Toutes les données montrent que, quantitativement, on n’a jamais compté autant de personnes qui déclarent consacrer du temps bénévole dans un cadre associatif. Mais il est plus intéressant de se pencher sur la forme de cet engagement, de comprendre son évolution, ce qui ne peut se faire sans la resituer dans une vue d’ensemble de la transformation du monde associatif. De l’après-guerre jusqu’aux années 1970 prévalait un modèle d’engagement militant sur la base de convictions idéologiques, qui se traduisait par un dévouement dans la durée auprès d’une organisation. Puis, dans les années 1980-1990, a eu lieu une transformation des pratiques et des usages du monde associatif : l’engagement est devenu moins « total », s’adaptant davantage aux préoccupations individuelles. Les associations n’hésitent plus à dire qu’elles « recrutent » des bénévoles, ce qui renvoie à la rationalisation de leurs pratiques. Le monde associatif est entré dans une nouvelle configuration dans laquelle il est un opérateur des politiques publiques pour un Etat qui se décentralise et des collectivités qui externalisent leurs missions aux associations.
La loi « travail » a créé, dans le cadre du compte personnel d’activité, un compte « engagement citoyen » qui permet de capitaliser l’engagement associatif et d’acquérir des droits, avec une dimension d’employabilité. De même, la loi sur l’économie sociale et solidaire (ESS) de juillet 2014 favorise l’engagement associatif bénévole et volontaire, en permettant notamment à des sociétés commerciales de l’ESS de faire appel à des volontaires du service civique. Cette dynamique de valorisation de l’engagement citoyen est largement soutenue, y compris dans les universités qui intègrent des modules pour lesquels le bénévolat fait l’objet d’une validation. Si la dimension économique est indéniable, elle n’explique pas à elle seule le recours au bénévolat. Dans la pratique, celui-ci n’occupe plus le même statut au sein des associations, il s’inscrit dans l’évolution de leur organisation, en lien avec celle des politiques publiques.
Outre l’hétérogénéité des pratiques, il faut distinguer les bénévoles qui sont en première ligne et les élus du conseil d’administration dont la responsabilité, alors que le salariat associatif explose, implique des compétences pour assurer une fonction employeur. Les associations ont souvent une direction à deux têtes – celle du dirigeant salarié et celle de l’élu – qui se partagent cette mission. Dans le même temps, sur le terrain, certaines associations recourent à des bénévoles qui ne sont pas forcément qualifiés en travail social et qui participent à la déligitimation des professionnels. Le recours à des intervenants non diplômés pour des raisons économiques est perçu comme une forme de concurrence aux travailleurs sociaux, dans un contexte où les diplômes d’Etat sont en restructuration.
Je suis sceptique sur le fait d’assimiler la professionnalisation à une forme de désenchantement, sous l’effet de la rationalisation du secteur, d’un discours qui promeut l’efficacité et qui trancherait avec le registre jusqu’alors invoqué. Le véritable enjeu est de savoir au service de quoi le travail social se met en œuvre. Alors que sa légitimité a d’abord pris appui sur le service public, l’Etat social, le passage à une logique néolibérale a donné lieu à de nouvelles pratiques philantropiques, à une hybridation des logiques privée et publique. C’est une transformation inéluctable, mais pas désespérante, des métiers. Comment faire pour qu’elle n’aboutisse pas à un affaiblissement des logiques professionnelles ? Nous sommes dans une période de transition qui fait naître des mobilisations. Parce qu’on ne pourra pas revenir en arrière, il faut repenser le travail social dans sa nouvelle configuration.
(1) Voir son interview sur le salariat associatif dans ASH n° 2731-2732 du 11-11-11, p. 42.