L’accident du travail – un vasistas qui s’est détaché en tombant sur un agent d’entretien – aurait pu déboucher sur une déclaration d’inaptitude. Directeur de foyers de vie à l’Adapei de la Drôme, Philippe Robard a préféré recourir aux conseils du Sameth (service d’appui au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés). « Il n’était pas question que cette personne perde son emploi, raconte le directeur. Grâce à l’aide financière liée au dispositif RLH [reconnaissance de la lourdeur du handicap], nous avons embauché une salariée en contrat aidé. Celle-ci assure les tâches que l’agent d’entretien ne peut plus accomplir, du fait des restrictions médicales. » Dans un autre service, c’est une aide médico-psychologique atteinte de fibromyalgie, titulaire de la RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé), qui a sollicité un aménagement d’horaires. Ailleurs, une lingère interdite de port de charges lourdes, pour laquelle l’établissement s’est équipé en machines surélevées et en chariots adaptés.
Publics ou privés, les ESSMS sont soumis à l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH) (voir encadré). Spontanément sensible au sujet, le secteur a fait preuve de volontarisme dès 1991, soit quatre ans après la loi instaurant l’obligation d’emploi : les grandes fédérations du secteur privé non lucratif (la Croix-Rouge, la FEHAP, le Syneas devenu Nexem) et les organisations syndicales se sont alors dotées d’un accord visant une politique active d’embauche, de formation et de maintien dans l’emploi. Vingt-cinq ans plus tard, les 14 000 structures couvertes par l’accord (renouvelé tous les cinq ans) atteignent un taux d’emploi de 5,54 %. « Certaines contribuent fortement, d’autres moins, reconnaît Olivier Legendre, directeur de l’association OETH, créée pour animer la mise en œuvre de l’accord. Cela dépend des moyens de chacune, mais un nombre croissant d’organisations déploient de véritables politiques institutionnelles. »
Implantée dans sept départements du Grand Sud-Ouest, l’association ASEI gère 91 établissements et services, tous handicaps confondus. L’an passé, son rapport d’activité affichait un taux d’emploi record : 11,26 %. Modalité privilégiée ? L’emploi direct. « Nos ESAT [établissements et services d’aide par le travail] et EA [entreprises adaptées] assurent, entre autres, des prestations de blanchisserie et d’entretien des espaces verts, mais nous avons surtout accompagné nos salariés dans les démarches liées à la RQTH, expose Patrick Gallais, directeur des ressources humaines (DRH) et de la communication. Beaucoup ignoraient qu’ils pouvaient en bénéficier en souffrant d’hypertension chronique, d’une surdité à 20 % ou d’une déficience visuelle sur un œil. » Agés en moyenne de 45 ans et avec quinze ans d’ancienneté, les salariés de l’ASEI, confrontés à des publics vieillissants, présentent d’importants risques d’inaptitude. « Lorsque celle-ci est prononcée par le médecin du travail, l’employeur ne dispose que d’un mois pour proposer un reclassement, explique le DRH. Nous travaillons donc en amont, notamment via des formations permettant d’exercer une autre activité professionnelle. »
Des reclassements, Geoffroy Verdier, directeur général de l’association d’aide à domicile ADT 44, aimerait pouvoir en proposer à chaque salarié « abîmé » par le métier. « Au domicile, les postes sont plus difficilement adaptables. Mais ici, les emplois administratifs ne représentent que 10 % de l’effectif, ce qui laisse peu de possibilités. » Avec 24 équivalents temps plein titulaires de la RQTH, le taux de 6 % est néanmoins atteint. En Occitanie, l’Arseaa (Association régionale pour la sauvegarde de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte) intègre le maintien dans l’emploi dans un plan d’action plus global, élaboré en 2011. Prévention, sensibilisation, formation, le plan comprend également un volet insertion. Gestionnaire RH et référente handicap à la direction générale, Elodie De Marchi a participé à plusieurs forums spécialisés. « Rencontrer les candidats permet de mieux comprendre leurs attentes », raconte-t-elle. Dans le cadre du dispositif OASIS Handicap (Orientation, accompagnement, secteur intervention sociale), soutenu par OETH et mis en œuvre par le centre de formation Erasme, l’Arseaa accueille en stage des travailleurs en reconversion dans les métiers du social et du médico-social. « Une des stagiaires a depuis été embauchée en contrat de professionnalisation d’accompagnant éducatif et social dans un institut médico-éducatif », précise Samia M’Hamdi, gestionnaire RH et référente handicap au sein du pôle « Enfances plurielles ». L’équipe, affirme-t-elle, a bien accueilli la nouvelle venue : « Le secteur se distingue quand même par une certaine bienveillance. »
Pour Olivier Legendre, les ESSMS avancent dans le bon sens. Bien sûr, des marges de progrès demeurent, mais dans le secteur l’obligation d’emploi ne se résume pas à « une gestion de taux ». Qualité de vie au travail, pénibilité, seniors, gestion prévisionnelle des emplois et des compétences… Tout est lié, insiste le directeur d’OETH. « Si une aide-soignante rencontre des difficultés, il est vraisemblable que toutes ses collègues connaîtront les mêmes tôt ou tard, martèle-t-il. L’enjeu central reste donc celui de la prévention. En agissant suffisamment en amont, on peut retarder ou éviter la survenue d’un handicap. »
Toute structure publique ou privée d’au moins 20 agents ou salariés doit employer 6 % de travailleurs handicapés (emploi direct, sous-traitance avec le secteur du travail protégé ou adapté, accueil de stagiaires handicapés…). Les employeurs sont considérés comme remplissant totalement leur obligation d’emploi de travailleurs handicapés s’ils appliquent un accord agréé comportant des mesures favorisant l’embauche en milieu ordinaire, le maintien dans l’emploi, ainsi qu’un plan d’insertion et de formation et/ou un plan d’adaptation aux mutations technologiques. En cas de non-respect de leurs obligations, les employeurs doivent s’acquitter d’une contribution au FIPHFP (Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique) ou à l’Agefiph (Association pour la gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées).
« Je suis responsable de la mission “handicap” depuis octobre dernier, après avoir été éducateur spécialisé puis cadre éducatif. En 2011, l’EPDSAE [Etablissement public départemental pour soutenir, accompagner, éduquer] a signé une convention avec le FIPHFP [Fonds pour l’insertion des personnes handicapées ans la fonction publique], renouvelée en 2015. Le rôle de la mission “handicap”, créée en 2013, consiste à accompagner les acteurs de terrain dans la mise en œuvre de cette convention. En pratique, je suis à la disposition des 1 600 agents pour les informer sur les droits et démarches liés au handicap : il leur est plus facile de s’adresser à moi, qui n’ai pas de fonction hiérarchique et suis tenu à la confidentialité, qu’à leurs managers. Un guide du management pour les personnes handicapées et le maintien dans l’emploi a été élaboré en interne, mais quand ils sont confrontés à un problème de santé d’un salarié, les cadres et directeurs ont souvent besoin d’être soutenus. J’actionne le Sameth et participe à son intervention, je peux assister aux entretiens de retour de congé longue maladie, je délivre conseils et informations sur les aides existantes… Sur les aspects administratifs – rendus plus complexes du fait du statut public de l’EPDSAE –, je passe toutefois le relais à ma collègue Mariette Lerouge, responsable des parcours professionnels, qui a créé la mission “handicap” il y a six ans. C’est également au niveau de l’administration générale que sont collectées les informations émanant des 16 structures de l’EPDSAE, afin d’alimenter les mesures de prévention des risques. Car les aménagements pensés pour un agent peuvent bénéficier à tous : à ses collègues, mais aussi aux personnes accompagnées. »