« Je ne me reconnais pas vraiment dans le terme “manager”, débute Maïwenn Abjean, la directrice de l’association grenobloise Femmes SDF. Mon rôle, c’est de donner le sens et la direction du projet, de lui donner de la vie. C’est bien cela, d’ailleurs, la signification du verbe “animer”, non ? » Cette mère de 38 ans, encore en congé parental pour quelques mois, témoigne d’un parcours original en ayant débuté sa vie active sur le terrain humanitaire. Au Burkina Faso, au Sri Lanka puis au Sud-Soudan, elle s’est engagée auprès de diverses ONG en tant que chef de projet sur des programmes postcatastrophe ou au bénéfice des enfants des rues. « Cela m’a donné le goût de l’animation et de l’accompagnement d’équipe, mais j’ai aussi touché aux questions administratives et financières de la gestion de projet. »
Un profil polyvalent et un regard non formaté qui étaient précisément ce que recherchait Marie-Claire Vanneuville, sociologue, lorsqu’en 2010 il lui a fallu se mettre en quête d’un successeur à la tête de la structure qu’elle avait cofondée (1). « Nous ne voulions pas un travailleur social ni quelqu’un venant de Grenoble, résume-t-elle. Nous cherchions un regard neuf, ouvert sur le monde et sur d’autres approches de notre public. » Originaire de Lyon, Maïwenn Abjean est diplômée d’une maîtrise en sciences de l’éducation et d’un master en psychologie interculturelle, et arrive pour son premier entretien directement du Soudan – où elle travaillait avec Terre des Hommes. « Je voulais rentrer en France, mais pour être au contact des bénéficiaires, pas dans un bureau, tout en combinant avec une mission d’animation d’équipe, résume-t-elle. Entre deux missions, j’avais déjà travaillé comme éducatrice, mais je craignais l’accompagnement très institutionnel qui constitue le quotidien de beaucoup d’associations. »
L’envie de terrain colle aux basques de la baroudeuse, même lorsqu’elle cherche à se stabiliser. « J’aime rechercher des ponts entre le psychologique, le social, les sciences de l’éducation et le culturel, résume-t-elle. Mais je pense que ce qui a le plus influencé ma manière de travailler, c’est ce que m’ont transmis mes parents, qui avaient choisi de vivre dans une banlieue populaire et de s’investir dans des associations de quartier, alors qu’on aurait pu vivre ailleurs. »
Chez Femmes SDF, elle découvre un lieu d’accueil de jour réservé aux femmes en errance, où son rôle concernera tant l’accompagnement du public que l’animation de l’équipe, les liens avec les partenaires et la sensibilisation du grand public et des acteurs politiques. « Ici, la direction est une fonction tout terrain », résume-t-elle. Le plus important lui apparaît d’abord de gagner la confiance et la légitimité au regard des personnes accueillies. « Je prenais la suite de la fondatrice, qui avait un lien très fort avec elles », rappelle-t-elle. Maïwenn Abjean croit beaucoup dans un engagement dans le temps. « Il m’a fallu observer, apprendre pour mieux comprendre. Je ne me suis pas non plus fixé d’objectifs que je devrais accomplir dans un laps de temps donné. Je trouve que cela génère un interventionnisme peu efficace. »
Du côté de l’équipe, elle s’est également installée en douceur dans son rôle. « Maïwenn a une idée très forte du travail avec les personnes et de la qualité de la relation, souligne Véronique Aubert, éducatrice spécialisée chez Femmes SDF. Elle est davantage présente que les autres cadres avec lesquels j’ai pu travailler, qui donnaient un cap mais me laissaient plus en roue libre. » Passée de trois à cinq salariés au fur et à mesure que la fréquentation du lieu augmentait, l’équipe s’est structurée en recrutant essentiellement des travailleurs sociaux. « Nous avons pris soin de sélectionner des personnes capables et désireuses d’avoir aussi ce regard décalé et moins institutionnel qui est le propre de notre association », précise Maïwenn Abjean.