Il y a deux points de départ à l’origine de ce livre. D’une part, il existe une forme de consensus mou pour dire que la formation professionnelle est essentielle dans la lutte contre le chômage. Mais ce constat est tellement consensuel qu’il n’y a pas de débat sur la question. Par exemple, durant la campagne présidentielle, on a beaucoup parlé des mesures qu’Emmanuel Macron souhaite faire passer par ordonnance, alors qu’il a par ailleurs annoncé 15 milliards d’euros d’investissement pour la formation sur cinq ans. Et pas 15 milliards isolés, mais intégrés dans un plan de 50 milliards d’euros consacrés à l’investissement dans la recherche et développement et dans les infrastructures. Nous sommes à un moment où cela est plus nécessaire que jamais. Pourtant, on n’en parle pas… D’autre part, il règne une forme de suspicion sur l’efficacité de la formation professionnelle et des 32 milliards d’euros de budget qui lui sont alloués. On doit régulièrement s’expliquer, faire le point sur ce à quoi sont employés ces milliards et l’intérêt d’un tel budget dans la période actuelle.
On peut toujours mieux faire. Il y a, en France, probablement trop de formations courtes non qualifiantes. Or elles ne font pas la différence pour accéder à un emploi. A l’AFPA [Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes], nous avons montré que 65 % des personnes ayant suivi une formation qualifiante intègrent un emploi à la sortie. D’autres études recoupent ce chiffre. Il faudrait donc resserrer les budgets disponibles autour de ces parcours. La formation professionnelle est une machine pour remettre les chômeurs dans l’emploi. Bien sûr, elle doit préparer à un métier, et donc à un métier d’avenir. Ce qui implique un effort de tout le monde et le choix de chaque personne en formation. Il faut mettre l’accent sur les nouveaux métiers de la transition énergétique et du numérique. C’est en train de se faire, mais cela doit être accentué.
Evidemment, tout ne se règlera pas mécaniquement, mais il faut se projeter vers l’avenir. Il faut de la recherche, de l’innovation, de l’investissement, et de la formation. Si l’on arrêtait d’investir et d’innover, cela ne fonctionnerait pas. Il faut faire tout en même temps. Le paradoxe est qu’il y a de nombreux emplois en tension avec un fort taux de chômage. C’est une honte collective. Car l’emploi est volatile, il disparaît s’il n’est pas pourvu, et cela se produira de plus en plus avec les technologies numériques. Quoi de plus facile que de trouver une filiale ou un sous-traitant dans un autre pays ? Dans l’industrie, mais désormais également dans les services, l’investissement en formation est plus nécessaire que jamais. En dix ans, le chômage a augmenté en France de 40 %, alors que les budgets de la formation n’ont pas bougé. Par ailleurs, les métiers sont en train de se transformer de manière radicale avec les bouleversements de la transition énergétique et de la révolution numérique. Et tout le monde admet qu’on changera de métier plusieurs fois dans sa vie. Tirons-en les conclusions : il faut investir fortement dans la formation professionnelle pour que chacun puisse évoluer. Et ce, non pas pour des questions morales, mais parce que c’est dans l’intérêt collectif… On ne va pas, à chaque fois qu’on a besoin d’une compétence nouvelle, l’importer d’ailleurs.
Les mots ne sont pas innocents. Il fallait les clarifier afin de ne pas partir sur des faux-semblants. D’où l’idée d’emprunter la forme d’un dictionnaire avec des entrées alphabétiques, et le recours, pour chacune d’elles, à des acteurs principaux de la formation professionnelle, qui ont rédigé une contribution. Ce qui m’a permis de proposer une classification entre mots d’hier, d’aujourd’hui, de demain, d’après-demain… En effet, beaucoup de termes ne sont plus adaptés à la formation pour adultes. Par exemple, parler de « prescription », alors que la formation doit être un engagement et un choix personnel. Evoquer des candidats et une sélection, alors qu’il s’agit de développer le potentiel de chacun à son maximum. Il y a des mots d’aujourd’hui sur lesquels il peut y avoir de l’incompréhension. Il y a aussi des mots en émergence, les mots de demain, liés aux nouveaux modes d’apprentissage et aux choix pédagogiques – les MOOC, l’e-learning, la formation ouverte à distance, etc. Nous avons également évoqué les mots d’après-demain. Avec les progrès des neurosciences, on pourra peut-être utiliser pendant le sommeil des programmes de révisions et de consolidations de compétences, déclenchés par des stimulations sensorielles… Ceci pour montrer à quel point l’imagination est à l’œuvre dans ce secteur.
Le formateur est celui qui a exercé un métier et le transmet via des mises en situation. Or le numérique influe énormément sur cette fonction. La formation du passé, c’était le présentiel pur, qui a des vertus mais qu’il faut faire évoluer. Il y a eu, avec l’e-learning, des tentatives de formation uniquement à distance qui ont échoué. On voit qu’il faut un mix, avec du temps en entreprise, des périodes dans un lieu de formation et des périodes chez soi. Cela change le métier de formateur. A partir du moment où l’on a davantage de périodes à distance ou chez soi, il faut concevoir un accompagnement spécifique. Donc ce métier se mâtine d’un peu de community management et de régulation. Car même si l’on est à distance, on doit accompagner un collectif, un réseau social d’apprenants. Il faut apprendre à l’animer, travailler sur l’observance, la qualité du dialogue entre tous et avec le référent. En parallèle, chacun a des besoins différents. On ne va pas faire apprendre à quelqu’un ce qu’il connaît déjà. Les formations sont de plus en plus organisées en modules et doivent être personnalisées au maximum. Mais il y a de tels besoins qu’il faut aussi pouvoir massifier la formation sans la standardiser. C’est compliqué. Les formateurs vont devoir jongler avec tout cela. C’est une histoire à écrire. La France est d’ailleurs plutôt bien située en la matière, car nous avons une bonne tradition en matière de formation professionnelle en entreprise. Sur les outils numériques, nous ne sommes pas les premiers, mais pas les derniers non plus. Il suffit de voir le bouillonnement en matière de start-up fondées sur l’apprentissage. Nous pouvons être le pays qui inventera la formation de demain.
Prenons l’exemple des inégalités de genre. Elles se traduisent par un moindre accès des femmes à la formation, pour diverses raisons – parce qu’on estime que certains métiers ne sont pas féminins, parce que c’est plus difficile pour des mères de famille de se rendre disponibles pour une formation… Il faut donc impulser une politique volontariste. A l’université, cela a été possible. Pourquoi pas dans la formation professionnelle ? Le numérique, avec une part de formation à distance, peut aider. L’AFPA propose en outre un hébergement pour certains cursus. Cela peut permettre d’éviter des frais de logement. Et c’est tout l’enjeu du système d’orientation dans son ensemble, depuis l’école, le collège, l’université et tous les autres acteurs qui peuvent proposer ou inciter à la formation tout au long de la vie. La formation professionnelle répond à une logique économique, mais elle doit également être accessible à tous. Bien sûr, il est normal qu’en dehors de l’entreprise il existe un système collectif qui offre à chacun des solutions pour rebondir – les jeunes décrocheurs, les ruraux, les grands exclus… D’ailleurs, de plus en plus d’entreprises développent, via leur responsabilité sociale environnementale, des actions sur ce sujet. Elles peuvent participer à éclairer l’avenir.
Propos recueillis par Sandra Mignot
Polytechnicien, docteur en économie et ancien DRH, Yves Barou est président de l’AFPA (Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes). Il a dirigé l’ouvrage collectif Apprendre pour demain (éd. Des îlots de résistance, 2016).