En France, les sans-domicile fixe (SDF) sont réapparus en tant que problème social dans les années 1980 et 1990. La compassion, réveillée de manière plus ou moins spectaculaire chaque hiver, a accompagné la constitution d’un système de prise en charge dont le but, qui n’est pas forcément clair, est de lutter contre l’exclusion. Il y a là une sorte d’obligation, presque éthique, de moyens que se donne la collectivité. Une autre perspective est de se donner un objectif de résultat comme « zéro SDF ». Il s’agit avant tout d’une visée à l’aune de laquelle évaluer, puis réformer les politiques en place.
Historiquement, tout un arsenal juridique, plus ou moins raffiné en fonction des époques, a été éprouvé pour venir à bout des vagabonds et des mendiants. On a tour à tour – ou tout à la fois – voulu enfermer, nourrir, bannir, renvoyer dans les paroisses, torturer, soigner, assister, mis au travail. Rétrospectivement, l’objectif « zéro SDF » était implicitement présent, mais sous d’autres mots et avec une tout autre orientation : la répression. Au XIXe siècle, l’ambition « zéro vagabond » n’était pas explicitement exprimée. Mais la volonté était bien là : éradiquer le phénomène, non par l’intervention sociale mais par une répression radicale.
Dans la période contemporaine, l’expression « zéro SDF » comme dessein de politique publique apparaît de manière récurrente lors des campagnes pour l’élection présidentielle. D’abord critiquée au point d’être prestement rejetée, cette idée s’acclimate progressivement.
La formule « zéro SDF d’ici à 2007 » évoquée par le candidat Lionel Jospin au printemps 2002 comme l’un des axes de son programme présidentiel a donné lieu à de vives réserves. Le mot d’ordre a été jugé simpliste et maladroit. L’idée avait pourtant déjà été exprimée en 1997 par Laurent Fabius, alors président de l’Assemblée nationale. Elle s’inspirait d’une proposition « Un toit pour tous » du Premier ministre anglais Tony Blair, réélu en 2001. Le candidat Nicolas Sarkozy la reprendra à son compte en décembre 2006, dans la perspective de la présidentielle de 2007, promettant que « plus personne ne serait obligé de dormir sur le trottoir » d’ici à deux ans s’il était élu président de la République. Sans que l’objectif quantifié soit véritablement employé, il aura été utile pour légitimer les opérations de « refondation » de la politique de prise en charge durant le quinquennat. En 2017, c’est la Fondation Abbé-Pierre qui a communiqué sur le sujet. Dans une adresse aux candidats à l’élection présidentielle, elle soutient que la France a les moyens d’« en finir avec le scandale des sans-domicile ». Elle invite le pays à s’assigner « une obligation de résultat : ne plus laisser personne, homme, femme, enfant, sans un vrai logement pour se reposer, se ressourcer, se reconstruire ». Ses communications sont titrées « SDF : objectif zéro ! »
Cette proposition convoie certainement son lot d’ambiguïtés. Il ne s’agit cependant pas seulement d’un slogan. C’est une orientation rationnelle et raisonnable de politique, permettant une réforme et une mise en adéquation des moyens avec un but précis. Cette orientation est en phase avec de grands engagements internationaux français, ne serait-ce que l’objectif européen d’éradication de la pauvreté et celui international d’extinction de la pauvreté extrême – l’un des principaux objectifs de développement durable (ODD) de la communauté internationale. Naturellement, comme cette visée plus générale de réduction de la pauvreté, la fixation d’un tel horizon appelle des réformes conséquentes, qu’il s’agisse des définitions, des indicateurs ou des instruments des politiques.
Avec de tels énoncés, l’action publique s’oblige à fonctionner sur une logique ciblage-résultats. Assigner un objectif élevé, peut-être inatteignable, c’est se donner la possibilité d’en approcher le plus possible, par les instruments adaptés et les réformes nécessaires.