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Hébergement composite

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Depuis trois ans, Hybritel propose une solution innovante pour l’hébergement d’urgence à Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor). Doté de logements modulables avec un encadrement humain, la structure offre une alternative économique et de qualité aux nuitées hôtelières.

La cage d’escalier est propre et silencieuse. Sur le palier du troisième étage, une citation de James Dean peinte en lettres noires attire le regard : « Puisqu’on ne peut changer la direction du vent, il faut apprendre à orienter les voiles. » Bonnet marron sur la tête, jean et baskets blanches, Maria Luisa Anacleto, 57 ans, apparaît dans l’entrebâillement de la porte, puis fait entrer les visiteurs en apercevant le visage familier et souriant de Laëtitia Guesdon, chargée de l’accueil à Hybritel(1). Dans la chambre aux murs parfaitement blancs, on distingue un lit sur lequel trônent quelques peluches colorées. Originaire d’Angola, en attente d’une réponse à sa demande d’asile, Maria Luisa a posé ses valises à Hybritel il y a plus d’un an avec sa fille et ses deux petites-filles. Trois générations de femmes qui, pour la première fois depuis longtemps, se sentent en sécurité. Presque comme chez elles. « Ici, tout le monde l’appelle maman », souligne Laëtitia Guesdon. Implanté face à la quatre-voies à l’écart du centre-ville, dans un quartier anciennement voué à la destruction, Hybritel est un peu le quatre-étoiles de l’hébergement d’urgence – même s’il n’en a pas l’air. Il est presque midi et Maria Luisa s’affaire dans la cuisine qu’elle partage avec un autre ménage angolais. « Avant, au Formule 1, on ne pouvait pas cuisiner, explique-t-elle. Pendant plus de deux mois, on a dû manger des gâteaux, du pain, du lait et des boîtes réchauffées au micro-ondes de l’hôtel »

Une structure adaptée aux familles

Ouvert en avril 2014 à Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), Hybritel est, comme son nom l’indique, un lieu hybride. Unique en son genre en France, à mi-chemin entre un établissement hôtelier et un centre d’hébergement d’urgence, il accueille des personnes en difficulté orientées par le 115. Les logements aménagés ont la particularité d’être modulables pour s’adapter à la composition des ménages qui y sont hébergés. « Le projet était dans les tiroirs depuis 2010, mais on manquait de moyens pour le finaliser, explique Jean-Marie Guedes, inspecteur à la direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) des Côtes-d’Armor. Une occasion s’est présentée en 2013 avec l’ouverture de crédits exceptionnels dans le cadre de la mise en œuvre des mesures issues du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale. » L’objectif premier était de proposer une alternative aux nuitées hôtelières. Ces dernières sont peu adaptées à l’accueil de certains publics, dont les familles avec de jeunes enfants, et représentent une dépense importante pour les services de l’Etat. En 2010, dans le département, la note s’élevait déjà à 22 460 € pour 478 nuitées ; elle a explosé deux ans plus tard, atteignant 200 531 € pour 3 396 nuitées. « Cet objectif s’inscrivait également dans un contexte de raréfaction des places d’hôtel mobilisables en raison d’un nombre croissant d’établissements placés sous avis défavorable par les commissions de sécurité incendie », remarque l’inspecteur. Le préfet des Côtes-d’Armor a missionné l’association Adalea, également gestionnaire du 115 dans le département, pour être porteuse du projet en juillet 2012.

Des logements modulables

Celle-ci avait déjà repéré le lieu idéal pour monter ce projet : les appartements d’une cage d’escalier d’un immeuble appartenant au bailleur social Terre et Baie Habitat. Les deux cages d’escalier voisines étaient déjà exploitées par Adalea sous la forme d’une maison relais. Les accoler à Hybritel permettait de mutualiser les moyens et de réaliser des économies d’échelle. Le bailleur social, partenaire historique de l’association, a tout de suite adhéré au projet. Les locataires de la cage d’escalier ont rapidement bénéficié d’un plan de relogement. Restait à transformer 10 appartements indépendants de trois ou quatre pièces en une structure d’hébergement d’urgence de 27 chambres. Un vrai défi architectural. « L’idée de départ était d’aménager les logements en fonction des occupants avec un système de cloisons amovibles, un peu comme dans Harry Potter, lorsque les escaliers se déplacent tout seuls, explique Johann Besnard, chargé des travaux à Terre et Baie Habitat. Sauf qu’à la place des cloisons, nous avons tout simplement mis des portes qui s’ouvrent ou restent fermées, selon la composition des ménages, grâce à des claviers à code. » Un même logement peut aujourd’hui accueillir une famille de six personnes ou un couple et une famille de quatre personnes. Les salons-salles à manger des anciens T4 ont été transformés en studios indépendants équipés chacun de leur cuisine et de leurs sanitaires, ce qui a nécessité l’ajout de points d’eau. Deux logements accessibles aux personnes à mobilité réduite ont été construits. Le projet, qui a coûté au total 415 567 €, a été en grande partie financé par l’Etat, le Fonds européen de développement économique régional (FEDER) et la ville de Saint-Brieuc. Chaque année, l’Etat, à travers la DDCS, accorde à Adalea 220 000 € pour le fonctionnement de la structure. A raison de 11 € par nuitée, au lieu de 15,50 € en moyenne pour les hôtels traditionnels, Hybritel a déjà permis d’économiser 170 000 € en deux ans.

Des tâches hôtelières

Le lundi, c’est le jour du linge. Les familles hébergées viennent au compte-gouttes récupérer des draps propres au rez-de-chaussée auprès de Mhemed Benyahia, tandis que Laëtitia Guesdon passe quelques coups de fil dans le bureau voisin. Tous deux font partie des trois hôtes d’accueil recrutés à l’ouverture par Adalea. Polyvalents, ils sont chargés de la maintenance et de l’entretien de cette structure, ouverte 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, et accueillent les résidents à leur arrivée. « Nous leur faisons signer un contrat de séjour dont la durée est définie par le 115, puis procédons ensemble à l’état des lieux, détaille la chargée d’accueil. On explique le fonctionnement de la structure et des claviers à code, enfin on présente les voisins. » Les occupants font le ménage eux-mêmes avec le matériel fourni par Hybritel et entretiennent les parties communes, selon le planning défini. Avant de travailler dans cette structure, deux des trois hôtes d’accueil exerçaient dans le secteur touristique et hôtelier. « Nous avons volontairement cherché des profils hôteliers, et pas spécialement des travailleurs sociaux », justifie Christophe Guinche, directeur d’Adalea. Pierre-Yves L’Her, coordinateur du pôle « logement hébergement » de l’association, précise cependant qu’« avoir un profil de travailleur social dans le trio facilite le quotidien, car les hôtes d’accueil sont confrontés à des problématiques d’écoute et de médiation ». Laëtitia Guesdon, elle, était monitrice-éducatrice. Officiellement, les trois professionnels ne font pas d’accompagnement. « Officieusement, nous aidons les personnes hébergées, par exemple en leur donnant un coup de main pour remplir leurs dossiers ou pour inscrire leurs enfants à l’école », reconnaît la monitrice-éducatrice. Cette dernière fait d’ailleurs régulièrement bénéficier ses collègues de ses compétences en travail social. En retour, ils leur transmettent leur savoir en hôtellerie. Tous sont très investis dans le fonctionnement d’Hybritel. « Nous sommes arrivés alors que les travaux n’étaient pas encore finis. Nous avons monté 54 étagères et créé les procédures en lien avec Pierre-Yves L’Her. En cela, nous sommes aussi porteurs du projet », souligne Laëtitia Guesdon.

Un taux d’occupation de 100 %

Les hôtes d’accueil sont en contact deux fois par jour avec le 115 pour connaître les ménages entrants et sortants. Grâce à sa structuration atypique, Hybritel dispose de 54 places, mais la capacité peut monter à 60 grâce aux lits bébés et d’appoint. « On essaie de jouer sur la modularité pour accueillir le maximum de personnes. C’est parfois un jeu de Tetris », explique Pierre-Yves L’Her. Les hôtes d’accueil sont d’ailleurs plutôt doués à ce jeu : avec un taux d’occupation de 100 %, la structure ne désemplit pas depuis sa création. L’an dernier, elle a hébergé 237 ménages, soit 342 personnes dont la moitié étaient des enfants. On distingue quatre principaux profils d’occupants : les demandeurs d’asile, les personnes en attente d’un titre de séjour pour raison médicale, les sans-domicile fixe et les femmes victimes de violences. La majorité des personnes accueillies sont originaires de pays hors de l’Union européenne. Les nationalités les plus rencontrées sont celles d’Europe de l’Est (Géorgie, Russie), d’Europe centrale et d’Afrique subsaharienne (Angola, Congo). En outre, dans le cadre du démantèlement de la « jungle » de Calais, Hybritel a hébergé plusieurs dizaines de jeunes hommes isolés d’origines soudanaise, afghane et érythréenne entre la fin 2015 et le milieu de 2016. Pour permettre l’accueil de ce public par groupes de 10 à 15 personnes, il a été nécessaire d’effectuer des transferts de certaines familles vers d’autres dispositifs d’hébergement, tels que des hôtels, des centres d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) ou d’autres centres d’hébergement d’urgence.

Désamorcer les conflits

Face à cette multiplicité de nationalités, la question de la communication est centrale. « Avant l’ouverture, nous avions échangé avec des hôteliers prenant part au dispositif d’hébergement d’urgence, relate Pierre-Yves L’her. Ils nous avaient alertés sur un certain nombre de difficultés à anticiper. » Notamment celles liées à la cohabitation d’un grand nombre de personnes dans un même lieu. Sans compter la pluralité de nationalités, de cultures et de parcours de vie ; ou le fait que les familles hébergées appartiennent parfois à des ethnies en guerre dans leur pays d’origine. Pour remédier aux petits conflits de la vie quotidienne, le principal outil des hôtes d’accueil est la synthèse des engagements respectifs (document remis à l’entrée d’un ménage). Ce support est traduit en trois langues : français, anglais, russe. Si la situation reste tendue, une fiche de signalement est remplie et un courrier est adressé aux familles concernées en vue d’une rencontre avec le coordinateur pour expliquer à chacun ses engagements envers l’autre. Outre l’anglais, certains hôtes d’accueil, tel Mhemed Benyahia, parlent l’arabe et l’italien. Des interprètes bénévoles en langue russe ou serbo-croate sont parfois appelés en renfort à l’arrivée de nouvelles familles. « Nous utilisons aussi des pictogrammes pour nous faire comprendre », précise Laëtitia Guesdon. Ainsi, en cas de problème médical, l’équipe a recours à un petit document intitulé « Des mots sur les maux », qu’elle a elle-même créé. Il rassemble un certain nombre de pictogrammes sur la santé. Par ailleurs, pour des raisons de sécurité, des caméras de vidéosurveillance ont été installées, uniquement à l’entrée du bâtiment. « Elles sont principalement là pour rassurer les personnes hébergées. Se sentir en sécurité dans un lieu est important pour elles, affirme Pierre-Yves L’Her. On surveille surtout les flux d’entrées et de sorties. » M. et Mme S., deux occupants, confirment : « La présence du personnel, le digicode et les caméras de surveillance nous donnent l’impression que nous sommes bien protégés, après tout ce que nous avons vécu dans notre pays en guerre. »

Un travail de partenariat

Hybritel ne fonctionne pas en vase clos. Au quotidien, l’équipe est amenée à travailler en réseau et en partenariat. Environ une fois par semaine, elle contacte les Restaurants du cœur, qui lui livrent quelques colis alimentaires pour dépanner les ménages à leur arrivée. Les hôtes d’accueil ont aussi noué des liens avec les équipes des CADA des départements bretons afin de préparer au mieux la sortie du dispositif d’urgence. Pour le soin et le suivi médical, les professionnels orientent les familles avec enfants vers la protection maternelle et infantile. Pour les personnes souffrantes, des échanges réguliers par courriel et par téléphone sont effectués avec le « point santé » d’Adalea. L’infirmier et le médecin bénévoles peuvent se déplacer au sein de la structure, tout comme la sage-femme pour les femmes enceintes. Hybritel a vu naître trois bébés en 2015. Pour l’aide et le suivi administratif des migrants sur le territoire, les principaux interlocuteurs des familles et des hôtes d’accueil sont les bénévoles de l’Association de solidarité avec tous les immigrés (ASTI). Au fil du temps, l’équipe a également noué des liens avec les établissements scolaires proches, « notamment avec le collège où vont beaucoup d’enfants », souligne Mhemed Benyahia.

Pour l’hébergement d’urgence, le fonctionnement du centre suppose un renouvellement important des publics accueillis. Si, statistiquement, 72 % des séjours sont inférieurs à un mois, la part des longs séjours a fortement progressé. « Les personnes restent une nuit ou plusieurs mois. Certains ménages sont là depuis novembre 2014. Les conditions d’accueil le permettent », remarque Pierre-Yves L’Her. Jean-Marie Guedes pointe néanmoins une rotation insuffisante : « Le fait est qu’aujourd’hui le système s’embolise. Les personnes hébergées sont souvent des familles qui ont entamé une procédure d’asile, mais elles ne trouvent pas forcément de place en CADA. » Face à l’explosion de la demande depuis un an, le 115 a dû de nouveau faire appel aux hôtels, dont il avait pourtant réussi à se passer en 2014 et 2015. L’accès à Hybritel n’est plus immédiat. Les personnes hébergées doivent désormais passer par la case hôtel, le temps qu’une place se libère. En attente d’un titre de séjour pour raison médicale, Irakli D., 30 ans, vit à Hybritel depuis juillet 2015 avec sa fille, Gela, 11 ans, et sa femme, Salomé, 29 ans. Cette jolie blonde aux yeux bleus prépare le café dans sa cuisine située au rez-de-chaussée, sur le même palier que le bureau des hôtes d’accueil, dont elle est devenue assez proche. « Ils sont très gentils car ils nous aident beaucoup. C’est un peu notre grande famille, même si nous savons que nous ne pourrons pas rester ici pour toujours », témoigne-t-elle.

Concilier proximité et distance professionnelle

Laëtitia Guesdon aide régulièrement Gela pour ses devoirs. En échange, Salomé, qui apprend le français, endosse le rôle d’interprète bénévole en cas de besoin. Elle aime aussi cuisiner de bons petits plats pour les hôtes d’accueil. « Quand elle m’apporte une assiette, je la goûte avec grand plaisir. Mais je refuse poliment si je suis invitée à manger chez eux, indique Laëtitia Guesdon. Nous essayons tous les trois de garder une certaine distance professionnelle. » Une posture qu’il n’est pas toujours facile de respecter. « Des liens se créent automatiquement, surtout quand les personnes sont là depuis longtemps », confirme Mhemed Benyahia. Comment conserver le recul nécessaire quand on est quotidiennement confronté à la souffrance et aux angoisses de personnes en difficulté ? Pour tenter de répondre, les trois hôtes d’accueil ont pris l’habitude d’échanger et de partager leurs ressentis. Des séances de supervision permettent à chacun de questionner et d’ajuster sa posture. « Toutes les six à huit semaines, nous rencontrons une psychologue clinicienne. Le but est de faire un travail sur soi, de revenir sur nos pratiques, de croiser nos différents regards sur une même situation. » Dans leur bureau, les hôtes d’accueil ont affiché au mur un courrier : « Chers personnels, grande est ma joie de vous avoir eus comme guides et protecteurs durant tout notre séjour ici à l’Hybritel. Sur ce, je viens ici par la présente vous dire merci de m’avoir soutenue pendant que j’étais faible. » L’auteur est une femme d’origine congolaise qui a mis au monde son enfant durant son séjour. « Elle est restée un an et nous l’avons beaucoup aidée », raconte pudiquement Laëtitia Guesdon. Depuis, la jeune femme a quitté Saint-Brieuc. Mais elle est revenue pour donner de ses nouvelles. De bonnes nouvelles, en l’occurrence, puisqu’elle a obtenu l’asile en France et a trouvé un travail à Rennes.

Notes

(1) Hybritel : 47, rue Ferdinand-de-Lesseps – 22000 Saint-Brieuc – Tél. 02 96 61 40 18 – hybritel@adalea.fr – www.adalea.fr.

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