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Un héritage complexe

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Prendre le relais d’un ou d’une manager qui a marqué, parfois depuis des décennies, la direction d’un ESMS n’est pas chose aisée. La transmission doit être acceptée tant par l’arrivant que par le partant, afin d’aider les équipes à intégrer les changements.

« Au départ du directeur fondateur, il y a eu des pleurs. Pour certains, c’était un effondrement », confie une directrice qui a eu la lourde charge de succéder à un manager charismatique. Selon la Fnades, les directeurs d’établissements effectuent des rotations de poste en moyenne tous les dix à douze ans – une durée qui varie néanmoins en fonction des territoires et des régions(1). Or les managers qui témoignent ici ont pris la relève de figures restées à la tête d’un établissement ou d’une association durant vingt, vingt-cinq, voire trente ans. Des professionnels ayant de fortes personnalités et qualifiés de « penseurs », d’« innovateurs », parfois des « militants ». En tout cas, des hommes et des femmes dont le travail « fait autorité ». Inutile, dès lors, pour les arrivants de se comparer et de scruter dans le rétroviseur. Il faut aller de l’avant, rester soi-même, avec son style managérial, et prouver sa légitimité par ses compétences et la qualité de son relationnel. Sachant d’ailleurs que, au fil de son exploration, tout nouveau chef s’apercevra que son prédécesseur, si brillant et talentueux qu’il fût, avait des faiblesses.

Ni le « meurtre du pere », ni celui « du fils »

« Quand on prend la direction d’un établissement préexistant, le risque est d’être confronté à deux problèmes : le directeur arrivant peut vouloir faire table rase du passé, disqualifier ce qui a été fait et, en quelque sorte, “tuer le père”. Le partant, quant à lui, peut s’en aller en faisant des erreurs de transmission, voire en semant des petites bombes à retardement qui explosent dans les mains du nouveau directeur, soit le “meurtre du fils” », analyse Noël Touya, directeur de la MECS Saint-Vincent-de-Paul, à Biarritz, et coauteur de Travailler en MECS (éd. Dunod, 2014). Fort heureusement, quand il a succédé à Francis Batifoulier en 2013, il n’a, lui, été confronté ni à un parricide ni à un filicide. « Au contraire, nous avons vraiment œuvré main dans la main pour éviter ces deux écueils. Mais même si on a opté pour un passage de bâton tout en douceur, on s’est rendu compte que prendre soin d’un changement de direction était un vrai travail », admet Noël Touya.

Cela fait quatre ans qu’il a pris la tête de cette MECS biarrote qui accueille 70 jeunes et salarie 42 ETP. Son prédécesseur, qui occupait le poste depuis vingt ans, a commencé à évoquer son départ en retraite de manière très anticipée. « Il avait des idées arrêtées sur la manière dont cela devait se passer idéalement, retrace Noël Touya. Lui-même avait pu profiter d’une période de tuilage avec la religieuse qui dirigeait précédemment l’établissement. Il a eu l’envie que cela se passe de la même façon. » En accord avec le conseil d’administration de l’association, le directeur sortant propose à celui qui est chef de service dans la structure depuis dix ans de lui succéder. « A condition que je passe un Cafdes, précise Noël Touya. Cela a permis de longs mois de préparation, ce qui n’était pas inutile car il fallait que je prenne une place fortement occupée. » En effet, en interne, Francis Batifoulier était la figure du refondateur – il a remis en chantier le projet d’établissement et a permis à la structure de prendre un virage vers le développement de services de placement à domicile. Dans le secteur aussi, il est reconnu pour ses écrits et a cofondé l’Association nationale des MECS. « Compte tenu de sa personnalité, la question que je pouvais me poser était : “Suis-je à la hauteur d’une telle mission ?” J’ai longtemps hésité, d’autant qu’il fallait que je renonce au métier de chef de service qui me passionnait. Mais je me suis aussi dit que je n’aimerais pas forcément travailler auprès d’un autre directeur ! »

« Laisser faire » pour l’un, s’impliquer pour l’autre

« Selon moi, cette succession est une réussite car on a vraiment bien travaillé la transmission, avec beaucoup de pédagogie de sa part, analyse Noël Touya. Sa façon de m’associer au plus près d’un certain nombre de dossiers et de lâcher progressivement des responsabilités a été exemplaire. Cela demande un réglage, beaucoup de discussions, de transparence et de clarté – pour celui qui va partir, qui doit commencer à “laisser faire”, et pour celui qui va prendre le poste, qui doit s’impliquer alors que le directeur est encore là. » Finalement, il reprend pour de bon les rênes de la MECS, sans le moindre accroc. « Je n’ai pas fait la révolution, même si le contexte a changé et que l’association a grossi. Avec un peu de recul, je me dis que j’ai réussi à imposer mon style sans essayer de copier le directeur qui est parti. Je fais les choses à ma manière, mais dans la continuité. » Pour le sortant également, l’expérience se révèle positive : « Il a vraiment eu le sentiment de participer à ma formation et a pu partir plus tranquille. »

A la fin 2011, Nathalie Chapuis a pris, quant à elle, la relève de celui qui avait créé trente-cinq ans auparavant la MECS Les Fogières, à Saint-Genest-Malifaux (Loire). « L’établissement était alors un lieu de vie, qui a grossi jusqu’à se constituer en association au tournant des années 1990, relate-t-elle. Aujourd’hui, nous accueillons 27 enfants atteints de psychopathologies et salarions 35 professionnels. » C’est la présidente qui a embauché celle qui, à l’époque, était à la tête d’un centre social. « Elle avait le souci que l’association continue à vivre après le départ de son fondateur. Elle m’a beaucoup soutenu dans mon positionnement au sein de l’établissement, surtout quand je me suis heurtée à des différences de points de vue avec mon prédécesseur sur le management. En fait, lui était un militant qui avait fait de son engagement personnel son métier, tandis que j’ai un Cafdes et des outils d’actualité – même si je n’ai jamais eu l’intention de tout révolutionner. »

A son arrivée, en mars 2010, Nathalie Chapuis est embauchée sur un mi-temps en tant que directrice adjointe pour travailler la passation. « Cela a été utile car le directeur sortant m’a transmis beaucoup de choses. Durant cette phase d’“observation”, j’en ai profité pour mener des entretiens avec les salariés, pour écouter leurs craintes devant ce changement de direction. Cela m’a poussé à beaucoup communiquer, à rassurer. » Mais cette période de tuilage dure un peu trop longtemps à son goût. « A un moment, j’en ai eu assez. Dès janvier 2011, je me sentais prête, alors que le directeur hésitait encore à partir. C’était difficile de quitter son institution, il voulait être sûr de la laisser entre les mains de la bonne personne. Et comme on travaillait à deux, une zone de confort s’était en quelque sorte installée pour lui sur qui tout reposait auparavant. Cela risquait donc de s’éterniser… » Quand ils se rendent compte qu’elle commence à piétiner, les membres du conseil d’administration comprennent qu’il faut accélérer les choses et convainquent Nathalie Chapuis de rester. Au final, tout se passe au mieux. « Quand il est parti, j’ai eu le sentiment d’avoir été accréditée par le directeur, sourit aujourd’hui la professionnelle. Les salariés, pour qui ce départ était comme un mini-deuil, m’ont reconnue dans ma fonction parce que j’avais travaillé à ses côtés. » Des conseils à partager avec d’autres « héritiers » ? « Prendre le temps d’écouter, de s’imprégner de l’histoire de la structure. Bien connaître le passé pour mieux ancrer son avenir. » Aux salariés, nostalgiques, elle a laissé du temps pour le changement de pratiques. « Mais au bout de trois ans, je n’ai plus autorisé que l’on fasse encore référence à “avant”. » La professionnelle conclut : « Cela a été une expérience très riche, j’ai adoré ça. » Si Nathalie Chapuis parle au passé, c’est que, sept ans plus tard, elle est désormais sur le départ. « J’ai l’impression d’avoir été comme un directeur de transition au long cours ! L’établissement va continuer à grandir avec une personne moins imprégnée par la marque du fondateur. » La directrice deviendrait-elle une spécialiste de la relève de directeurs charismatiques ? « Je pars diriger un établissement pour personnes handicapées dont le directeur était là depuis vingt ans ! Cette fois, on ne va travailler que dix jours ensemble avant qu’il parte. »

Ne pas tout chambouler… mais un peu tout de meme

Parfois, l’empreinte d’un directeur reste tellement ancrée qu’elle est toujours présente après le passage d’un nouveau manager. C’est le cas à la MECS Notre-Dame située dans la petite ville de Jatxou (Pyrénées-Atlantiques). Sylvie Sablé a succédé en septembre dernier à un directeur qui, en sept ans d’exercice, n’a pas su se saisir des bonnes clés. « Le fondateur était resté vingt ans. Il est parti depuis près de dix ans, retrace-t-elle. Quand j’ai été engagée pour ce poste, je n’avais pas envisagé que son aura soit toujours aussi présente ! Les équipes ont vécu sept ans avec quelqu’un à l’opposé du directeur fondateur. Avec mon prédécesseur, qui avait pourtant eu droit à six mois de tuilage, ça n’a jamais collé. Comme quoi cette technique de formation n’a pas que du bon : soit on enfile les chaussons de l’ancien directeur – il faut le vouloir –, soit on veut mettre sa patte, et c’est compliqué. J’en ai moi-même pris conscience dans les premières semaines après mon arrivée, dans une situation de crise. J’ai identifié les attentes. Aujourd’hui, je laisse ma propre empreinte au fur et à mesure, sans dénoncer les pratiques du passé qui avaient fait leurs preuves. »

Trente et un ans… C’est l’ancienneté qu’avait le prédécesseur de Fabien Viziale au poste de directeur de l’IME Bell’Estello, au Pradet (Var), dépendant de l’Association de Villepinte. « Il est parti à la retraite il y a neuf ans. Il a été là pour tous les grands moments de la vie de l’établissement : extensions, création du Sessad, projets architecturaux », souligne son successeur, dont le profil diffère du tout au tout. « A l’embauche, j’avais 33 ans, un doctorat de gestion et une expérience de directeur adjoint, tandis que lui avait une formation de psychologue clinicien. » La passation est brève, trois demi-journées, pour évoquer des dossiers spécifiques. Fabien Viziale avait-il des appréhensions ? « Prendre la relève m’a fatalement questionné, fait-il valoir. Passer après quelqu’un qui a laissé une vraie empreinte, qui était motivé, qui sécurisait les équipes, c’est plus difficile que de passer derrière un manager tyrannique ou incompétent ! A partir de là, j’ai fait de mon mieux pour que les équipes acceptent cette succession. Je n’avais pas pour vocation de tout chambouler – d’autant que les indicateurs étaient au vert dans l’établissement –, mais j’ai une autre façon de manager, moins paternaliste. » Fabien Viziale s’affaire dès lors à redonner à chaque fonction et à chacun une autonomie et une légitimité. « Je me disais qu’en dix-huit mois je pourrais atteindre mes objectifs. Or ça fait neuf ans et tout n’est pas établi comme je le souhaitais, j’étais trop ambitieux en termes d’échéance ! On ne change pas les choses du jour au lendemain si on veut le faire avec l’adhésion de professionnels », concède-t-il.

Il conclut qu’un tel « héritage », même de qualité, n’est pas qu’un cadeau : « Si j’avais eu à ouvrir une structure en embauchant du nouveau personnel, d’emblée, on aurait été sur mon projet. Dans le cas présent, c’est moi qui ai dû m’adapter. »

Un directeur qui part pour de bon ?

Les directeurs généraux d’associations peuvent aussi se retrouver dans ce type de position. A la Fondation Grancher (Paris), qui regroupe des centres de placement familial socio-éducatifs, c’est le départ à la retraite de celui qui était DG depuis vingt-cinq ans qui a amené, en 2013, au recrutement de Bénédicte Aubert. « Il a participé à mon entretien d’embauche et je pense qu’il a sciemment choisi quelqu’un de très différent de lui, commente-t-elle. J’ai eu la chance d’avoir un mois de transition, ce qui me semble une durée raisonnable. Il y a eu une grande bienveillance et une grande élégance dans sa façon de me passer le flambeau. Pour autant – et même si les équipes ne m’ont jamais perçue comme une intruse –, ça a pris du temps pour que plus personne ne parle d’“avant”. » Un autre point a préoccupé Bénédicte Aubert, qui n’avait pas 40 ans quand elle a pris ses nouvelles fonctions : « C’est toujours compliqué de passer après quelqu’un d’autre, quel qu’il soit, car on a tous une manière d’être et une façon différente d’appréhender le poste. Je me suis plus inquiétée sur le dimensionnement du poste : mon prédécesseur avait de l’expérience et plus de facilités dans les représentations à l’extérieur. Il était plus à l’aise, connaissait l’institution assurément mieux que moi… Dans la pratique, j’ai pu ressentir quelques difficultés. »

Parfois, même s’il n’occupe plus ses fonctions, le directeur charismatique n’est jamais très loin de l’établissement qu’il a longtemps incarné… A la MECS Les Fogières, Nathalie Chapuis s’en accommode : « Après son départ, à sa demande, je déjeunais avec mon prédécesseur une fois tous les deux mois, puis une fois par an, remarque-t-elle. Il a eu du mal à se détacher, c’était son bébé. D’ailleurs, il habite toujours dans les environs de Saint-Genest-Malifaux, même s’il se tient à distance. Quand nous nous voyons, il me fait parler des salariés. Ces discussions ont aussi été un véritable appui pour moi, notamment courant 2016, quand j’ai été confrontée à un pic de salariés absents. Il a été rassurant en m’expliquant que l’institution avait déjà été traversée par ce phénomène. » Même sentiment pour Sylvie Sablé à la MECS de Jatxou, dans le Pays basque. « A mon arrivée, le directeur fondateur était encore administrateur. Comme il avait eu une mauvaise expérience avec mon prédecesseur, il voulait jauger ce que j’allais faire. Mais il n’a jamais porté sur moi un regard inquisiteur. A présent, il envisage de se retirer du conseil d’administration. » A la Fondation Grancher, la situation a été particulière pour Bénédicte Aubert puisque l’ancien DG, qui avait bénéficié du compte épargne-temps, a fait encore partie des effectifs pendant un an. « Non seulement les salariés faisaient référence à lui régulièrement mais, en plus, je voyais sa fiche de paie tous les mois ! Ce n’est qu’au terme de cette période que j’ai moins senti sa présence. Ensuite, il a pu passer ponctuellement pour des pots de départ, mais n’est jamais intervenu sur ma gestion. Je crois qu’il a décliné la proposition d’intégrer le conseil d’administration. Je comprends son positionnement, cela n’aurait pas été évident pour moi. »

A la MECS Saint-Vincent-de-Paul, à Biarritz, l’attitude du prédécesseur de Noël Touya a été très claire : « Quand il est parti, il est parti pour de bon. Il n’a d’ailleurs pas cherché à devenir administrateur et a même quitté la région. Il y a des contacts assez réguliers et nous nous croisons encore dans des lieux institutionnels, mais il ne s’occupe plus du tout de ce qui concerne l’établissement. Nous avions suffisamment bien tuilé la passation pour que je n’aie pas besoin de l’appeler par la suite et que lui n’éprouve pas d’angoisse de perte. »

Lexique

• Cafdes. Certificat d’aptitude aux fonctions de directeur d’établissement ou de service d’intervention sociale

• DG. Directeur général

• ETP. Equivalent temps plein

• ESMS. Etablissement social et médico-social

• Fnades. Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services sanitaires sociaux et médico-sociaux sans but lucratif

• IME. Institut médico-éducatif

• MECS. Maison d’enfants à caractère social

• Sessad. Service d’éducation spécialisée et de soins à domicile

Notes

(1) En Ile-de-France et en Champagne, le turn-over tourne plutôt autour de quatre ou cinq ans.

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