Ce n’est pas une révolution, mais au moins une évolution. Lente et silencieuse. Inachevée mais prometteuse. Huit ans après la création des premières unités d’enseignement dans les établissements médico-sociaux, la question de la scolarisation des jeunes polyhandicapés progresse. Les démarches se structurent, des expériences commencent à montrer des résultats tangibles, prouvant – puisqu’il le fallait – que ces jeunes sont bel et bien « éducables ». « De ce point de vue, il y a eu un réel changement de paradigme », reconnaît Christine Plivard, directrice du pôle de formation du Comité d’études, d’éducation et de soins auprès des personnes polyhandicapées (CESAP Formation), l’un des principaux acteurs de l’instruction des professionnels dans le champ du polyhandicap. En reconnaissant le droit à la scolarisation des personnes atteintes de handicap, la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a posé les premiers jalons d’un mouvement de société. Et avec elle a pu prendre corps l’idée, défendue par certains professionnels, que ces enfants porteurs de troubles sévères – à la fois intellectuels, moteurs ou sensoriels – étaient capables d’apprendre.
Il y a une dizaine d’années, selon l’enquête auprès des structures pour enfants et adolescents handicapés (ES 2006)(1), 94 % des jeunes polyhandicapés accueillis en établissement ne connaissaient encore aucune forme de scolarité. Les rares enfants à pouvoir en bénéficier étaient inscrits en milieu ordinaire. Dans les établissements médico-sociaux, les professionnels composaient – lorsqu’ils le souhaitaient – avec les moyens du bord. « L’équipe éducative essayait de les faire progresser, de leur apprendre des choses concrètes, mais ce n’était ni planifié, ni organisé, et on n’avait pas les outils pédagogiques », témoigne Nicolas Sempéré, directeur de l’externat médico-éducatif (EME) Les Cerisiers à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine). « Avant 2009, nous n’étions pas dans une logique d’apprentissage scolaire – ou alors c’était marginal –, mais plutôt d’apprentissage de la vie quotidienne », abonde Christine Plivard. Tout restait à inventer. A commencer par les modalités de cette scolarisation. La création, en 2009, des premières unités d’enseignement, qui mettent à disposition des établissements médico-sociaux des professeurs des écoles, relève, à bien des égards, du défi. « Les premières années, ça a été très complexe de faire se rencontrer les univers médico-sociaux et l’Education nationale, se rappelle Roselyne Brault-Tabaï, directrice générale du CESAP. Les éducateurs ne voyaient pas ce que pouvaient apporter les enseignants, qui, eux, se trouvaient démunis parce qu’ils connaissaient mal les spécificités du polyhandicap. »
L’apprentissage scolaire est d’abord un défi organisationnel. « Lorsque le partage des savoirs fonctionne mal, les enseignants se retrouvent isolés avec les enfants, constate Nicolas Sempéré. Pour garantir une rencontre réussie, l’intégration du professeur doit se faire au sein de groupes déjà opérationnels. » Aux Cerisiers, l’équipe éducative avait préparé le terrain bien avant l’arrivée d’un professeur, en 2010. « Nous étions convaincus de la capacité d’apprentissage des enfants. Mais le dire n’était pas suffisant, il fallait le faire, explique son directeur. Nous avons donc cherché à organiser la pluridisciplinarité au service du projet de chaque enfant ; à faire en sorte de créer un dialogue des métiers, entre soignants et éducateurs, pour partager l’expertise et construire des regards croisés en y incluant, au cœur, une pédagogie. » Les Cerisiers ont fait le choix d’adopter la stimulation basale. Imaginée dans les années 1970, cette approche entend aider la personne polyhandicapée à clarifier la conscience de son corps et de l’environnement social et matériel. L’établissement a développé un plan de formation auprès de tous les professionnels. Et les trois enseignants qui se sont succédé depuis 2010 se sont inscrits dans ce cadre pédagogique. « Ça ne fait pas partie des programmes et des formations mis en place par l’Education nationale, admet Stéphanie Guérif, professeure des écoles en poste ici depuis 2016. Mais il faut pouvoir trouver dans les programmes scolaires ce qui permet de travailler en lien avec les unités. » Dans le prolongement de cette pédagogie basale, l’établissement a investi quelque 800 000 € pour repenser ses espaces. Objectif : renforcer le sentiment de sécurité des enfants et créer les meilleures conditions d’apprentissage. « On a cherché à limiter les stimuli sensoriels en réalisant de plus petites classes et en scindant l’unité en deux », explique Nicolas Sempéré.
Mais c’est surtout l’arrivée de l’orthopédagogue Sophie Dumont, en 2009, qui a permis de faire progresser la question de l’apprentissage au sein de l’établissement. En complément de l’enseignement scolaire, cette professionnelle tente d’évaluer le développement cognitif de l’enfant et ses besoins en matière d’apprentissage. « Le polyhandicap nécessite de passer par une longue phase de rencontres. Il faut apprendre à entrer en relation avec la personne, à se faire confiance : elle doit montrer ce qui l’intéresse, comment elle communique, détaille-t-elle. Ce qu’on découvre donne ensuite des pistes sur ce que la personne comprend. A partir de là, on peut proposer des activités d’apprentissage correspondantes. » Lors de la création de l’unité d’enseignement, Sophie Dumont a accompagné la professeure dans sa compréhension de la place des apprentissages auprès des enfants polyhandicapés. « Je suis à la jonction entre l’éducatif et le scolaire, explique Sophie Dumont. Mon rôle est de mettre en place les bases de l’apprentissage pour accéder à des choses plus scolaires. »
Pour développer la démarche auprès de toutes les équipes, au quotidien, l’établissement a impliqué les professionnels au sein d’ateliers « J’apprends autrement ». Depuis 2012, ces groupes réunissent cinq élèves autour de l’orthopédagogue ou de l’enseignant et des professionnels qui côtoient régulièrement les enfants. « On travaille la communication, la découverte du corps, l’exploration, la manipulation », énumère Sophie Dumont. Ces groupes de travail constituent ainsi un moyen de passer de la pluridisciplinarité à la transdisciplinarité, de la juxtaposition au partage des savoirs.
Bien souvent, la frontière entre les apprentissages éducatifs et scolaires se révèle ténue. Pour ces enfants, l’apprentissage commence par le fait de découvrir leur environnement, de comprendre qu’ils ont un corps et des sensations qui leur sont propres. Il commence aussi par le repérage, grâce aux orthophonistes ou aux orthopédagogues, de modes de communication adaptés. A Villeneuve-d’Ascq (Nord), l’institut médico-éducatif (IME) Albertine-Lelandais, de l’association Les Papillons blancs de Lille, utilise Makaton, un programme d’éducation au langage spécifique mis au point dans les années 1970 par une orthophoniste britannique, Margaret Walker. « C’est notre deuxième langue », sourit le directeur de l’IME, Marcel Duriez. Très employé dans les établissements qui accueillent des personnes en situation de polyhandicap, cet outil pédagogique combine parole, signes et pictogrammes pour favoriser la communication et le langage. « Bien sûr, cette communication augmentée doit être pratiquée par tous pour permettre à l’enfant de communiquer avec son entourage. » C’est la raison pour laquelle Les Papillons blancs de Lille ont mis en place une politique de formation importante pour les parents comme pour les professionnels. Enseignants compris. En classe, Philippe Trémolières et Nathalie Echevin, les deux professeurs de l’établissement, utilisent ce langage de manière quasi systématique. « On présente les choses au tableau de quatre façons différentes : avec les mots, avec la parole en disant le mot, avec le pictogramme correspondant et en le signant. » Makaton comprend près de 400 signes simplifiés. Les deux enseignants se sont fixé trois objectifs fondamentaux : maîtriser le code « oui-non », s’identifier par rapport aux autres et identifier les autres. En classe, ils racontent des histoires à leur manière. Lorsqu’ils s’arrêtent sur un objet représenté sur la page d’un livre, ils montrent l’image, mais aussi l’objet en réel ou en petit personnage, la photo, ainsi que le picto de cet objet.
Mixer les méthodes se révèle aussi efficace : à l’IME Albertine-Lelandais, la communication ne se limite pas au Makaton. Elle recourt aussi aux méthodes Borel-Maisonny, qui associe des gestes aux sons, ou Snoezelen, qui repose sur des stimulations sensorielles. « L’idée est de multiplier les canaux sensoriels, le toucher, la vue, l’audition pour entrer dans une symbolisation plus pointue, poursuit Philippe Trémolières. Notre but est que l’enfant aille le plus loin possible. » De manière générale, les professeurs vont utiliser toutes les méthodes dont ils disposent pour faire en sorte que les jeunes communiquent. Certains emploieront Coghamo, ce langage gestuel qui permet d’exprimer les besoins essentiels de la vie courante. D’autres feront appel à la dynamique naturelle de la parole (DNP). Inventée pour les personnes atteintes de surdité, cette technique transmet les caractéristiques du langage par l’intermédiaire du corps. Les sons de la parole peuvent ainsi être massés et grattés sur la peau, exprimés en mouvement et en vibration. « L’important, pour un être humain, c’est de communiquer, résume Marie-Claude Bloch, conseillère pédagogique à l’inspection académique de Versailles et ancienne enseignante à l’EME du CESAP L’Ormaille, à Bures-sur-Yvette (Essonne). On enseigne cette communication, en s’adaptant aux besoins de l’enfant. Sans pour autant s’interdire une acculturation, à travers la musique ou la visite d’une exposition. »
En classe, les professeurs doivent sans cesse faire preuve de créativité. Lorsqu’elle enseignait, Marie-Claude Bloch réalisait des contes sensoriels, en adaptant un album, à partir d’un tapis à histoires : « Je fabrique un paysage de neige ou de forêt avec des matières différentes. Et je raconte avec une marionnette, un lapin par exemple, qui se déplace sur le tapis. » L’enseignante travaille alors la communication avec un pictogramme du lapin, utilise les aspects sensoriels de l’objet équipé d’une texture particulière pour le reconnaître. Elle emploie une poche avec du froid qu’elle pose sur la main de l’enfant pour signifier que les personnages ont froid. Quand ils se réchauffent, une bouillotte permet de le traduire. La musique aussi fait partie des outils d’apprentissage. Marie-Claude Bloch jouait elle-même de la flûte ou sonorisait les contes avec un éducateur musicien. « Comme les enfants sont souvent enfermés dans leur corps, la vibration de l’instrument va permettre d’entrer en communication », observe-t-elle. De la même manière, certains professeurs travaillent sur la danse. C’est le cas d’une enseignante que l’actuelle conseillère pédagogique accompagne dans le cadre de son certificat d’aptitude professionnelle pour les aides spécialisées, les enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en situation de handicap (CAPA-SH) : « La danse permet de mieux connaître son corps, de développer une autre forme d’expression et de construire des repères dans l’espace et le temps. »
Dans la plupart des unités d’enseignement, la classe répond à des rituels bien précis. A l’IME Albertine-Lelandais, la séance commence par la présentation d’un bol tibétain et d’un pictogramme « Bonjour ». « On va voir chaque jeune individuellement avec ces outils, détaille Philippe Trémolières. On s’adresse ensuite à tous avec le déroulé de la séance. » La fin de la classe est signifiée à l’aide d’une boîte à musique. Reconnaître sa photo ou les différentes couleurs, savoir discriminer, mémoriser des histoires ou des comptines… Selon les établissements et les compétences des enfants, les apprentissages scolaires recouvrent des réalités différentes. Chaque jeune a un profil unique, des problématiques qui lui sont propres. Et les enjeux de pédagogie diffèrent d’un élève à l’autre, l’âge étant loin d’être un indicateur fiable. En classe, les enseignants adaptent, chacun à leur manière, les programmes de l’Education nationale. A l’EME Les Cerisiers, Stéphanie Guérif utilise les « attendus » de petite ou de toute petite section avec, par exemple, des jeux d’encastrement, la manipulation d’objets, rarement du travail sur feuilles. « Pour 99 % des enfants, on n’en sera jamais à l’apprentissage de la lecture, note-t-elle. Mais on peut, par exemple, travailler le vocabulaire par des chansons. » En fonction de leur développement, des élèves pourront être sensibilisés aux lettres. C’est le cas à l’IME de Puymaret, à Malemort-sur-Corrèze (Corrèze). Enseignante dans une unité d’enseignement externalisée au sein d’une école, Laurati Krouit accède parfois à un travail de lecture, malgré les troubles intellectuels et moteurs sévères de ses élèves : « On passe par des outils informatiques ou on manipule des lettres en volume. Et certains élèves parviennent à lire lentement une phrase simple. » L’enseignante s’appuie chaque année sur le GEVA-Sco, un outil d’évaluation des élèves handicapés. D’autres expriment clairement l’avoir écarté, parce qu’inadapté au polyhandicap. Le contexte, à chaque fois, prime sur la règle. « On doit être en relation avec les programmes, mais l’enseignement ne ressemble pas à celui d’une école ordinaire, précise Marie-Claude Bloch. Il s’inscrit dans le socle commun, en se basant sur une sélection de compétences. » Ainsi, l’enseignant ne va pas apprendre à un enfant à lire. Il va travailler sur la représentation d’une pomme, par exemple. Il la montrera en vrai, en pictogramme et fera le fruit, mixé. L’enfant aura, à terme, la possibilité de dire, grâce à un pictogramme, s’il aime ou pas la pomme. « On part de là où il est et on va le faire progresser », rappelle Marie-Claude Bloch.
Le temps, bien sûr, ne compte pas. Il faut sans cesse répéter, ajuster et compléter les supports. Autant que la communication, la mémoire, l’attention et le vocabulaire sont travaillés par petites touches. « On a envie d’un autre tempo qu’eux, mais il faut accepter que l’apprentissage est long. Et il faut rester persuadé que c’est possible », convient Stéphanie Guérif aux Cerisiers. Avec le polyhandicap, s’adapter aux besoins de l’enfant constitue une philosophie du quotidien. L’accompagnement se fait chaque année, selon un projet personnalisé. Il s’évalue aussi au fil de la journée, en fonction de l’état de santé et de la réceptivité quotidienne du jeune. Ce qui, de la part des enseignants et des éducateurs, nécessite un travail d’observation et d’écoute très fin. « Les enfants ne sont pas en incapacité, remarque Nicolas Sempéré. C’est à nous, professionnels, d’adapter les apprentissages en fonction d’eux. A ce titre, on fait de l’ultraspécialisation. » Marie-Claude Bloch en fait le constat auprès des enseignants débutants qu’elle accompagne dans les établissements : « Ils peuvent parfois avoir l’impression que leur enseignement n’intéresse pas les enfants. Mais c’est d’abord parce qu’ils n’ont pas trouvé la manière de l’adapter. »
Face à la complexité des différentes dimensions du polyhandicap, l’étude Polyscol (voir page 26), qui s’achèvera en janvier 2018, sera précieuse pour faire émerger les démarches pertinentes et pour valider l’intérêt de la scolarisation. Et ce dernier est multiple, selon les professionnels. Outre le fait que la scolarisation place l’enfant en situation de citoyen comme un autre, l’activité scolaire renforce son estime, le stimule, lui permet de communiquer et de découvrir son environnement. « Face à des situations de restriction extrême des capacités, toute forme d’apprentissage constitue un espace d’autonomie et de liberté », appuie Florence Bergamasco. La chef de service de l’IME de Puymaret estime que le regard que portent les professionnels sur ces jeunes a changé : « Nos attentes ont évolué, on se permet d’y croire pour eux. On a le sentiment qu’ils avancent un peu plus, avec une capacité à nous surprendre parfois bluffante. » Dans cet IME, l’unité d’enseignement se situe au cœur d’une école ordinaire. En plus des apprentissages scolaires, les élèves bénéficient d’une socialisation qui fait ses preuves. « La scolarisation en inclusion induit des contraintes logistiques importantes, en matière de transport, d’organisation du plateau technique et des professionnels. Mais le contact entre les jeunes est naturel et la différence ne fait pas partie du vocabulaire, constate Florence Bergamasco. Dans la cour de récré, on doit ainsi chercher un équilibre entre la nécessité de les protéger et celle de les laisser s’émanciper. »
Mais ces expériences ne doivent pas occulter qu’entre la loi et la capacité d’action sur le terrain, le fossé demeure abyssal. Sur la dizaine d’établissements de l’Association des paralysés de France (APF), aucun ne bénéficie d’un plein-temps d’enseignant. « On avance très doucement, avec de gros manques de moyens », estime Bénédicte Kail, conseillère nationale « éducation familles » à l’APF. Au CESAP, sur quelque 900 places d’accueil, seuls 155 enfants étaient scolarisés en 2015-2016 – 61 en unité d’enseignement et 94 en milieu scolaire ordinaire. En 2016-2017, les choses se sont améliorées, avec 268 enfants scolarisés – 209 en unité d’enseignement et 59 en milieu ordinaire. Surtout, chacun des huit EME pourvus d’une unité d’enseignement dispose enfin d’un professeur des écoles, à temps plein ou partiel. « Il a fallu toutes ces années pour convaincre l’Education nationale de la pertinence et de l’utilité de scolariser ces enfants », regrette la directrice.
Car enseigner à des enfants polyhandicapés ne va pas toujours de soi. « Il y a une représentation de l’enfant polyhandicapé végétatif et non accessible à la connaissance, précise Roselyne Brault-Tabaï. Au-delà des moyens, il y a encore une réserve de certains inspecteurs qui nous demandent à quoi ça sert de les scolariser. » Parfois aussi une réserve des professionnels du soin. « Il faut convaincre que, même si le soin constitue la priorité, l’apprentissage peut apporter des choses », complète Bénédicte Kail.
Argumenter pour obtenir des postes, batailler pour les conserver, composer, aussi, avec le turn-over des enseignants… Sur le terrain, les vocations manquent, les formations demeurent peu orientées vers le polyhandicap et les professeurs non spécialisés obtiennent souvent des postes à titre provisoire. Parfois, même, « ils se font une fausse image du milieu spécialisé », note Marie-Claude Bloch, qui cite l’exemple d’une enseignante qui, impressionnée, a quitté l’établissement aussitôt arrivée. Face à cette difficulté de stabiliser les équipes, transmettre les savoirs s’impose comme une nécessité. A l’EME des Cerisiers, l’orthopédagogue a mené ce travail d’un enseignant à l’autre. « Nous sommes au défi de toujours transmettre en interne », martèle Nicolas Sempéré. Et ces obstacles institutionnels ne font que rappeler combien scolariser un jeune polyhandicapé est, en soi, un défi. Nécessaire, certes, mais d’une exigence permanente.
P2CJP. Ce sigle difficile à prononcer signifie « profil de compétences cognitives du jeune polyhandicapé ». De 2007 à 2009, deux enseignants-chercheurs, Régine Scelles et Maria Pereira da Costa, ont développé, dans le cadre d’une recherche-action auprès de 150 jeunes, cet outil pour une prise en charge adaptée de chaque polyhandicapé âgé de 4 à 17 ans. Il a été déployé en 2010 et finalisé en 2014. « Les outils classiques ne fonctionnent pas avec cette population, explique Régine Scelles, psychopathologue à l’université Paris-Nanterre. Du fait d’une déficience intellectuelle sévère, on avait tendance à utiliser des outils conçus pour les tout-petits mais qui ne prenaient pas en compte les difficultés motrices et sensorielles de ces jeunes. » Fruit d’une évaluation conjointe entre parents, professionnels et psychologues, le P2CJP ne donne ni diagnostic ni quotient de développement. Il repère, avec 69 questions, les compétences – plutôt que les déficiences – de l’enfant : ses capacités sensorielles, socio-émotionnelles, spatiales et temporelles. Il a été utilisé dans le cadre de l’étude Polyscol, certains établissements s’en sont aussi emparés. Grâce à ces premiers retours du terrain, une deuxième version sera proposée dès novembre. Simplifiée dans sa dénomination, l’évaluation de compétences cognitives (ECP) reprend les éléments du P2CJP, mais s’adresse à tous les âges et comporte une échelle sur la santé psychique. L’outil, informatisé, sera actualisé chaque année.
Jusqu’à présent, la question du polyhandicap demeurait quasi absente de la formation initiale des enseignants spécialisés. Depuis 2004, le CAPA-SH(1), pour le premier degré, et le 2CA-SH(2), pour le second degré, comportaient des options relatives à un type de déficiences. L’option C, par exemple, mettait en avant la déficience motrice ; l’option D, la déficience intellectuelle. Mais il n’existait pas en soi d’option « polyhandicap ». La réforme, qui sera appliquée à partir de la rentrée 2017, met fin à ce modèle(3). Commune au premier et au second degré, la formation préparatoire au Cappei(4) comportera un tronc commun et des modules, dont un de professionnalisation en unité d’enseignement. « La souplesse des modules permettra de proposer un parcours qui convient aux enseignants travaillant avec des jeunes polyhandicapés », estime José Puig, directeur de l’Institut national supérieur de formation et de recherche pour l’éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés (INS-HEA), centre de formation de l’Education nationale. Signe d’une évolution, le CESAP formation, acteur majeur du polyhandicap, a, ces dix dernières années, largement réorienté son catalogue autour de la pédagogie. Hier surtout axées sur le soin, ses formations abordent les différentes approches d’accompagnement, de communication et de pédagogie développées auprès des jeunes polyhandicapés. Surtout, grâce à des partenariats noués avec l’Education nationale, elles ne sont plus dispensées qu’aux seuls personnels éducatifs et soignants des établissements médico-sociaux, mais aussi aux enseignants. Nouveauté 2017 : l’association programme en décembre une journée d’études consacrée à la question de la scolarisation.
(1) Disponible sur
(1) Certificat d’aptitude professionnelle pour les aides spécialisées, les enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en situation de handicap.
(2) Certificat complémentaire pour l’adaptation scolaire et la scolarisation des élèves handicapés.
(4) Certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive.