Recevoir la newsletter

L’enfance, l’oubliée de la présidentielle

Article réservé aux abonnés

Un plan d’orientation quinquennal en faveur de l’enfance, c’est la proposition formulée par Claude Roméo, directeur honoraire de l’enfance et de la famille au conseil départemental de la Seine-Saint-Denis. Car l’enfance, déplore-t-il, reste la grande oubliée de la campagne électorale en cours, alors que le bilan de ces dernières années n’est guère reluisant dans ce domaine. Santé, éducation, pauvreté, justice, protection de l’enfance… Autant de chantiers sur lesquels le prochain président de la République devrait se pencher.

« La campagne électorale du premier tour de l’élection présidentielle va bientôt prendre fin, par le vote du 23 avril 2016. On a beaucoup parlé des “affaires”. Des propositions thématiques ont été présentées sur l’école, la justice, la santé et la lutte contre la précarité, comme le revenu universel. Mais le projet d’une politique nationale globale, transversale et ambitieuse sur l’enfance n’a pas fait l’objet d’un traitement particulier. Les résultats de cette présidentielle auront pourtant des conséquences sur l’avenir désirable des 15 millions d’enfants qui ne voteront pas le 23 avril, donc sur celui de la France.

Si les jeunes de notre pays ont le sentiment d’être globalement en bonne santé, de 10 % à 15 % d’entre eux traversent des moments très difficiles, que leurs conditions de vie personnelle ou de scolarité exacerbent. L’accès à la santé mentale demeure complexe. Selon le rapport de la “mission bien-être et santé des jeunes”(1) remis au président de la République le 29 novembre 2016 par Marie-Rose Moro, professeure de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, et Jean-Louis Brison, inspecteur d’académie et inspecteur pédagogique régional, moins de 1 million de jeunes ont pu consulter en pédopsychiatrie, sur les 1,5 million qui auraient eu besoin d’un projet de suivi ou de soins appropriés. Cela est dû à la saturation des structures et à la diminution de près de 50 % du nombre de pédopsychiatres entre 2007 et 2016. Cette préoccupation croise d’autres enjeux majeurs de santé et de bien-être des enfants, comme le surpoids et l’obésité, qui touchent 18 % des élèves de troisième. Or, pour faire face à ces différentes problématiques, la santé scolaire, pour ce qui la concerne, n’est plus en mesure d’apporter des réponses. On sait que seulement 13 % des élèves de 15 ans bénéficient d’un bilan de santé en milieu scolaire, pourtant obligatoire.

Discrimination négative

Autre motif d’inquiétude : le droit à l’éducation est malmené, malgré les efforts accomplis ces cinq dernières années avec la création de 60 000 postes d’enseignants. Nous assistons, selon Jean-Yves Rochex, psychologue et professeur en sciences de l’éducation, à une “dissociation entre le niveau de scolarisation et le niveau d’acquisition des connaissances. La carrière des élèves s’améliore, mais trop d’entre eux passent de classe à ’l’ancienneté’ pour se heurter plus tard au mur de l’orientation ou à celui de l’échec”. Aujourd’hui, les zones d’éducation prioritaire produisent de la discrimination négative en donnant moins à ceux qui ont moins. A cela, nous pouvons ajouter la situation des enfants handicapés, dont 20 000 ne sont pas scolarisés et 3 600 sont exfiltrés vers la Belgique.

Quant à la pauvreté, elle touche 1,2 million d’élèves vivant en dessous du seuil de pauvreté, selon le rapport “Delahaye” de 2015(2).

S’agissant de la justice des mineurs, le projet de loi de 2013 préparé par Christiane Taubira, alors garde des Sceaux, n’a pas vu le jour. Le débat se cristallise sur le supposé laxisme de cette justice, alors que le taux de réponse pénale est de 93,7 %, au lieu de 63 % pour les majeurs… Quelque 3 000 mineurs sont incarcérés et 11 000 peines de prison avec sursis et mise à l’épreuve ont été prononcées les concernant. Ce débat ne relève pas d’une réalité, mais d’une course vers le “tout-répressif”… Pourtant, un rapport du sénateur Jean-René Lecerf a révélé que 87 % des jeunes de moins de 18 ans suivis par un juge des enfants et par la protection judiciaire de la jeunesse ne sont plus délinquants une fois devenus majeurs.

Dans le domaine de la protection de l’enfance, le législateur n’a cessé d’adopter des lois, dès lors qu’un fait de maltraitance médiatisé mobilise l’opinion publique. Ce n’est pas efficace pour une mise en œuvre rénovée et pérenne de pratiques professionnelles cohérentes entre tous les acteurs. Ainsi, en 2007, une loi fondatrice relative à la protection de l’enfance a été votée, suivie d’une nouvelle loi le 14 mars 2016, qui est son prolongement, mettant l’accent sur les besoins fondamentaux de l’enfant, objet d’une démarche de consensus(3). Cela est insuffisant quand si peu de places, de moyens et de pratiques professionnelles sont consacrés à la prévention dans ce champ de la protection de l’enfance. Pour preuve, 80 % des accueils de mineurs relèvent d’une décision judiciaire, faute d’un engagement précoce avec les familles et d’actions de prévention sur les difficultés auxquelles celles-ci sont confrontées dans l’exercice de leurs responsabilités éducatives. Pour cela, nous avions espéré et misé sur la tenue promise des assises du travail social, annoncées mais jamais réalisées, alors que nous avons besoin de professionnels hautement formés et reconnus.

Défenseur des enfants

Voilà quelques-unes des questions qui auraient mérité des débats et des propositions, qui me semblent aujourd’hui plus d’actualité que jamais. Aussi, je considère comme prioritaire que soit voté, au début du prochain mandat présidentiel, un plan d’orientation quinquennal en faveur de l’enfance, permettant une politique nationale globale et cohérente qui constituerait une feuille de route pour chaque ministre.

Un ministre de l’Enfance et de l’Adolescence serait nommé et chargé de la mise en œuvre de ce plan d’orientation. Lequel ferait l’objet d’un rapport annuel suivi d’un débat au Parlement. Par ailleurs, il conviendrait de créer une commission permanente de l’enfance à l’Assemblée nationale, comme celle-ci l’avait d’ailleurs proposé en 1990, sans être suivie par le Sénat. Le contrôle et les recommandations devraient être assurés par le défenseur des enfants. Remis en cause et placé sous la tutelle du défenseur des droits en 2011, celui-ci devrait redevenir une autorité indépendante.

Cette loi d’orientation devrait comporter des axes forts, parmi lesquels :

→ la création d’un service public de promotion de la santé de l’enfant et de l’adolescent par la fusion de la protection maternelle et infantile et du service de santé scolaire, piloté par les conseils départementaux, qui seront chargés du suivi des enfants de 0 à 16 ans ;

→ la création d’un droit opposable à l’éducation pour donner la possibilité aux familles de saisir la justice en cas de refus de l’accès à la scolarisation, en particulier pour les enfants porteurs d’un handicap, les enfants du voyage, les mineurs non accompagnés ou encore les enfants qui vivent dans les squats, pour faire enfin respecter le droit à la scolarisation ;

→ la tenue d’assises nationales de la prévention, s’appuyant sur une démarche de consensus, comme enjeu complémentaire des acteurs de la santé, éducatifs et sociaux, intervenant auprès des enfants ;

→ le droit à la restauration scolaire gratuite face au développement de l’obésité, pour apprendre à manger au même titre qu’apprendre à écrire, lire, compter. En outre, cela permettra d’agir contre la pauvreté des élèves ;

→ le droit à un toit pour mettre fin à la situation d’enfants vivant dans des squats, des hôtels ou des hébergements d’urgence. Ce qui, au passage, représente des budgets importants pour l’Etat, les conseils départementaux et les communes. Cela passe par l’effectivité et le développement de baux glissants prévus par la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable (DALO), permettant enfin aux enfants et à leurs familles de connaître une situation plus stable.

Enfin, dans le cadre de la résorption de l’habitat insalubre, il y a lieu d’acquérir les hôtels de “marchands de sommeil” pour les rénover et les transformer en hôtels sociaux avec une présence éducative et sociale.

Le futur président de la République aura une responsabilité particulière en tant que représentant du pays des droits de l’Homme, ce qui implique que les droits de l’enfant doivent être respectés, comme le souligne le Comité des droits de l’enfant de l’Organisation des Nations unies qui, le 4 février 2016, a adressé à la France 20 pages de recommandations sur les principales politiques publiques menées par le pays(4). »

Notes

(1) Voir ASH n° 2986 du 2-12-16, p. 5.

(2) Voir ASH n° 2910 du 15-05-15, p. 5.

(3) Sur les lois relatives à la protection de l’enfance, voir ASH n° 2502 du 6-04-07, p. 21 ; n° 2505 du 27-04-07, p. 17 et n° 2970-2971 du 22-07-16, p. 49. Voir également notre numéro juridique « La protection de l’enfance, du droit aux pratiques » – Mars 2017.

(4) Voir ASH n° 2947 du 12-02-16, p. 7.

Vos idées

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur