d’asile (PADA) et l’enregistrement de la demande au guichet unique (GUDA, qui regroupe les services de l’Etat), ce délai dépassait trois semaines dans de nombreux départements au début de 2017 et allait au-delà d’un mois à Paris, en Seine-Saint-Denis et en Isère. « Le respect du délai de trois jours n’était constaté que dans les départements de faibles arrivées. Dans certaines villes, un délai supplémentaire de plusieurs jours à plusieurs semaines était parfois même nécessaire pour accéder à la PADA », décrit Forum réfugiés-Cosi. Cette attente « entraîne une précarité parfois durable pour de nombreuses personnes privées de toutes ressources dans l’attente de l’attribution des conditions matérielles d’accueil en GUDA », même si le programme d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile (PRAHDA) – pour lequel plus de 5 000 places sont prévues en 2017 – devrait en partie répondre à ces difficultés. Ces nouvelles structures doivent, en effet, pouvoir accueillir des personnes n’ayant pas encore enregistré leur demande.
Malgré une augmentation du nombre de places destinées aux demandeurs d’asile (le dispositif national d’accueil a vu sa capacité augmenter de 23 % en 2016), moins de 45 % des besoins d’hébergement de cette population sont couverts, estime Forum réfugiés-Cosi. De nombreuses personnes sont laissées à la rue, comme en témoigne la récente interpellation du gouvernement par la maire de Paris, Anne Hidalgo, qui a appelé à des créations de places supplémentaires(2). Selon des informations diffusées par Le Monde le 20 juin, le ministre de l’Intérieur pourrait prochainement faire des annonces sur le sujet. En attendant, rappelle Forum réfugiés-Cosi, le système demeure « largement sous-dimensionné au regard des besoins, tandis que la multiplication des dispositifs mis en place pour faire face aux situations d’urgence (évacuations de campements, notamment) revient à affaiblir le modèle du centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) ».
L’association précise qu’en dépit d’une capacité d’hébergement pour demandeurs d’asile qui devrait atteindre environ 56 000 places à la fin de 2017 (dont plus de 39 000 en CADA), l’objectif affiché dans le schéma national d’accueil du 21 décembre 2015 ne sera pas atteint, puisqu’il prévoyait un total d’environ 60 900 places. « Près de 60 000 places devraient cependant être disponibles à la fin de l’année en incluant [celles des] PRAHDA », dont la particularité est aussi de pouvoir héberger des personnes assignées à résidence qui relèvent du règlement « Dublin ». « Ce programme contribue au nivellement vers le bas de l’accompagnement socio-administratif des demandeurs d’asile », commente Forum réfugiés-Cosi. Quant au dispositif des CAO (centres d’accueil et d’orientation), qui devait être temporaire pour faire face aux évacuations de campements à Calais et à Paris, « il se caractérise par une grande hétérogénéité dans l’accompagnement, certains opérateurs s’inscrivant dans le cadre minimal prévu par la charte de fonctionnement qui prévoit un taux d’encadrement d’un salarié pour 30 personnes hébergées, tandis que d’autres centres fonctionnent avec un accompagnement proche des CADA et des HUDA [hébergement d’urgence des demandeurs d’asile] », soit un encadrant pour 15 à 20 personnes.
Les constats sur la situation des mineurs non accompagnés s’aggravent également, comme en témoigne l’appel au gouvernement de Médecins du monde, Médecins sans frontières et Unicef France, à l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés. Les associations ont demandé « un déploiement et un renforcement des lieux de premier accueil inscrits dans le dispositif de la protection de l’enfance ». Le rapport de Forum réfugiés-Cosi montre en outre que le nombre de demandes d’asile déposées par des mineurs isolés reste faible : 474, même si ce chiffre représente une hausse de 47,7 % en un an. Il précise également que, selon le ministère de la Justice, 8 054 personnes déclarées mineures non accompagnées ont été portées, au cours de l’année 2016, à la connaissance de la cellule nationale placée auprès de la direction de la protection de la jeunesse, contre 5 990 l’année précédente.
Parallèlement à l’augmentation du nombre de bénéficiaires de la protection internationale, les modalités d’accueil mises en place par l’Etat se multiplient, relève encore Forum réfugiés-Cosi, rappelant qu’en 2015, les centres provisoires d’hébergement, dont le nombre de places doit doubler d’ici à la fin 2017, se sont vu reconnaître un rôle de pilote de l’intégration des personnes protégées. A ce système « de référence » se juxtaposent d’autres dispositifs, liés aux programmes de réinstallation et d’admission humanitaire, de relocalisation (le plan « migrants » annonçait 5 000 places de logement) et aux accueils spécifiques de migrants venus de Calais et de Paris. « Les personnes qui relèvent des programmes de réinstallation ou d’admission humanitaire entament dès leur arrivée sur le territoire national leur parcours d’intégration », et sont « projetées dans un système administratif complexe et d’autant plus difficile à comprendre qu’elles ne maîtrisent pas la langue française », pointe Forum réfugiés-Cosi.
Les personnes « accueillies en CAO depuis Calais et l’Ile-de-France présentent quant à elles des parcours souvent chaotiques, avec parfois des périodes d’errance de plusieurs années et la présence d’addictions et/ou de traumatismes liés à l’exil, aux persécutions subies et à la très grande précarité vécue pendant des périodes parfois prolongées ». Cette hétérogénéité des parcours vient complexifier le travail d’accompagnement et conduit à « adapter le suivi au plus près des situations individuelles », poursuit l’association. Elle note aussi « la difficulté d’un accompagnement en zone rurale », alors que le gouvernement a largement encouragé l’ouverture de dispositifs, notamment liés aux programmes de réinstallation et d’admission humanitaire, en zones « détendues » en matière de logement. « Si l’accueil des réfugiés vulnérables et l’ouverture de nouvelles places en centres provisoires d’hébergement ne peuvent qu’être encouragés, les initiatives – et les financements – permettant le développement de programmes d’intégration adaptés et spécialisés manquent aujourd’hui cruellement », plaide-t-elle.
(1) A commander sur
(2) Dans une lettre adressée notamment au ministre de l’Intérieur, Anne Hidalgo plaide pour l’ouverture dans toute la France de centres de premier accueil, sur le modèle de celui créé à Paris.