C’est une première dans le paysage social et médico-social : par un appel à projets lancé en juin 2016, le conseil départemental du Maine-et-Loire a complètement rebattu les cartes de l’offre d’accueil des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance. A partir de septembre prochain, huit associations retenues, sur 15 candidates, vont se répartir cette prise en charge, soit un total de 583 places en établissements, dont 538 avec hébergement et 45 places de placement éducatif à domicile. A la suite de cette mise en concurrence des acteurs historiques du territoire, cinq associations ont perdu la totalité de leur capacité d’accueil. D’autres ont été retenues, parfois partiellement, ou en voyant leur capacité d’accueil augmenter, tandis qu’apparaissent de « nouveaux entrants » dans le département.
La procédure est contestée sur le fond. Certains présidents d’association étudient l’opportunité d’un recours, gracieux ou en justice, voire en référé. Dans le cadre de la préparation de son schéma « enfance, famille, soutien à la parentalité 2016-2020 », le département avait affiché sa volonté de faire évoluer sa politique en matière de protection de l’enfance : l’offre, « trop concentrée sur de l’internat classique, avec une difficulté à satisfaire les besoins d’accueil d’urgence sans délai, des places qui ne répondaient pas aux besoins en matière de tranche d’âge et surtout concentrées à Angers, ne correspondait pas aux situations et problématiques familiales », explique Marie-Claude Catel, directrice générale adjointe chargée des solidarités au conseil départemental, pointant aussi la nécessité d’adapter l’accueil aux fratries. Autre élément du diagnostic : un rapport de la chambre régionale des comptes d’avril 2016, contesté par le secteur associatif. Tout en appelant le département à diversifier ses modes de prise en charge, il pointe un « poids financier relatif de [sa politique de protection de l’enfance] largement plus élevé que la moyenne nationale ». Si le président du conseil départemental, Christian Gillet (UDI), qui a succédé à Christophe Béchu (LR) en 2014, argue faire de la qualité de la prise en charge une priorité, la pression budgétaire est réelle : dans le cadre de l’appel à projets, « le tarif plafond est inférieur à l’actuel prix de journée moyen en protection de l’enfance », relève Anne Postic, directrice régionale de l’Uriopss (Union régionale interfédérale des organismes privés sanitaires et sociaux) Pays de la Loire.
Dans un courrier adressé en mars 2016 à l’Uriopss, qui lui avait fait part d’un « risque de fragilisation du tissu associatif local face à cette procédure favorisant la concurrence plutôt que la coopération », le président du conseil départemental avançait la nécessité d’une redéfinition globale de l’offre. Ce qui justifiait, à ses yeux et d’après ses « consultations juridiques », le recours à l’appel à projets, auquel les associations pouvaient répondre, précisait-il, « soit seule, soit en projets partagés ». Si ces dernières ne nient pas des constats communs en amont de la préparation du schéma départemental, la concertation, rétorquent-elles, a achoppé sur les modalités de réponses à trouver. Elles ont, en vain, demandé que le dialogue s’engage dans le cadre des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM). Un outil d’autant plus approprié que certaines avaient déjà proposé une diversification et une évolution de leur offre, notamment pour proposer des placements éducatifs à domicile, et que le département avait préalablement consenti des investissements sur certaines structures. L’Uriopss dénonce un dévoiement de la procédure d’appel à projets dont la vocation, selon le code de l’action sociale et des familles, est de délivrer des autorisations à des établissements et services portant des projets de création, de transformation ou d’extension. Et non de remettre en cause l’offre existante en mettant fin à l’activité de structures. « Pour cela, les textes prévoient des procédures spécifiques, comme les contrôles administratifs ou les évaluations externes, commente Anne Postic. Or là, de façon contradictoire, le département maintient leur habilitation aux associations. Il leur dit : « On ne vous fait plus confiance, on vous retire vos financements », tout en leur conseillant de proposer leurs prestations à d’autres départements ! Sans parler du paradoxe entre le souhait de proximité du département, pour rapprocher le lieu d’accueil des enfants et le lieu de résidence des parents, et l’invitation faite aux autres territoires de confier leurs enfants auprès des associations du Maine-et-Loire ! »
L’Arpeje (Accompagner la réalisation des projets d’études de jeunes élèves et étudiants handicapés) 49, qui gère deux maisons d’enfants à caractère social (MECS) à Angers (121 places au total), fait partie des associations écartées. Elle est membre du Groupement des associations de protection de l’enfance (GAPE) 49, dont le président est aussi celui de l’Arpeje. « La situation est catastrophique, deux structures anciennes sont rayées de la carte, se désole Alain Groyer, son directeur général. Au fil des décennies, nous avons convaincu de notre savoir-faire et de la qualité de notre travail, et nous nous sommes ouverts aux dispositifs d’accueil séquentiel, de suivi éducatif à domicile, d’accès à l’autonomie. » Les associations n’auraient-elles pas pu, par une réponse commune, résister à ce grand chambardement ? « L’appel à projets a été lancé en juin, pour une réponse début octobre, ce qui ne nous laissait que la période estivale, répond Alain Groyer. Pendant les mois qui ont précédé, nous avons combattu pour remettre en question les modalités de réponse aux besoins. Je me suis rapproché d’autres associations, il y a eu des projets d’actions communes. Si un vrai dialogue avec le département avait été engagé sur ce que nous pouvions proposer, dans le cadre de son enveloppe budgétaire, nous aurions pu comprendre qu’il passe à l’étape suivante si cela n’avait pas abouti. Mais il me semble que nous ayons été entravés par une stratégie déjà écrite. »
Outre le rôle des acteurs associatifs, renvoyés selon eux à de simples « exécutants » et non plus considérés comme des partenaires, se pose la question de la pérennité des emplois. Le conseil départemental indique que les associations sélectionnées se sont engagées à reprendre en priorité les personnels des associations non retenues qui le souhaitent. « Mais sans obligation », indique Alain Groyer, selon qui le département fait fi « des contraintes et des obligations réglementaires du code du travail dans le privé et des conventions collectives afférentes ». Quant au maintien de l’habilitation des structures, censé permettre aux associations de travailler au service d’un autre département, « cela ne peut être qu’une solution de dépannage qui ne garantit pas la pérennité des besoins ». Autre enjeu majeur : la continuité de la prise en charge et du parcours éducatif des jeunes accueillis. Le département devrait d’ores et déjà y réfléchir, avec les associations, en tenant compte d’une période de transition le temps que la nouvelle offre se mette en place.
Des transferts qui pourraient néanmoins soulever un certain nombre de difficultés, notamment d’éloignement géographique, souligne Claude Pionnier, directeur de l’Association pour la protection de l’adolescence et de l’enfance de Cholet (Apaech 49). Les candidats malheureux à l’appel à projets devant voir leurs financements disparaître à compter de 2018, « nous avons un an pour préparer les familles. Mais nous ne pouvons pas leur donner toutes les réponses », poursuit-il, évoquant la possibilité de les renvoyer vers l’inspecteur de l’aide sociale à l’enfance, le juge des enfants, voire vers le médiateur départemental. Avec ses sept structures (dont une pouponnière, trois MECS, un foyer d’accueil d’urgence et un service pour jeunes majeurs – qui a déjà vu ses financements se tarir – et un service d’accompagnement à l’insertion), l’association emploie 120 salariés en contrat à durée indéterminée. Elle avait pris la décision de répondre à l’appel à projets en posant ses conditions : « Garantir les taux d’encadrement et la qualification des personnels ». A partir de là, « on savait que l’on ne rentrerait pas dans le périmètre financier. Pour respecter la fourchette haute de 170 € par jour et par place, il aurait fallu réduire les coûts de 1,2 million d’euros sur 6 millions, avec entre 20 et 25 licenciements », indique Claude Pionnier. L’association devrait se prononcer en juin sur la date de sa cessation d’activité, probablement courant 2018. « Une reprise globale aurait pu être la solution », regrette-t-il.
La Sauvegarde Mayenne Sarthe, déjà présente dans le département, notamment avec un service d’action éducative en milieu ouvert renforcé, va créer dix places en placement à domicile pour les enfants de 0 à 3 ans, adossées à 12 places en pouponnière gérées par la Mutualité française Anjou-Mayenne, dans le cadre d’un partenariat. « Nous avions convenu de ne pas nous positionner là où étaient les opérateurs historiques », explique Didier Botton, directeur de l’association, soulignant que celle-ci va « recruter en regardant la situation des personnels » dont l’employeur va devoir mettre la clé sous la porte. « Nous nous sentons une responsabilité dans l’attention que nous allons porter aux salariés et allons recevoir tous les candidats qui souhaitent s’inscrire dans notre projet », assure de son côté Isabelle David-Lairé, directrice régionale Grand Ouest des Apprentis d’Auteuil, la fondation faisant figure, avec SOS villages d’enfants, de « nouvel entrant » dans le Maine-et-Loire. Elle s’est vu attribuer 121 places dans trois territoires du département – placements éducatifs à domicile, places en internat, au titre de l’« accueil singulier à visée thérapeutique » pour les 4-21 ans, places en service extérieur ou chez un assistant familial. « Nous avons déjà l’expérience d’une offre diversifiée qui permet d’adapter la prise en charge dans le cadre d’un parcours personnalisé », justifie Isabelle David-Lairé, précisant que sur le plan financier, l’offre de la fondation « s’inscrit dans le cahier des charges, avec dans les organigrammes un équilibre entre les seniors et les juniors ». Et si l’organisation n’applique pas la convention collective de 1966 pour les métiers éducatifs, ceux-ci relèvent d’« un protocole social en propre, qui se négocie avec les délégués syndicaux centraux, avec des éléments en plus ou en moins ».
Cessations d’activité, reprises partielles, réembauches… Le conseil départemental assure qu’il accompagnera les associations dans cette opération de redéploiement. « La phase de transition va durer jusqu’en janvier 2019 », précise Marie-Claude Catel, au conseil départemental, précisant qu’une « conférence de l’emploi » est prévue pour faire se rencontrer les nouveaux recruteurs – « L’offre est supérieure de 40 places à ce qu’elle était au préalable » (un autre appel à projets conjoint avec l’Etat porte l’offre globale à 698 places) – et les salariés des associations désormais privées de leurs financements. « Nous avons dans l’analyse des projets porté une attention à la formation, au nombre de personnels, en veillant à ce qu’il soit suffisant », souligne-t-elle. Selon la directrice générale adjointe chargée des solidarités, la « phase de 18 mois » pour le passage de relais doit permettre de travailler « sur la gestion en proximité des entrées et sorties des enfants », avec « la notion de parcours, le rapprochement des fratries, sans changer les milieux de vie ». Un « comité technique » est prévu, ainsi qu’un « comité de pilotage stratégique », qui a commencé à réunir les élus départementaux et les présidents des associations retenues et évincées.
L’Uriopss, qui a obtenu de rencontrer le président du conseil départemental le 30 mai, entend « dénoncer le détournement de la procédure d’appel à projets et rétablir la place consultative que l’Uriopss a occupée au sein de la commission d’information et de sélection d’appels à projets (qui rend elle-même un avis consultatif, les décisions finales relevant du président du conseil départemental) », ajoute Anne Postic. L’union souhaite ainsi réagir à la communication du conseil départemental, qui affirme qu’elle a pris part à la sélection des projets. L’Uriopss souhaite aussi « alerter le président du conseil départemental sur les éventuels recours juridiques qui pourraient être portés par les associations et leurs conséquences et obtenir des garanties sur les conditions de mise en œuvre des décisions », dont des engagements clairs sur la continuité des parcours d’accompagnement des jeunes et de leurs familles. « Nous voulons éviter que cette procédure fasse tache d’huile et allons faire part de notre inquiétude auprès d’autres collectivités et décideurs publics », annonce Anne Postic, alors que le département de la Mayenne a, en juillet 2016 et dans une configuration différente, également lancé des appels à projets dans le champ de la protection de l’enfance.
Au sein d’une intersyndicale qui appelait à la mobilisation le 15 mai, la CGT, FO, SUD et la CFDT dénoncent de leur côté une « entreprise de démolition du secteur » au nom de la recherche d’économies, pouvant entraîner le licenciement de « 350 à 400 salariés ». Cette décision est « une remise en cause majeure de la qualité du travail fourni, et de sa nécessaire continuité, par des salariés et des associations qui exercent dans le secteur depuis parfois plus de 150 ans », écrit dans un communiqué du 12 mai la Fédération SUD Santé-sociaux. Une décision qui entraîne également « angoisses et inquiétudes chez les jeunes et leurs familles, accompagnés parfois depuis plus de dix ans ».