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Les lacunes de la loi sur l’indemnisation des victimes d’accidents médicaux

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Avocat engagé aux côtés des victimes d’accidents et de dommages corporels, Vincent Julé-Parade dénonce le dysfonctionnement de la procédure de conciliation et d’indemnisation des victimes d’accidents médicaux prévue par la loi « Kouchner » votée en 2002. Parce que cette démarche n’a pas de valeur contraignante, les assureurs n’hésitent guère à en profiter pour réduire, voire effacer, leur facture. Et l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux joue aussi la tactique de l’usure…

« La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite loi “Kouchner”, poursuivait un louable objectif : favoriser une indemnisation plus rapide des victimes d’accidents médicaux, notamment fautifs, en créant un organisme de solidarité nationale : l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM). Il est vrai qu’il y avait urgence, tant la bataille de la reconnaissance des droits des victimes d’accidents médicaux était difficile à gagner. De plus, l’ancien régime juridique excluait toute indemnisation en l’absence de fautes. L’aléa thérapeutique, également appelé « accident médical non fautif », n’ouvrait droit à aucune indemnisation, y compris dans des cas gravissimes.

La loi “Kouchner” devait venir combler ces lacunes en instaurant une procédure de conciliation et d’indemnisation des victimes d’accidents médicaux en créant la commission de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI). Cette loi de référence a donc instauré une procédure gratuite permettant d’obtenir un avis rapide sur les responsabilités et les préjudices avec la possibilité de recevoir une indemnisation. La procédure amiable devait même permettre à la victime d’être indemnisée en cas de refus de l’assureur du responsable, grâce à l’intervention de l’ONIAM.

Le mécanisme semblait beau et le droit des victimes, renforcé. Selon les dispositions du code de la santé publique, si, en cas de responsabilité fautive reconnue, l’assureur du responsable demeure silencieux pendant les quatre mois de l’avis de la CCI le mettant pourtant en cause, il appartient à l’ONIAM de se substituer à ce dernier et de proposer à la victime une indemnité. Cette substitution suppose initialement que la victime abandonne toutes les voies de recours contre le responsable. L’ONIAM prend alors en charge l’action en justice contre l’assureur du responsable afin d’obtenir le remboursement de l’indemnité.

Prévoyant sans doute que les assureurs ne joueraient pas le jeu de l’amélioration de la prise en charge des victimes, les auteurs de la loi de 2002 ont, fort justement, prévu un moyen de les dissuader de contester leur garantie : en cas de substitution par l’ONIAM, ce dernier pourra solliciter non seulement le paiement de l’indemnité versée, mais aussi une pénalité de 15 % sur les sommes obtenues pour sanctionner la défaillance de l’assureur.

Un mécanisme détourné

En théorie, ce mécanisme est séduisant, tant il est favorable aux victimes, puisqu’il leur épargne l’exercice d’une action en justice. Mais c’est souvent à l’épreuve de la pratique que les principaux défauts sont mis à nu. Ce mécanisme a été détourné de sa finalité autant par le comportement des assureurs que par celui de l’ONIAM. Avocat de victimes, je peux constater au quotidien les situations, souvent désastreuses, auxquelles sont confrontées les victimes.

Il n’est pas rare que mes clients, ayant dans un premier temps décidé de saisir seuls la CCI, obtiennent un rapport d’expertise qui leur est favorable, désignant un médecin ou un établissement de santé responsable. A leurs yeux, la victoire semble à portée de main. Dans la majorité des cas, ils obtiennent dans la foulée un avis de la CCI confirmant les termes du rapport d’expertise et enjoignant l’assureur du responsable à formuler une offre dans les quatre mois. La victime pense pouvoir enfin toucher une indemnisation.

C’est à ce moment que la machine s’enraie et se retourne contre la victime qui, sans l’assistance d’un conseil, est totalement dépassée par les subtilités d’une loi qui lui a été présentée comme éminemment protectrice […]. Elle découvre avec effroi que l’avis de la CCI n’a pas de valeur contraignante, au contraire d’un jugement. Ainsi, après l’expiration du délai de quatre mois, l’assureur peut ne formuler aucune offre. Il est impossible de le contraindre. Force est de constater que les assureurs ne se privent naturellement pas de s’engouffrer dans cette brèche qui leur est offerte. L’absence de proposition est quasi constante.

Très souvent, dans cette situation, la victime saisit l’ONIAM afin qu’il se substitue à l’assureur défaillant, puis se retourne contre ce dernier et sollicite l’application d’une pénalité de 15 % à son encontre pour sanctionner cette absence d’offre. Je veux rappeler ici que cette substitution n’est nullement une obligation pour l’ONIAM. Dans l’un de mes dossiers, l’office public a ouvertement refusé de se substituer à l’assureur en critiquant le rapport d’expertise établi par trois experts dont la réputation n’est plus à faire.

La victime est confrontée à un dilemme

La victime est ramenée au point de départ, souvent plusieurs mois, voire plusieurs années, après qu’elle a décidé de saisir la CCI. Seule solution pour elle : saisir les juridictions judiciaires et administratives de droit commun et reprendre la procédure à zéro. Dans certains dossiers, les conséquences humaines sont terribles. Une de mes clientes, tétraplégique à la suite d’une erreur chirurgicale, n’a perçu depuis quatre ans qu’une seule provision de 10 000 €, qui ne couvre même pas quatre mois d’assistance d’une tierce personne.

La tactique de l’assureur doit être dénoncée : celui-ci propose lui-même à la victime d’obtenir une indemnisation de la part de l’ONIAM en se prévalant, lui-même, de sa carence ! Quel est l’intérêt d’une telle attitude ? Par ce silence, l’assureur entend baisser le coût économique de son sinistre, et ce au détriment des victimes. Lorsque l’ONIAM formule une proposition d’indemnisation, celle-ci est fondée sur le barème d’indemnisation qu’il a lui-même institué et qui est inférieur de plus de 30 % aux montants généralement alloués par les juridictions.

Le recours au barème d’indemnisation de l’ONIAM est contraire au principe selon lequel la réparation du préjudice corporel doit être intégrale et individualisée. Mais surtout, la victime est piégée et confrontée à un dilemme : soit, épuisée par l’instruction du dossier, elle accepte la proposition d’indemnisation qui lui est faite ; soit elle la refuse et doit déclencher une procédure judiciaire. Elle devra dès lors affronter des années de procédure, des demandes de contre-expertise de la part de l’ONIAM et des assureurs, souvent acceptées, puis des discussions sans fin sur les montants indemnitaires. La procédure devant la CCI n’aura en réalité servi à rien.

Si la victime accepte la proposition d’indemnisation de l’ONIAM, celui-ci pourra solliciter son remboursement auprès de l’assureur du responsable par voie contentieuse. Cette perspective ne fait pas peur à l’assureur, et pour cause. Il s’y retrouve financièrement. En effet, dans certains cas, le remboursement réclamé par l’ONIAM, même avec le risque potentiel d’une condamnation à des pénalités de 15 %, est inférieur à l’indemnisation du préjudice qui aurait été obtenue par la victime par la voie judiciaire. Le silence de l’assureur lui est profitable économiquement.

Si le mécanisme instauré par la loi “Kouchner” était louable, il aboutit, du fait de l’attitude des assureurs et de l’ONIAM, dans certains cas, à une solution défavorable pour les victimes contraintes d’accepter une offre sous-évaluée. En tant qu’avocat de victimes, je ne peux que m’interroger, bien souvent, sur l’opportunité d’engager une procédure devant la CCI afin d’éviter une procédure judiciaire réputée longue et coûteuse. Le préjudice d’une victime ne doit pas se résumer au seul coût. La gratuité de la CCI ne doit pas faire miroiter une indemnisation facile et équitable pour les victimes. »

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