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« Contribuer à une pensée critique sur les pratiques »

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Composé de chercheurs d’organismes de formation en travail social et d’universités, le Centre de recherche interinstitutionnel sur les transformations et l’intervention sociales (Critis) entend jeter des ponts entre les mondes professionnel et académique. Les objectifs sont l’amélioration de la connaissance du travail social et le renouvellement des pratiques, explique Manuel Boucher, son directeur scientifique.
Comment le Critis est-il né ?

Créé en octobre 2016, ce groupement d’intérêt scientifique (GIS) s’inscrit dans la continuité d’un réseau de recherche, né cinq ans plus tôt, qui associait quatre instituts régionaux de formation en travail social (IRTS) – dont l’IRTS-IDS Normandie, où je dirige le Laboratoire d’étude et de recherche sociales(1). Ce réseau interinstitutionnel avait été constitué par des acteurs de ces IRTS, dont les chercheurs sont tous membres de l’Association des chercheurs des organismes de la formation et de l’intervention sociales (Acofis). Au sein de cette dernière, nous défendions l’idée d’une production autoréflexive de connaissances dans et sur le travail social, honorant ainsi la mission « recherche » des IRTS, qui n’était malheureusement pas remplie par un nombre assez important d’entre eux. Dans le cadre de ce premier consortium, nous avions déjà développé des partenariats avec des chercheurs du monde universitaire, au niveau tant national qu’européen. Quand le plan gouvernemental en faveur du travail social d’octobre 2015 a appelé à la création de réseaux de recherche regroupant des établissements de formation en travail social et des universités, nous avons estimé important de nous reconfigurer et de constituer un GIS à vocation internationale. Aujourd’hui, le Critis compte trois écoles de travail social – l’IRTS-IDS Normandie, l’IRTS PACA-Corse et l’Institut du travail social de la région Auvergne (ITSRA) –, une université française – l’université de Lorraine (Laboratoire lorrain de sciences sociales) – et deux universités européennes – l’université de Calabre (Italie), pour son département de sciences politiques et sociales, et l’université de Barcelone (Espagne), avec son école de travail social.

Quel est son positionnement ?

Notre objectif principal est de contribuer à une pensée critique sur les pratiques de l’intervention sociale dans une perspective émancipatrice et de transformation sociale. Nous mobilisons à cet effet une approche pluridisciplinaire (sociologie, anthropologie, sciences politiques, sciences de l’éducation, histoire sociale) et une démarche comparative – en effectuant des comparaisons dans l’espace comme dans le temps. Ce qui est central, pour nous, c’est de mettre en place des projets de recherche qui participent à la connaissance du travail social et plus largement de l’intervention sociale, qui constituent des ponts entre le monde du champ social et de la formation en travail social et le monde académique. A cet égard, il n’est pas indifférent que, directeur scientifique du Critis, je sois à la fois le directeur général scientifique et pédagogique d’un IRTS et habilité à diriger des recherches (HDR) en sociologie à l’université.

Qu’entendez-vous par « pensée critique » sur le travail social ?

Nous croyons fondamentalement que le travail social est ambivalent, car il est constitué de plusieurs pôles, comme dit le sociologue François Dubet. Il y a, d’une part, le pôle qui permet de rendre des services à des populations en difficulté, afin qu’elles puissent, par exemple, accéder à un logement, à une formation, à la santé. Il s’agit de former les travailleurs sociaux pour qu’ils aient des connaissances juridiques et aussi une connaissance des dispositifs. Il y a, d’autre part, un pôle associé au processus de socialisation, un pôle de contrôle social au sens sociologique de l’expression. Cela signifie que les travailleurs sociaux ont effectivement une action d’éducation, même de rééducation dans certains cas, une action socialisatrice ; ils vont agir pour faire intérioriser certaines normes aux personnes en situation difficile et pour protéger les plus faibles, notamment dans le cadre de la protection de l’enfance où, quand des enfants sont maltraités, il est important que les travailleurs sociaux puissent assumer un rôle de contrôle social. Mais les professionnels ont aussi une mission qui s’inscrit dans une logique émancipatrice. Celle-ci doit permettre aux acteurs accompagnés de construire une distanciation, une conscientisation de ce qu’ils sont dans le monde pour être justement les autocréateurs de leur propre vie, voire les coproducteurs de la société. C’est l’articulation de ces différents pôles qui va constituer l’expérience des travailleurs sociaux. Si les dispositifs mis en œuvre et les formes de rationalisation gestionnaire qu’on peut connaître conduisent à ce que les travailleurs sociaux deviennent soit des opérateurs de services, soit simplement des contrôleurs sociaux, cela nous semble aller à l’encontre des valeurs du travail social, qui sont complètement reliées à cette idée que nous formons des professionnels de la solidarité, du lien social.

Comment fonctionnez-vous ?

Nous avons deux types de programme de recherche. Le premier, permanent, est intitulé « Penser les mutations de l’intervention sociale pour la formation en travail social ». Il est alimenté par des études, des diagnostics, des recherches, des expérimentations pédagogiques menées par les membres du GIS à l’échelle locale, nationale ou internationale. Il s’agit notamment de valoriser les innovations pédagogiques sur des questions émergentes et d’expérimenter de nouveaux modèles d’intervention sociale ou d’adapter des modèles qui ont déjà fait leurs preuves dans d’autres contextes socio-historiques. Le second est la production de recherches communes sur contrat ou en réponse à des appels d’offre.

Avez-vous des recherches de cet ordre en cours ?

Deux projets ont été sélectionnés en novembre, l’un par le ministère de l’Intérieur, la Caisse nationale des allocations familiales et plusieurs départements ; l’autre par la direction générale de la cohésion sociale. Le premier a pour objet la prévention et le traitement de la radicalisation juvénile dans le travail social. Il s’intéresse plus particulièrement aux rapports entre le milieu social et familial des enfants en danger et les acteurs qui concourent à la protection de l’enfance et à la prévention de la délinquance juvénile. L’objectif est d’améliorer les réponses psycho-socio-éducatives pour prévenir les phénomènes de radicalisation. Le second porte sur l’intervention sociale collective et communautaire (ISCC). Outre les membres du Critis, nous avons souhaité, pour ce travail, la participation de chercheurs de l’université d’Amsterdam (Pays-Bas) et de l’université de Montréal (Canada), parce que les approches néerlandaise et canadienne sont très intéressantes sur cette thématique. Ce projet a pour ambition d’étudier les conditions dans lesquelles l’ISCC serait en mesure de faire émerger un processus d’empowerment (ou pouvoir d’agir) des populations défavorisées et pourrait, à ce titre, constituer une innovation sociale promue et enseignée en France.

Que pensez-vous, au Critis, de la constitution d’une discipline académique et d’un doctorat en travail social ?

Nous nous félicitons de la promotion des diplômes d’Etat du travail social post-bac, mais nous pensons que pour s’inscrire pleinement dans le processus de Bologne et son schéma LMD (licence, master, doctorat), il est souhaitable d’aller jusqu’au doctorat, comme il en existe déjà à l’étranger. C’est pourquoi nous proposons la création d’une école doctorale intitulée « Sciences et pratiques de l’intervention sociale », afin d’éviter l’écueil de confondre le travail social avec une science et de souligner la nécessité de mobiliser les sciences humaines et sociales pour penser les pratiques d’intervention sociale. Il nous semble important qu’un tel espace académique puisse se constituer pour former les travailleurs sociaux, afin notamment de les préserver de pressions qui viennent du monde du marché et d’une logique politicienne plutôt sécuritaire.

Le modèle français de formation, qui avait sa légitimité pleine et entière, était lié à l’existence, en France, d’un Etat social extrêmement puissant. Comme cet Etat social redistributif est devenu un Etat social actif, le modèle du travail social, tel qu’on a pu le connaître, a évidemment évolué. A partir de là, il nous semble fondamental que les travailleurs sociaux, qui sont, comme dirait le sociologue Robert Castel, des « auxiliaires d’intégration » de l’Etat social, puissent accéder à une reconnaissance académique qui leur donne une certaine autonomie de pensée et d’action. Je pense que la qualification académique est une protection qui leur permettra d’être véritablement des acteurs du lien social.

Propos recueillis par Caroline Helfter

Points de repères

Le GIS Critis est doté de trois organes.

→ Un comité directeur, qui décide des orientations et des projets de recherche du GIS. Il est composé de François Sentis, directeur général de l’IRTS PACA-Corse, de Manuel Boucher, directeur général scientifique et pédagogique de l’IRTS-IDS Normandie, de Pascal Conil, directeur général de l’Institut du travail social de la région Auvergne (ITSRA), de Walter Greco, chercheur en sociologie politique à l’université de Calabre, d’Hervé Marchal, maître de conférences à l’université de Lorraine, et de Violeta Quiroga Raimúndez, directrice de l’école de travail social de l’université de Barcelone.

→ Un conseil scientifique, garant de la pertinence et de la qualité des travaux du GIS. Il est constitué de chercheurs issus des différentes institutions membres.

→ Une direction scientifique, assurée par Manuel Boucher, qui coordonne l’activité commune des équipes de recherche et constitue l’interface entre le comité directeur et le conseil scientifique.

Notes

(1) Les autres partenaires de ce réseau étaient l’IRTS PACA-Corse, l’IRTS Aquitaine et l’IRTS Languedoc-Roussillon.

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