« A qui n’a pas rencontré le sourire de Jacques, il est difficile de faire comprendre sa capacité d’écoute. » Comme Jean-Yves Barreyre, ancien directeur du CEDIAS-Musée social et du Creahi Ile-de-France, tous les compagnons de route de Jacques Ladsous honorent d’abord l’homme pour mieux raconter un parcours fait de rencontres et d’engagements. Jacques Ladsous, figure historique du champ social, s’est éteint le 16 avril à l’âge de 90 ans, laissant son empreinte dans la mémoire de l’éducation spécialisée et du travail social. « Optimiste contagieux, militant infatigable du dialogue, énorme travailleur, il ne craignait pas de s’attaquer aux montagnes. Sa personnalité, son courage, sa bonté, sa courtoisie et son œuvre forcent le respect. Il est de ceux qui ont construit l’éducation spécialisée et le travail social en France. Toute sa vie, il n’a eu de cesse d’aider, de créer, d’inventer des réponses, de construire, de donner du sens. Son œuvre d’éducateur et de pédagogue est immense », salue Pierre Gauthier, ancien directeur de l’action sociale et ancien président de l’Unaforis (Union nationale des acteurs de formation et de recherche en intervention sociale).
De son expérience du maquis au lancement des « états généraux du social », près de 60 ans plus tard, en passant par le Conseil supérieur du travail social (CSTS), dont il a été vice-président pendant dix ans, les CEMEA (centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active), dans lesquels il s’est impliqué sans relâche, et la direction d’établissements, Jacques Ladsous ne s’est jamais départi de sa posture d’éducateur spécialisé. Ni de son esprit de résistance et d’une haute idée de la liberté, lui qui fut expulsé d’Algérie avec sa femme et son fils en 1958. « Le plus important de Jacques, c’est ce qu’il a été en tant que praticien, y compris à notre égard », témoigne Martine Fourré, psychanalyste, qui exerce en lieu de vie et salue, sur son blog, la mémoire d’un « homme au grand cœur, dont la complexité de la pensée – rieuse et sérieuse – nous enrichissait à chaque rencontre ». Jacques Ladsous, confie-t-elle aux ASH,était celui qui « nous soutenait, veillait au grain, savait accueillir nos idées nouvelles de formes institutionnelles, non pas dans un cadre normatif, mais en nous mettant à l’épreuve de notre propre invention, au plus près de l’écoute de ceux qui faisaient appel à nous ». Des réponses qui ont par la suite trouvé leur place parmi les dispositifs sociaux et médico-sociaux. « Souvenons-nous que sa femme et lui ont été les premiers à créer un lieu de vie. Par la suite, ils ont su si bien essaimer que ceux-ci se sont développés avec Deligny, puis Sigala », souligne Jean-Marc Antoine, notamment ancien coordonnateur des regroupements de lieux de vie et d’accueil.
« Il a été un éducateur exemplaire auprès des enfants les plus en difficulté, a complètement renouvelé les pratiques, avec humanisme et rigueur méthodologique », dit de lui Jean-Michel Belorgey, ancien député socialiste et ex-conseiller d’Etat, qui fut de l’aventure des « états généraux du social ». Il a aussi consacré une grande partie de sa vie « à voir comment les statuts et la formation des travailleurs sociaux pourraient être enrichis pour les aider à mieux accomplir leurs missions ». Une pensée que Jacques Ladsous a nourrie du terrain, des expériences et des travaux sur les questions de la pauvreté et des personnes à la rue, notamment auprès de Pedro Meca, fondateur de La Moquette. « Il avait toujours des idées originales, avec une capacité de relance extraordinaire en dépit de l’épuisement général », se remémore l’ancien député. Au sein du CEDIAS, dont il fut longtemps secrétaire général, « il incarnait une relation très forte avec le travail de réflexion sur la société », ajoute Jean-Yves Barreyre. Pour François Chobeaux, responsable des secteurs « social » et « jeunesse » des CEMEA, Jacques Ladsous a largement contribué à « un rayonnement important de l’éthique de l’éducateur », tout en positionnant l’éducation populaire dans le champ du travail social. « Attaché à la fonction d’éducateur au sens de la relation directe et permanente, il était en désaccord avec ce que devenait la formation d’éducateur spécialisé », relate-t-il. Plus qu’à la catégorisation du métier, le pégagogue et formateur s’attachait à la posture, aux valeurs. « Il avait le souci de préserver la dimension éducative comme composante du travail social », confirme Marcel Jaeger, titulaire de la chaire de travail social et d’intervention sociale du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), qui reconnaît dans cet « esprit libre » un rôle dans les ponts « construits entre le travail social et l’éducation, d’une part, le champ de la santé mentale, d’autre part ». Le désir du progrès social l’a aussi mené à se joindre aux actions de Resolis (Recherche et évaluation de solutions innovantes et sociales).
L’ancien vice-président du CSTS était aussi reconnu pour ses qualités de rassembleur. « Ce qui au départ était une utopie à l’arrivée allait de soi », témoigne encore Pierre Gauthier. La participation des « usagers » faisait partie de ces idées qui se sont progressivement imposées dans le champ du travail social. Parmi celles et ceux qui disent lui devoir un grand soutien, Brigitte Bouquet, qui a succédé à Jacques Ladsous à la vice-présidence du CSTS, retient le caractère offensif qu’il a su donner à l’instance : « Il ne s’endormait pas et prenait position chaque fois qu’une décision politique avait des conséquences pour le travail social. » Il a bataillé pour améliorer l’exercice professionnel des travailleurs sociaux, « mais en refusant de labelliser des bonnes pratiques, dans un cadre normatif », insiste François Roche, membre du CSTS et ancien directeur de l’Unité de formation des travailleurs sociaux de Vic-le-Comte (Puy-de-Dôme), établissement du réseau des CEMEA, « où la pédagogie Freinet appliquée à l’éducation spécialisée a donné une force extraordinaire au travail social ». A ses yeux, Jacques Ladsous, engagé au Parti socialiste et fidèle de l’ancienne ministre de la Solidarité nationale Nicole Questiaux, auteure de l’« adresse » aux travailleurs sociaux, « était un politique au sens noble du terme ». Homme de la relation individuelle, il croyait tout autant au collectif, « à la dynamique des structures » et aux moyens de mettre collectivement en scène « la force d’invention des publics face à des situations difficiles », comme proposé par le Théâtre du fil. « Certes, il aimait le pouvoir ; il le fallait bien, puisqu’il y alla. Mais il n’aimait pas le pouvoir pour lui-même », écrit sur son blog Martine Fourré, mais « pour ce qu’il lui permettait de nous offrir. »
Pour le sociologue Michel Chauvière, qui a présidé l’association « 7.8.9 Vers les états généraux du social », celui qui a marqué « le champ du travail social et de l’action sociale pendant plus d’un demi-siècle » tenait « un discours politique, mais pas partisan », dans « une ligne consensualiste ». Son humanisme et sa générosité, « son énergie d’éducateur faisaient qu’il était compatible avec tous ces lieux différents » dans lesquels il s’est engagé, estime-t-il. Son caractère de « facilitateur » a favorisé, notamment, des regroupements « un peu contre nature », comme celui qui a réuni représentants des employeurs, des syndicats, chercheurs et formateurs au sein de CQFD (C’est la qualification qu’il faut développer), à la fin des années 1990. « C’était un éducateur dans le mouvement, le faire, un progressiste avec une foi chrétienne qui participait de sa vision optimiste et humaniste de la vie. » Débordant d’activité tant que ses forces le permettaient encore, sans doute un peu déçu que les « états généraux du travail social » de 2015 n’aient aucunement résonné avec les « états généraux du social » de 2004, il a incontestablement donné une direction, poursuit Michel Chauvière. Un engagement qui s’est accompli dans sa passion pour l’écriture, jusqu’à la fin.