Certains mois, « ce sont chaque jour les effectifs d’un collège entier d’élèves qui sont temporairement exclus », constate le sociologue Benjamin Moignard, auteur d’une recherche sur les exclusions temporaires (de un à huit jours) qui ont eu lieu en 2012-2013 dans 76 collèges de trois départements franciliens (Seine-et-Marne, Seine-Saint-Denis et Essonne)(1). Sur cette période, de un à huit élèves ont été provisoirement renvoyés chaque jour de classe par chaque établissement, note le codirecteur de l’Observatoire universitaire international éducation et prévention (OUIEP).
Quels sont les motifs les plus courants d’exclusion temporaire – la sanction la plus grave avant l’exclusion définitive ? Dans près de trois quarts des cas, il s’agit de « formes d’insolence relativement mineures, des retards ou des absences, alors que les formes les plus dures, en particulier les violences physiques à l’égard des adultes ou des élèves, sont minoritaires (11 %) », répond le chercheur. Pour certains collégiens, l’éviction provisoire de l’établissement se répète. Près d’un tiers des élèves sont des « polyexclus », c’est-à-dire qu’ils ont été renvoyés plus d’une fois dans l’année – et 20 % à trois reprises au moins. Pourtant, l’efficacité d’une telle sanction a été largement contestée par la recherche : « Plusieurs travaux font la démonstration d’une aggravation du décrochage pour les élèves les plus fragiles », formule Benjamin Moignard.
Dans l’immense majorité des cas, les élèves mis à la porte de leur collège sont renvoyés chez eux sans mesure éducative particulière. C’est pourquoi un nombre croissant de collectivités territoriales mettent en place des dispositifs pour les accueillir pendant leur exclusion. « Zéro collégien exclu dans la rue » : tel est l’objectif du programme « Accompagnement des collégiens temporairement exclus » (ACTE), que le conseil départemental de Seine-Saint-Denis développe depuis 2008 en collaboration avec l’inspection académique. « Ce département est le premier à mettre en place ce type de prise en charge à si grande échelle », souligne Benjamin Moignard, qui en a réalisé l’évaluation(2). L’ampleur de la démarche n’étonne pas le chercheur : d’après ses estimations, de 167 à 589 collégiens sont exclus chaque jour de leur établissement en Seine-Saint-Denis.
Le principe du dispositif est simple : dès la décision d’exclusion, un accueil dans une structure associative ou municipale, partenaire du collège, est proposé aux familles et aux jeunes. Ces derniers y sont encadrés par des personnels non scolaires, essentiellement des travailleurs sociaux, qui organisent des activités autour d’enjeux de resocialisation scolaire, d’apprentissage de la règle et d’exercice de la citoyenneté. La majorité des structures accueillent jusqu’à cinq ou six élèves simultanément, dans la quasi-totalité des cas pour au moins trois jours(3). « Il y a des gosses, trois jours, ça suffit, mais pour d’autres, vraiment pas », estime le référent de l’un de ces accueils. Cependant, ajoute-t-il, « il ne faut pas que ça dure trop longtemps », sinon c’est prendre le risque du décrochage. Il y a donc un « équilibre à trouver ». Les coordonnateurs des structures sont pour la plupart issus des rangs de l’éducation spécialisée. « Au carrefour de l’école et de la prévention spécialisée, ces professionnels s’engagent dans des dispositifs qui illustrent un glissement des missions traditionnelles de l’intervention sociale vers la prise en charge de problématiques scolaires », commente Benjamin Moignard.
A cette « scolarisation du social » répond la tendance de l’école à externaliser la prise en charge de certaines difficultés. Les travailleurs sociaux « dénoncent massivement une forme d’abandon de la gestion des élèves dans le cadre des accueils qu’ils mettent en place : plutôt qu’à un partenariat, il semble bien que l’on assiste à une forme de sous-traitance lorsque [l’école] ne s’implique que très rarement dans l’opérationnalité de la prise en charge », note le sociologue. Par exemple, sur la continuité scolaire : « On demande chaque fois si les profs ont donné quelque chose, mais on n’a jamais rien ! », s’exclame un coordonnateur. « Certains pensent qu’en travaillant avec le gosse, on va réussir à le laver, à le repasser, à le rendre à l’institution scolaire nickel », mais c’est faux, ajoute un confrère.
Ce manque de liens avec les personnels de l’Education nationale constitue, selon Benjamin Moignard, une difficulté majeure pour le programme ACTE, dont le bilan semble néanmoins positif. En 2015-2016, près de 2 000 collégiens (des garçons huit fois sur dix), répartis dans 27 structures, ont bénéficié d’un accompagnement. Et d’après les bilans que font remonter les collèges(4), les jeunes reviennent en général beaucoup plus apaisés en classe, ayant compris ce qui avait conduit à l’exclusion. Même si certains peuvent être de nouveau sanctionnés quelques mois plus tard pour d’autres raisons.
(1) Voir « L’exclusion temporaire au collège : une déscolarisation instituée ? », par Benjamin Moignard, « Les notes du conseil scientifique » de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) n° 1, mars 2017 –
(2) « Dispositif d’accompagnement des collégiens temporairement exclus », rapport d’évaluation réalisé sous la direction de Benjamin Moignard, janvier 2014 –
(3) Données portant sur l’année 2012-2013.
(4) En 2015-2016, 88 des 125 collèges du département étaient concernés par ce programme.