Bidonville sous bulles

Dans le cadre d’une nouvelle collection, baptisée Sociorama, consacrée à des enquêtes de terrain menées conjointement par un sociologue et un auteur de BD, les éditions Casterman ont donné carte blanche à Lisa Mandel – notamment auteure de HP(1) – et à Yasmine Bouagga pour témoigner de l’accueil réservé aux réfugiés en France. Elles ont passé plusieurs semaines, entre février et octobre 2016, dans le bidonville de Calais. Fruit de cette immersion, Les nouvelles de la jungle de Calais est une somme de 300 pages mêlant savamment la dureté de la vie des migrants aux pointes d’humour de la dessinatrice. Lisa Mandel livre au jour le jour le vécu et le ressenti de sa collègue et d’elle-même, sans cacher que l’atmosphère des lieux est parfois pesante pour les deux femmes, et sans jamais oublier de remettre les éléments dans leur contexte et d’expliquer en détail en quoi consiste le droit d’asile, ce que sont le règlement de Dublin ou les accords du Touquet. Elle s’appuie notamment sur les écrits de Haydée Sabéran, une journaliste ayant passé de nombreuses années à collecter des récits de migrants(2) ou les connaissances des militants de l’Appel de Calais. Au fil des pages, on saisit la configuration de la « jungle » et ses différents acteurs : élus, travailleurs sociaux, bénévoles, CRS, mais aussi commerçants. On découvre également ces milliers d’hommes – et quelques femmes – qui ont fui la guerre et vivent dans des conditions insupportables. La bédéiste s’attache à quelques personnages, comme Hamza, ce mineur isolé écrasé entre les essieux d’un camion dans lequel il se cachait ; Amar, brûlé à 70 % lors d’un incendie dans la « jungle » ; ou encore ces Iraniens qui s’étaient cousu les lèvres lors d’une longue grève de la faim. Les deux observatrices n’oublient pas d’aborder le problème des autres camps (Grande-Synthe, Norrent-Fontes, Choques, ou celui de Paris, sous la station de métro aérienne Stalingrad). Elles évoquent enfin, dans ce journal de bord, les démantèlements et les départs en centre de rétention administrative ou en centre d’accueil et d’orientation de tous ces migrants qui ne rêvent au fond que d’Angleterre…