Recevoir la newsletter

« Référent santé » à la PJJ, une compétence genrée ?

Article réservé aux abonnés

Dans les équipes de la protection judiciaire de la jeunesse, les questions autour de la santé seraient-elles uniquement du ressort des femmes ? Deux chercheuses répondent par l’affirmative à cette question.

« Améliorer la santé globale des jeunes pris en charge par la PJJ (la santé étant posée comme un facteur de réussite de la prise en charge éducative), en agissant sur l’ensemble des déterminants de santé accessibles pendant la prise en charge », tel est le principe du programme « PJJ promotrice de santé » que la protection judiciaire de la jeunesse a lancé en 2013 et relancé au début de l’année(1). Cette action ne concerne pas uniquement les personnels de l’institution consacrés à la santé, au premier rang desquels les infirmiers conseillers techniques « santé », qui maillent le territoire avec une fonction d’animation auprès des équipes et de développement de partenariats avec le secteur sanitaire(2). Au plus près des adolescents, les éducateurs et les professeurs techniques sont indispensables pour faire vivre la démarche au quotidien. Comment se la sont-ils appropriée ? Pour le savoir, Yaëlle Amsellem-Mainguy et Marie Dumollard, chargées d’études à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP), ont effectué, fin 2014, une recherche dans sept structures de la PJJ : deux de milieu ouvert, deux de placement et trois d’insertion(3). Elles y ont interrogé 23 professionnels – 15 femmes et 8 hommes –, parmi lesquels 11 éducateurs et 2 professeurs techniques. Certains membres des équipes, qui ne sont pas, à la base, spécialistes des questions de santé, acceptent de s’engager particulièrement dans ce champ – sans avoir, pour autant, de décharge de travail sur les fonctions intrinsèques à leur métier. Baptisés « référents santé », les intéressés ont pour mission de porter des projets thématiques en direction des jeunes (par exemple sur les conduites addictives, la sexualité et la contraception, le sommeil) et de sensibiliser leurs collègues à des préoccupations ayant trait à la santé. Qui devient « référent santé » ? Uniquement des femmes, dans l’étude que Yaëlle Amsellem-Mainguy et Marie Dumollard ont réalisée à une échelle restreinte – celle d’une direction interrégionale de la PJJ. Sept professionnelles parmi les éducateurs et professeurs techniques rencontrés remplissaient cette fonction. Ce n’était le cas d’aucun de leurs collègues masculins.

Personnes marginalisées

La prise en charge de cette mission de « référente santé » repose sur le volontariat. Un volontariat « bien souvent suggéré ou incité par le responsable d’unité au regard – officiellement – de l’implication dans l’équipe et/ou du parcours professionnel et personnel antérieur », précisent les chercheures. C’est par exemple le cas de Céline. Lors de sa formation initiale, cette éducatrice spécialisée a été amenée à intervenir auprès de publics en situation de handicap, puis elle a travaillé sur des problématiques liées à la santé avec des personnes marginalisées. « C’est toujours quelque chose qui m’a intéressée, mais que la PJJ ne m’avait pas forcément apporté jusqu’à présent », déclare Céline. Pour d’autres volontaires, devenir « référente santé » représente avant tout un enjeu professionnel. « Il s’agit d’acquérir plus de légitimité au sein de l’équipe en endossant une fonction qui devrait apporter plus de poids dans la structure », développent les auteures. Ainsi Marie, éducatrice à la PJJ depuis trois ans, explique s’être « retrouvée complétement par hasard “référente santé” », sans affinités particulières avec la matière. C’est l’occasion qui a fait la larronne : quand Marie est arrivée dans l’équipe, la « référente santé » venait de partir. « Je me suis dit qu’il y avait une référence de disponible, pourquoi ne pas m’y lancer, cela me permettra de connaître du monde et de voir comment ça fonctionne », explique l’intéressée.

Histoires relationnelles

Au-delà du sexe, l’âge et plus encore une vision moderne du métier d’éducateur semblent être des variables importantes pour s’impliquer dans les questions de santé. Ce sont généralement de jeunes éducatrices qui deviennent « référentes santé ». Il y a une part de « générationnel » dans cet engagement, déclare Florent, infirmier conseiller technique « santé ». « Les plus jeunes s’approprient plus facilement cette démarche ; ils ne sont pas formatés par la PJJ comme elle existait il y a quelques années ». « Ils » ou donc « elles », à plus proprement parler. « Le choix de confier la thématique de la santé aux femmes n’est-il pas aussi le fait de représentations genrées des rôles assignés au sein des équipes ? », interrogent Yaëlle Amsellem-Mainguy et Marie Dumollard. « Les femmes seraient “naturellement tournées” vers la gestion de ces questions. […]. L’identité sexuée fonctionne ici comme une plus-value professionnelle », avancent-elles. Les entretiens avec les « référentes santé » les confirment dans cette analyse : c’est bien parce qu’elles sont femmes que les professionnelles se pensent mieux à même de comprendre les histoires relationnelles, sentimentales et sexuelles des filles et des garçons. Educatrices et professeures techniques estiment qu’elles sont plus qualifiées sur ce terrain que leurs homologues masculins – ce avec quoi ces derniers sont tout à fait d’accord. « Le sexe devient une compétence professionnelle pour pouvoir parler de santé, et par extension de sexualité, avec les jeunes », soulignent les auteures, qui évoquent « une incorporation des stéréotypes de genre » par les intéressées. Cela n’est pas sans conséquences sur la manière dont les jeunes, garçons et filles, vont percevoir les aptitudes spécifiques supposément liées à l’appartenance à un sexe.

Notes

(1) Notes de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse des 1er février 2013 et 1er février 2017. Pour la dernière en date, voir ASH n° 2999 du 24-02-2017, p. 37.

(2) Voir ASH n° 2938 du 18-12-2015.

(3) « Santé et sexualité des jeunes pris en charge par la PJJ. Entre priorité et évitement » – INJEP – Octobre 2015.

Décryptage

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur