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Un temps pour oser l’extérieur

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Depuis 2014, l’antenne avancée en établissement pénitentiaire du SIAO de Meurthe-et-Moselle prépare des détenus à leur sortie de prison. Un dispositif expérimental bien accueilli par les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation.

A 37 ans, Sébastien M.(1) purge sa treizième peine d’incarcération. Sans ressources après dix ans d’enfermement, il s’est brouillé avec sa mère et s’est retrouvé deux mois à la rue. « Alors j’ai volé exprès pour remonter en détention », explique-t-il à Xavier Cuartero, l’éducateur spécialisé de l’Association régionale pour le logement et l’insertion par l’activité (Arélia), venu le rencontrer ce matin au parloir des avocats du centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville. Lors de ses périodes de liberté, Sébastien n’a jamais vécu seul en appartement ni connu la vie en foyer. D’ici à sa libération, prévue pour dans dix mois, le travailleur social va lui rendre visite une fois par mois pour élaborer avec lui son projet d’hébergement.

Un travail en amont

C’est la première fois que le détenu va préparer sa sortie. Dans son cas, une orientation vers un CHRS (centre d’hébergement et de réinsertion sociale) pourrait être la solution la plus appropriée. « C’est bien de s’y prendre maintenant pour voir ce qui est possible et impossible. Plus votre date de libération va approcher, plus vous allez être stressé, prévient l’éducateur. Mais il faut que vous sachiez qu’on ne peut pas bloquer de place en foyer. Cela se décide lors de commissions quinze jours à l’avance. Je ne vais pas vous vendre du rêve pour vous la faire à l’envers ensuite. J’en attends autant de vous. » « Si j’ai un toit et un peu d’argent, je ne ferai plus de conneries », s’enthousiasme Sébastien.

Xavier Cuartero est l’un des deux éducateurs de l’antenne avancée en établissement pénitentiaire (AAEP) du service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) de Meurthe-et-Moselle(2). Depuis 2014, ce dispositif, porté par l’association Arélia, fait le lien entre, d’une part, les détenus sur le point d’être libérés sans solution d’hébergement et, d’autre part, les acteurs de l’hébergement et du logement du département. Ce travailleur social a rejoint l’antenne en 2015, d’abord à mi-temps, tout en s’occupant de préparer les placements extérieurs de détenus en aménagement de peine. Il avait commencé sa carrière au sein d’un CHRS d’Arélia spécialisé dans l’accueil des ex-détenus. « J’ai longtemps été dans l’après-sortie. Je voulais travailler en amont. Ce projet était une occasion, car j’aime l’innovation sociale. »

D’abord expérimentale, l’AAEP est montée en charge progressivement, passant d’un mi-temps d’éducateur à un poste et demi en 2016. L’an dernier, elle a accompagné jusqu’à leur libération 159 détenus sur les trois établissements pénitentiaires et les deux centres de semi-liberté de Meurthe-et-Moselle – d’où sortent chaque année plus de 2 000 personnes. L’antenne avancée n’est pas la seule structure sociale à se déplacer à l’intérieur de la prison, mais c’est la première à s’y occuper des problématiques d’hébergement. Son objectif est d’élaborer des orientations adaptées à chaque détenu, là où, auparavant, les orientations se faisaient au mieux par défaut. Aujourd’hui, l’AAEP est devenue l’interlocuteur unique des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) pour les questions d’hébergement et de logement des détenus en fin de peine.

Pour l’heure, Xavier Cuartero fait le point avec Sébastien sur ses papiers. Celui-ci dispose d’une carte d’identité, mais il a perdu sa carte Vitale. « Il faudra la refaire », insiste l’éducateur. Le détenu n’a jamais fait de déclaration de revenus. « Le jour où vous aurez besoin d’un appartement, vous en aurez besoin », poursuit le professionnel. Le jeune homme n’a pas réussi à bénéficier du revenu de solidarité active (RSA) quand il était en liberté. « Ils n’ont pas voulu me le donner », se révolte-t-il. Puis il admet : « Je n’arrive pas à gérer les papiers… » « Justement, l’accompagnement social peut aussi être fondé sur les papiers », le rassure l’éducateur. L’enjeu est d’offrir au détenu un sas à sa sortie de prison, le temps de se connecter à la vie extérieure et d’ouvrir ses droits au RSA. Comme Sébastien, 77 % des détenus accompagnés par l’équipe de l’antenne en 2016 ont déjà connu plusieurs incarcérations et n’ont pas l’expérience d’une vie autonome. « Le but principal de nos entretiens va être de déconstruire les fantasmes sur le moment de la libération pour pouvoir concevoir un projet adapté, explique Xavier Cuartero. Pour certains détenus, l’étape du passage en foyer n’est pas forcément facile à accepter d’emblée. »

Les rendez-vous se succèdent au parloir des avocats. Marcel B., 34 ans, porte l’habit rouge, signe qu’il travaille dans le centre pénitentiaire. Il attend une réponse à sa demande de semi-liberté… sans grand espoir. Il devait sortir à la fin du mois, mais une nouvelle peine est tombée depuis. Une vieille affaire qui a resurgi. Le trentenaire est néanmoins soulagé que cette condamnation tombe avant sa libération : « Comme ça, j’aurai tout purgé, il n’y aura plus rien en attente de jugement. » Il devrait être libérable dans sept mois. Son grand problème, c’est sa toxicomanie. La cause, selon lui, de sa récidive. Quand il sortira, Marcel souhaite suivre une cure de désintoxication dans les Vosges. Comment organiser cette prise en charge depuis la prison, alors que le centre de désintoxication n’est joignable que par téléphone ? Le prisonnier accepte que Xavier Cuartero entre en contact avec le médecin qui le suit en détention : « Nous pourrions organiser une permission pour que vous rencontriez l’équipe du centre. »

En attendant, l’éducateur réfléchit à un plan B, au cas où la prise en charge en désintoxication ne pourrait être effective dès la libération du détenu. C’est la deuxième fois qu’il accompagne Marcel vers une libération. La première fois, il l’avait orienté vers un petit CHRS spécialisé dans l’accueil des sortants de détention, mais le toxicomane avait replongé. Cette fois, il pense à un autre foyer d’Arélia, équipé de chambres individuelles. « Je pense que vous avez besoin de garder le lien avec des travailleurs sociaux », souligne-t-il pour convaincre Marcel de ne pas rester sur sa mauvaise expérience. « On pourra aussi organiser une permission pour visiter le foyer. »

Un lien solide avec les conseillers du SPIP

Comme à chaque fois, Xavier Cuartero termine sa visite au centre pénitentiaire par un passage dans les bureaux du SPIP pour faire le point sur la matinée avec les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP). « Au fil du temps, ils sont vraiment devenus des collègues, même si nous ne faisons pas partie de la même institution », confie le travailleur social. Ce midi, on le prévient de l’incarcération d’un détenu qu’il connaît déjà, hébergé jusque-là dans un foyer et condamné à douze mois de prison. Comme le CHRS ne peut lui garder ni ses affaires ni sa chambre, l’éducateur va s’occuper de faire le lien avec la structure pour la prise en charge de ses effets personnels.

Ce sont les CPIP qui adressent à l’antenne avancée les prisonniers en risque de rupture d’hébergement à leur libération, avec un formulaire officiel rempli avec les détenus concernés. Au centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville, 12 conseillers travaillent, chacun d’eux suivant en moyenne 85 détenus. L’orientation vers Xavier Cuartero des personnes sans projet d’hébergement est devenue pour eux un réflexe. « Maintenant que c’est en place, on se demande comment on faisait avant », résume Cyrille Perrot, directeur du SPIP du centre pénitentiaire. Avant l’instauration de l’AAEP, les conseillers étaient livrés à eux-mêmes pour trouver des places d’hébergement aux détenus en fin de peine, à l’aide de leurs réseaux personnels au sein des CHRS. La formalisation du SIAO chargé de centraliser les demandes d’hébergement du département avait cassé ces liens informels et imposé des délais de traitement des dossiers incompatibles avec la temporalité de l’institution pénitentiaire. « Cela produisait une sorte de handicap pour les sortants de détention », résume Antoine Michaut, directeur départemental du SPIP. A l’annonce de la mise en place de l’antenne avancée, les conseillers s’étaient montrés mitigés sur ce nouvel intermédiaire, se souvient Antoine Michaut : « Ils objectaient que cela n’allait pas constituer une véritable avancée, puisque le problème premier était le manque de place dans les structures. »

Des résultats encourageants

Mais les résultats les ont convaincus. L’an dernier, 66 % des demandes se sont soldées par une solution d’hébergement ou de logement le jour de la libération – dans la grande majorité des cas, dans un CHRS. Au fil du temps, la proximité entre l’équipe de l’AAEP et les CPIP a permis à chacun de se familiariser avec la culture institutionnelle de l’autre. Les conseillers ont appris à anticiper le plus tôt possible la question du logement. « Les éducateurs de l’antenne avancée ont une connaissance spécifique du secteur de l’hébergement, alors que nous, nous sommes des généralistes de la réinsertion. Ils nous apportent ce regard de l’insertion par l’hébergement », se félicite Malory Louis, conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation.

La préparation à la sortie demande du temps. « L’idéal est un suivi d’une durée d’un an, concède Xavier Cuartero. Cela permet de prévoir des permissions accompagnées, de tester l’extérieur. Parfois, lorsqu’ils sont dehors, les gens sont complètement paniqués. Ils ont l’impression qu’on peut lire sur leur visage qu’ils sortent de prison. » Mais, en 2016, seuls 31 % des personnes suivies ont commencé leur accompagnement plus de quatre mois avant leur libération, et 24 détenus ont été pris en charge par l’AEEP moins de deux mois avant leur libération. « Il s’agit de très courtes peines ou de personnes qui paniquent à l’approche de la sortie, parce qu’elles réalisent que leur famille ou leur petite amie se désengage et ne veut plus les héberger. Il faut alors savoir être très réactif », détaille l’éducateur.

Toutes les demandes ne sont pas satisfaites, mais chaque détenu reçoit une réponse officielle par écrit et dispose d’un interlocuteur à la sortie, même si ce n’est que pour un accueil d’urgence. Les sortants sont alors adressés à l’un des quatre SIAO du département, qui leur proposent au moins un accueil de jour avec un suivi social et une domiciliation, indispensable à l’ouverture des droits. Les personnes gardent cependant leur place sur les listes d’attente du SIAO.

Le temps de déjeuner avec le stagiaire qu’il accueille aujourd’hui, et Xavier Cuartero revient à son bureau, dans les locaux du CHRS Foyer de la Libération, l’un des sites de l’association Arélia. A côté de ses permanences en établissements pénitentiaires, qui lui prennent deux ou trois demi-journées par semaine, l’éducateur se consacre pour l’essentiel aux tâches administratives : rédiger les rapports sociaux et les préconisations pour chaque détenu demandeur, préparer les commissions SIAO où se décident toutes les orientations en CHRS… Pour l’heure, l’orientation temporaire des détenus libérés vers des CHRS reste l’issue la plus courante des suivis effectués par l’antenne avancée. Les accueils collectifs permettent en effet un accompagnement social global et quotidien. Ils conviennent aux ex-détenus très marqués par l’univers carcéral et qui n’ont pas l’expérience de l’autonomie. Mais il n’est pas toujours simple de composer avec les possibilités existantes. En outre, pour certains, le passage en foyer, où ils vont côtoyer des personnes aux problèmes similaires – notamment d’addiction –, peut poser problème. « Il nous faut réfléchir à la manière d’éviter de les mettre en difficulté, reconnaît le travailleur social. Nous essayons de ne pas orienter le même type de personnes au même moment et au même endroit pour ne pas concentrer les difficultés. Il faut toujours essayer de mélanger. »

Pour Frédérique Cordier, chef de service du Foyer de la Libération, l’antenne avancée a permis des prises en charge des ex-détenus mieux préparées. « Maintenant, on connaît les personnes à leur arrivée, alors qu’avant le SPIP ne nous transmettait qu’un rapport social succinct et nous sollicitait souvent trop tardivement. Aujourd’hui, nous avons un regard plus affiné et arrivons à mieux adapter la prise en charge à la sortie. » Dans ce foyer, les sortants de détention ont représenté 22 % du public accueilli en 2016. « Le temps d’accompagnement de l’antenne avancée nous laisse la possibilité, par exemple, de prévoir une entrée en atelier de travail à l’arrivée de la personne, développe Frédérique Cordier. L’antenne permet aussi au détenu de visiter le site avant sa libération et d’appréhender la structure, ce qui désamorce ses angoisses sur la sortie. »

Pour certains détenus, l’unique repère

Sur le perron du Foyer de la Libération, Emilie V. fume une cigarette. La jeune femme est sortie du centre de détention de Nancy-Maxéville il y a près d’un an, avec pour seul repère le suivi social amorcé par Xavier Cuartero. « Quand on sait qu’il n’y aura rien derrière, pas de famille, pas de visites au parloir, les rendez-vous avec Xavier sont très importants », confie-t-elle. Emilie a été transférée en cours d’incarcération : « J’avais perdu mon appartement dans ma ville d’origine et je ne connaissais pas Nancy. » L’éducateur l’a orientée vers un foyer pour femmes de l’agglomération. Avant d’y arriver, la détenue avait pu lui rendre visite une fois dans le cadre d’une permission de sortie accompagnée. Le jour de sa sortie, il était à ses côtés pour l’y conduire. Depuis, elle a changé de foyer et est toujours en période de transition.

L’antenne avancée tient aussi un rôle d’observatoire pour faire progresser la qualité et la diversité de l’offre disponible. « Pour les publics vieillissants, qui sortent de longues peines à la prison de Toul [à l’ouest de Nancy], nous devons réfléchir à d’autres dispositifs à mettre en place, projette l’éducateur. Nous avons des pistes du côté des foyers de résidence et des EHPAD [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes], mais nous devons encore rassurer ces partenaires potentiels et lever des freins. » Car il faut en permanence essayer d’adapter les réponses aux besoins des usagers. L’AAEP tente d’orienter les publics qui souffrent de problèmes médicaux vers des structures médicalisées ou médico-sociales. Les sortants de détention suffisamment autonomes peuvent, quant à eux, être orientés vers du logement intermédiaire de type résidence sociale ou foyer de jeunes travailleurs. Mais pour les personnes les plus autonomes, les CHRS restent souvent des orientations par défaut, alors qu’une entrée en appartement autonome aurait été souhaitable. Ce cas de figure concernerait entre 15 et 20 % des sortants de détention accompagnés, avant tout des personnes quittant un régime de semi-liberté qui leur a permis de commencer à travailler et donc de percevoir des revenus. C’est pourquoi le comité de pilotage de l’antenne avancée est en négociation avec un groupe de bailleurs sociaux. Afin de lever les craintes, il est envisagé que les ex-détenus entrant dans ce type de logement puissent passer par des baux glissants, dans un premier temps au nom d’une association, avant de passer au nom du bénéficiaire, le coût du loyer étant à sa charge dès le départ.

Focus
Un dispositif encore expérimental

L’antenne avancée en établissement pénitentiaire (AAEP) du SIAO 54 a émergé en 2013 à l’occasion d’un appel à projet de la DIHAL (direction interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement), sous l’impulsion de la DDCS (direction départementale de la cohésion sociale) de Meurthe-et-Moselle. C’est actuellement l’une des rares antennes avancées de SIAO en France. Elle a fonctionné à partir de 2014 à titre expérimental, à raison d’un demi-poste d’éducateur puis d’un temps complet, pour atteindre un poste et demi en 2015, avec un champ d’action élargi aux détenus en semi-liberté. Les deux éducateurs du dispositif sont salariés de l’association Arélia, qui touche aujourd’hui une subvention de la DDCS à hauteur d’un poste et une autre du SPIP 54 à hauteur d’un demi-poste. En juillet 2016, Arélia, le SIAO 54, le SPIP 54 et la DDCS ont formalisé le dispositif en signant une convention de partenariat reconductible tacitement tous les ans. Si l’engagement financier de la DDCS semble aujourd’hui acquis, celui du SPIP n’est pas encore pérenne. Jusqu’alors, il a été pris sur l’enveloppe annuelle de la lutte contre la radicalisation. Aucun budget fixe n’existe encore pour institutionnaliser le dispositif. Pourtant, la formalisation de partenariats entre les SIAO et les SPIP est une préconisation de la circulaire d’application de la loi « ALUR », émise en mai 2016. A la DIHAL, on reconnaît qu’un tel dispositif d’AAEP pour prévenir les ruptures d’hébergement est appelé à se développer sur l’ensemble du territoire français.

Notes

(1) Les prénoms des bénéficiaires ont été modifiés pour conserver leur anonymat.

(2) AAEP du SIAO 54 : association Arélia – Site Libération – 269, avenue de la Libération – 54000 Nancy.

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