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Aider les mineurs protégés à bien grandir

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Avec des histoires de vie difficiles et une appartenance majoritaire à des milieux défavorisés, les enfants et les adolescents sous mesure de protection présentent souvent des problèmes de santé importants, mais méconnus. Plusieurs études lèvent le voile sur cet angle mort des prises en charge.

Le droit et l’accès à la santé doivent être garantis aux jeunes qui bénéficient d’une mesure de protection au titre de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ou de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) – comme à tous les enfants. Peut-être même avec une mobilisation renforcée en ce qui les concerne, afin de « compenser le risque de perte de chance » résultant des « situations de vulnérabilité et d’adversité » auxquelles les intéressés sont exposés dès le plus jeune âge, note le Dr Martin-Blachais dans son rapport au gouvernement sur les besoins fondamentaux de l’enfant en protection de l’enfance(1).

L’existence des mineurs protégés peut avoir été malmenée avant même leur naissance. Une recherche effectuée à la pouponnière Saint-Exupéry d’Angers (Maine-et-Loire), sous la responsabilité du pédopsychiatre Daniel Rousseau(2), établit 19 % de dénis de grossesse en anténatal chez les mères de ces enfants, soit cinq fois plus que dans la population générale. Le taux de prématurité est, par ailleurs, deux fois et demi plus important que dans la population tout venant. De ce fait, les tout-petits font l’objet de transfert en service de néonatalogie et expérimentent, dès leurs premiers jours, une séparation d’avec leurs parents pouvant obérer la bonne mise en place des interactions précoces. A leur admission à la pouponnière, à 17 mois en moyenne, plus d’un tiers des bébés présentaient un retard de croissance ; quatre sur cinq, des signes de souffrance psychique ; et neuf sur dix, des troubles psychiatriques.

« extréme précarité »

Tenir compte de « l’univers de l’enfant, univers qui l’a construit avant son placement en établissement et qui peut avoir laissé son empreinte [dans son] développement » est indispensable pour apprécier la santé d’un enfant confié, souligne Catherine Sellenet, professeure en sciences de l’éducation et coresponsable d’une recherche effectuée en Loire-Atlantique sur 423 enfants accueillis à l’ASE(3). Cette enquête par questionnaire auprès des référents des intéressés éclaire « l’extrême précarité sociale, affective et relationnelle des parents et des enfants ». Ces derniers ont non seulement été confrontés à une séparation et un placement, mais également à la séparation du couple parental : seuls 14 % des parents vivent sous le même toit. En outre « les figures parentales sont, pour ces enfants, marquées par le cumul des problèmes, du côté paternel comme du côté maternel ». S’agissant des pères – dont 29, soit 6,85 %, sont décédés –, les chercheurs enregistrent 26 % de réponses signalant des addictions et comportements violents, 12 % des condamnations pénales, 9 % des conduites asociales ou troubles dépressifs et 8 % des problèmes psychiatriques. Parmi ces pères, 4 % perçoivent l’allocation adulte handicapé (AAH). Les difficultés sont tout aussi prégnantes chez les mères – dont 17 (4 %) sont décédées. Des problèmes dépressifs sont indiqués dans 28 % des cas, des conduites addictives (16 %), des troubles psychiatriques (14 %), des comportements violents (7 %), voire des condamnations pénales (2 %). Il y a aussi, parmi les mères, près de 11 % de titulaires de l’AAH. Enfin, pour ce qu’en savent les référents (soit une grosse moitié de ceux qui ont été interrogés), 20 % des mères ont été placées dans leur enfance. « Sans être dans une lecture déterministe, qui déduirait l’état des enfants de l’état des parents, on peut néanmoins penser que la fragilité des figures parentales n’est pas sans impact sur le développement ultérieur des enfants », estiment les auteurs. Il faut savoir, en outre, que ces enfants ont souvent évolué dans un environnement économique dégradé – ce qui apparaît largement méconnu par les professionnels, comme si les conditions de vie n’avaient aucun lien avec l’exercice de la parentalité, déplorent les chercheurs.

Conduites addictives

Pas de lecture déterministe, donc, mais une légitime préoccupation à avoir de l’état de santé des enfants dès leur accueil. Quel est-il ? Une vaste enquête concernant les enfants placés à l’ASE et à la PJJ, qui a été effectuée pour le défenseur des droits et le fonds CMU, fourmille d’informations sur les connaissances des professionnels en la matière(4). S’agissant des enfants confiés à l’ASE, les cadres de l’institution s’accordent pour pointer deux grands ordres d’affections : d’une part, celles qui sont liées à des négligences dans les soins courants (maladies de peau et des cheveux, problèmes dentaires), d’autre part, les troubles consécutifs à des mauvais traitements et traumas (troubles du comportement, du sommeil, du langage, de l’alimentation, retards de développement psychomoteur, énurésie, encoprésie tardive, souffrances psychologiques). Ces différentes affections ne sont certes pas toutes de même importance, cependant les (rares) médecins ayant accepté de participer à cette recherche estiment que les acteurs de l’éducatif ne sont pas assez vigilants à l’aspect « bien-être » de la santé des enfants. Or, celui-ci peut être amélioré par une plus grande attention portée à des problèmes apparemment bénins. Un pédiatre s’insurge, par exemple, de s’être entendu expliquer : « Oui, cet enfant a une poussée d’eczéma, c’est le choc du placement, ce n’est pas grave, circulez, il n’y a rien à voir. » « Moi, je me suis arc-bouté sur le côté médical, confie-t-il. Cet enfant, on lui donne un traitement et une fois que c’est passé, on lui permet de se sentir mieux, on le restaure dans sa personne. »

Plus âgés, les mineurs placés à la PJJ présentent des caractéristiques sanitaires très marquées, pour partie différentes de celles de leurs cadets confiés à l’ASE. Une majorité de directions territoriales de la PJJ estime que plus d’un jeune sur cinq a des conduites addictives (tabac, drogue, alcool, cyberdépendance), des problèmes dentaires, des troubles du sommeil ou encore des troubles du comportement. Les répondants de la PJJ mettent aussi en avant des conduites sexuelles à risque, des problèmes de malnutrition et de troubles alimentaires, ainsi qu’une absence de suivi de leur santé par les jeunes, notamment en ce qui concerne les vaccins. Des référents « santé » de structures d’hébergement de la PJJ font également ressortir un manque de prise de soin de soi, au sens large du terme, dans l’hygiène, l’alimentation et le sommeil. Il y a souvent eu, à cet égard, de « grosses carences dans les apprentissages », souligne l’un de ces professionnels. « Là où les enfants pris en charge par l’ASE […] apparaissent plus comme les victimes de carences et d’absence de soins, et victimes d’une certaine cécité institutionnelle aux soins, les jeunes de la PJJ sont déjà “formés”. Ils ont un rapport à leur santé déjà constitué, même si très carencé, et les éducateurs et référents sont confrontés au fait de faire changer ce rapport, de donner un autre rapport à soi, que ce soit dans la venue aux soins » ou leur continuation, analysent les auteurs de l’étude.

Se taire et attendre que ça passe

Pour comprendre ce rapport à leur santé des enfants et adolescents confiés, Pierrine Robin, chargée de mission au CREAI (centre régional d’études, d’actions et d’informations en faveur des personnes en situation de vulnérabilité) Rhône-Alpes, a réalisé une étude qualitative auprès de 16 jeunes de 8 à 19 ans – 6 garçons et 10 filles, d’un âge médian de 13 ans – accueillis par l’ASE de Haute-Savoie(5). En entretien, les jeunes ont tendance à présenter leur état actuel sous un jour positif. Les problèmes de santé appartiennent au passé. En tout cas, les problèmes de santé physique. « Morale, je veux pas en parler », répond Marek (17 ans), qui n’est pas le seul à évacuer la question. Willy aussi, 12 ans, se sent « normal, en forme ». Ce type de déclaration, qui traduit le souci des jeunes d’échapper à une lecture psychologisante de leurs difficultés, contraste fortement avec les données recueillies au moyen d’un questionnaire autoadministré, souligne la chercheure. Les répondants font alors massivement état d’un manque d’énergie, avec le sentiment de se fatiguer vite ou que tout leur demande un effort. Viennent ensuite des problèmes liés à l’isolement – difficultés pour s’entendre avec les autres, pour entrer en contact avec eux, sentiment de solitude et de n’avoir personne de proche à qui parler –, ainsi que des problèmes de sommeil. Enfin, dans une moindre mesure, les jeunes se plaignent de douleurs physiques, surtout en cas de changement de position ou de station debout prolongée, et d’un mal-être diffus, qui s’exprime notamment par une facilité à se mettre en colère, par l’impression que les journées sont interminables, par une difficulté à faire face aux événements. Comment ces jeunes s’y prennent-ils pour remédier à ces problèmes ? Une habitude ancrée chez eux est de les taire et d’attendre qu’ils passent d’eux-mêmes. S’agissant néanmoins des ressources que les intéressés jugent possible de mobiliser, tout dépend des parcours de prise en charge. Les enfants placés de longue date dans des lieux stables se tournent principalement vers les professionnels. « Les supports de santé sont liés [pour eux] à la construction d’une relation de confiance avec les acteurs éducatifs » – ce qui est d’autant plus important que les membres de la famille ne semblent plus être des aides auxquelles ces mineurs veulent ou peuvent faire appel, observe Pierrine Robin. A contrario, pour les enfants placés depuis une plus courte période, la famille reste le support principal. Enfin, certains jeunes placés récemment, ou déplacés et replacés, semblent flotter entre deux rives et ne percevoir de soutien accessible ni du côté de l’entourage familial, ni du côté de l’institution. Comme Emilie et Aude, 14 ans, ils disent se débrouiller seuls. « Les professionnels, ils ne savent pas », ajoute Aude.

« Impréparation générale des acteurs »

Les soignants rencontrés dans le cadre de la recherche réalisée pour le défenseur des droits ont la dent aussi dure que cette adolescente. Ils mettent en avant « une impréparation générale des acteurs éducatifs sur les questions de santé ». Celle-ci va de la négligence des informations disponibles – ou à rendre disponibles – sur la santé des enfants à une mésinterprétation des différents signes médicaux que ces derniers peuvent manifester. Lorsqu’il reçoit des enfants de 11-12 ans, en début de prise en charge, un médecin de PMI (protection maternelle et infantile) constate que « l’éduc fait tout l’historique – pourquoi l’enfant est pupille, comment ça se passe à l’école ». Mais quand on demande à ce professionnel ce qu’il en est de la santé de l’intéressé, « c’est un grand blanc. Ni l’éduc, ni l’inspecteur n’ont écrit dans les rapports sur l’état physique de l’enfant. » Par ailleurs, la réticence des travailleurs sociaux à trop s’approcher du corps des enfants contribuerait à laisser les jeunes seuls face à un rapport à celui-ci possiblement troublé. Le manque de formation des travailleurs sociaux n’est pas compensé par une plus grande expertise des médecins de ville. « Tous sont impressionnés et maladroits avec les problématiques de santé spécifiques des enfants placés en protection de l’enfance », pointent les chercheurs. Léa Andlauer, médecin généraliste en libéral, le confirme dans la tribune qu’elle a publiée dans nos colonnes : « Professionnels de santé, formons-nous à la santé des enfants placés ! » (6). Le Dr Andlauer y explique n’avoir eu, lors de sa formation initiale, aucune heure de cours sur l’ASE ; qu’une heure sur la PMI, autant sur la maltraitance (et non l’enfance en danger). « Il m’a fallu un an et demi de travail pour découvrir dans quel milieu pouvaient évoluer mes jeunes patients », confie-t-elle.

Médecin référent

Le problème n’est pas l’absence de suivi médical des enfants sous mesure de protection : celui-ci existe et les intéressés auraient même tendance à voir convoqués à leur chevet une pluralité d’acteurs du soin – de manière souvent non coordonnée. C’est la méconnaissance des antécédents médicaux et des spécificités de cette population fragile qui est préjudiciable à l’identification et à la prise en compte adaptée de ses maux, notamment lorsqu’ils ne donnent pas lieu à des manifestations bruyantes.

Mais un regard plus averti en la matière peut être espéré à la suite de nouvelles dispositions instaurées par la loi du 14 mars 2016 sur la protection de l’enfant(7). Désormais, une évaluation médicale et psychologique pour déterminer les besoins de soins du mineur doit figurer dans le projet pour l’enfant (PPE). Par ailleurs, un médecin référent « protection de l’enfance », désigné dans chaque département, a notamment pour mission de contribuer à une meilleure prise en compte de la santé physique et psychique des enfants accompagnés par l’ASE, ainsi qu’à l’articulation des services départementaux de la protection de l’enfance avec les médecins libéraux, hospitaliers et de santé scolaire(8). Il lui faut aussi s’employer à l’acquisition de connaissances partagées sur la protection de l’enfance entre ces différents acteurs.

Perturbateurs et perturbés

« Répondre aux manifestations du mal-être et de la souffrance psychique des jeunes, qui s’expriment quand la scolarité fait symptôme, avec des exclusions répétées ou un absentéisme prolongé » : tel est l’objectif du Service d’activités psychopédagogiques et éducatives de jour (SAPPEJ) défini par sa directrice, la psychologue Thérèse Ferragut. Ouvert fin 2010 à Paris par l’Association Jean-Cotxet, ce dispositif unique en son genre mobilise l’aide sociale à l’enfance (ASE), qui le finance, l’Education nationale, qui lui fournit des postes, et la pédopsychiatrie de secteur, qui met à sa disposition un infirmier à mi-temps et un psychiatre pour une poignée d’heures chaque semaine. Le SAPPEJ peut accueillir 24 jeunes Parisiens de 11 à 16 ans durant six mois, (logiquement) renouvelables une seule fois. Comme les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques, le SAPPEJ marie les trois dimensions désignées par ces adjectifs, mais il n’accueille pas les jeunes ayant une reconnaissance de handicap. C’est soit le principal de collège qui demande au rectorat l’orientation d’un adolescent vers la structure, soit une association de prévention, soit l’ASE elle-même, signataire de la prise en charge avec les parents. Même si le service n’est pas habilité « justice », une proportion importante d’adolescents vient également chaque année sur décision judiciaire. A travers un menu à la carte et des emplois du temps allégés, les adolescents alternent enseignement en petits groupes ou en soutien individuel, sport et ateliers créatifs. Le but est de leur permettre de renouer avec les apprentissages et de reprendre confiance dans leurs capacités. Partant, il sera peut-être possible d’apaiser la violence qui constitue 8 fois sur 10 le motif de leur venue. « Outre ces jeunes poly-exclus, dont les collèges ne veulent plus, le service reçoit aussi 20 % de gros décrocheurs, qui peuvent être restés depuis plusieurs années enfermés dans leur chambre », explique Yannick Beaulieu, coordonnateur pédagogique, à qui il arrive de se rendre lui-même auprès de tels « hikikomori ». Pour le Dr Robin, pédopsychiatre, les jeunes accueillis au SAPPEJ – des garçons 4 fois sur 5 – « sont malades de leur vie, de leur famille, de la société ». Il s’agit de commencer ou de reprendre avec eux quelque chose de l’ordre d’une prise en charge thérapeutique. Quelles que soient les pathologies socio-familiales, l’ambition est aussi de restaurer la place des parents, très fréquemment rencontrés par l’équipe pluridisciplinaire. Pour autant, il n’y a pas de miracle : « On ne va pas réussir en six mois là où il y a eu des années d’échec institutionnel », souligne Yannick Beaulieu. Néanmoins, de belles réinsertions scolaires se produisent, parfois contre toute attente. Mais c’est peut-être dans le fait qu’après leur départ, des jeunes aux parcours compliqués reviennent donner de leurs nouvelles au SAPPEJ, devenu un repère dans leur existence, que l’équipe voit un signe tangible du travail accompli.

Notes

(1) Rapport issu de la démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l’enfant en protection de l’enfance, établi sous la responsabilité de Marie-Paule Martin-Blachais, février 2017, disponible sur le site de La Documentation française. Voir ASH n° 3000 du 03-03-17, p. 7.

(2) Voir « Parcours des enfants admis avant l’âge de 4 ans à la pouponnière sociale du foyer de l’enfance du Maine-et-Loire entre 1994 et 2001. Etude portant sur 128 sujets », septembre 2013. Recherche réalisée par Philippe Duverger, Serge Fanello, Sylvie Nguyen, Daniel Rousseau, Mireille Roze et Maurice Tanguy pour l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE). Accessible sur le site de l’ONPE (onpe.gouv.fr).

(3) Voir « La santé des enfants accueillis en établissements de protection de l’enfance. L’exemple de la Loire-Atlantique », recherche réalisée pour l’ONPE par Fabien Bacro, Angélique Rambaud, Caroline Humbert et Catherine Sellenet, 2012-2013. Accessible sur le site de l’ONPE.

(4) Cette étude a été réalisée par questionnaires au plan national et par entretiens dans cinq départements. Cf. « L’accès à la santé des enfants pris en charge au titre de la protection de l’enfance : accès aux soins et sens du soin », mars 2016, recherche réalisée par Séverine Euillet, Juliette Halifax, Pierre Moisset et Nadège Séverac. Voir ASH n° 2966 du 24-06-16, p. 17. Accessible sur le site du défenseur des droits (www.defenseurdesdroits.fr).

(5) Voir « La santé des enfants accueillis au titre de la protection de l’enfance », étude conjointe CREAI Rhône-Alpes, ORS Rhône-Alpes, IREPS Rhône-Alpes et département de la Haute-Savoie, octobre 2012. Accessible sur le site de l’ONPE.

(6) Voir ASH n° 2991 du 06-01-2017, p. 26.

(7) Voir ASH n° 2970 du 22-07-16, p. 52.

(8) Voir décret n° 2016-1503 du 7 novembre 2016. Voir ASH n° 2983 du 11-11-16, p. 39.

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