Pendant dix-huit mois, Rozenn Le Berre a tenu entre ses mains « un bout du destin » de dizaines de jeunes garçons et filles se présentant comme mineurs isolés étrangers. Educatrice dans un centre d’accueil pour mineurs, la jeune femme était chargée de recueillir le récit de leur périple, d’examiner leurs papiers et de rédiger un rapport destiné au conseil départemental. Au bout de la procédure, une décision binaire : « Mineur ou majeur. L’école ou la rue. L’espoir de régularisation ou le centre de rétention. » Cette mission « effrayante », Rozenn Le Berre la retrace dans De rêves et de papiers, un ouvrage croisant deux narrations : la sienne, dans son bureau, et celle de Souleymane, parti du Mali pour l’Europe, librement inspirée du parcours de plusieurs jeunes migrants. Une saynète après l’autre, les histoires se succèdent, qui montrent toute l’absurdité d’un système qui pousse des trentenaires à se prétendre adolescents ou des enfants sans domicile à voler, dans l’espoir d’être envoyés dans un foyer de la protection judiciaire de la jeunesse. Entre deux récits, tous pudiques et poignants, Rozenn Le Berre décrit surtout l’extrême difficulté, pour les professionnels, de mener leur tâche à bien. Entre « grandes détresses » et « grands soulagements », la balance n’est pas toujours équilibrée. Alors les collègues voilent leurs émotions sous « l’utilisation outrancière du vocabulaire administratif », se rassurent en se disant qu’ils ne sont qu’un maillon, s’efforcent de faire « du moins pire », à défaut du bien. Après un an et demi au centre d’accueil, Rozenn Le Berre a décidé de raccrocher. Avant d’être lassée, « de devenir un monstre », de ne plus ressentir la moindre empathie. Avant d’oublier, aussi, « les regards et les épaules qui se relèvent, les sourires qui se déploient » et les jeunes qui se mettent à devenir « pénibles et idiots comme des adolescents ». A vivre, en somme, au lieu de survivre.
De rêves et de papiers.
547 jours avec les mineurs isolés étrangers
Rozenn Le Berre – Ed. La Découverte, 16 €