Michèle Crone, la DRH de l’AFAD (Aide familiale à domicile) de Moselle, le clame : « Nous avons besoin de 10 à 20 nouveaux salariés par mois. » Non seulement l’activité de cette association d’aide à domicile qui compte déjà 800 employés ne cesse d’augmenter, mais il faut aussi remplacer les départs et les personnes en arrêt maladie. L’une des difficultés majeures que rencontre l’AFAD est sa situation géographique. « Le territoire que nous couvrons est limitrophe du Luxembourg, de l’Allemagne et de la Belgique, où les salaires sont plus attractifs, déplore Michèle Crone. Certes, les contrats proposés dans ces pays imposent d’autres contraintes, mais nous ne faisons pas le poids. » La conséquence ? L’association, qui a pourtant pour devise de ne jamais refuser une demande d’aide, est obligée de mettre des usagers en attente. La DRH a décidé de prendre ce problème à bras-le-corps : « Je participe à des job datings, à des forums pour faire parler de nous et de nos métiers autant que possible. Nous avons également élaboré des partenariats avec chaque agence Pôle emploi du département, afin de mettre au point ensemble des formations de professionnalisation, car même quand les CV nous arrivent, ils correspondent rarement à ce que l’on recherche : des candidates mobiles, compétentes et motivées pour travailler auprès de personnes dépendantes. Exercer comme aide à domicile n’est pas anodin, c’est un métier usant, mal rémunéré, avec des horaires complexes. C’est donc un projet qui doit être réfléchi et accompagné. »
Une problématique familière à Nathalie Guérin, directrice de l’Aide à domicile de Cherbourg, qui compte une centaine de salariées (TISF, aides à domicile et intervenantes « petite enfance »). Grâce à des efforts démesurés, la professionnelle, qui assure également les fonctions RH dans sa structure, parvient à avoir les effectifs dont elle a besoin. « Il faut déjà partir du constat : même si l’Education nationale forme des bac professionnels “accompagnement, soins et services à la personne”, les jeunes filles qui sortent diplômées n’ont généralement ni véhicule ni même permis de conduire, ce qui compromet leur embauche. Le deuxième point, c’est que l’aide à domicile n’attire pas vraiment les jeunes. Quand toutefois on parvient à les recruter, il n’est pas aisé de les fidéliser lorsqu’elles se rendent compte de l’écart entre ce qu’elles ont compris du métier à l’école et la réalité de terrain. Enfin, dans notre secteur, nous souffrons de la concurrence du privé. En résumé, ce sont les professionnelles qui choisissent où elles veulent travailler, et non l’inverse. » Un exemple ? Quand, l’an dernier, Nathalie Guérin cherchait à recruter une TISF, elle a littéralement fait la sortie des écoles ! « J’ai contacté une jeune femme plusieurs mois avant qu’elle ne passe ses examens : elle avait déjà trois propositions d’embauche ! » L’Aide à domicile de Cherbourg est parvenue à la recruter en lui proposant davantage d’heures que ses confrères. Et la directrice de prendre son bâton de pèlerin pour présenter les métiers que son association propose dans les écoles, rencontrer les conseillers Pôle emploi, diffuser ses annonces par tous les canaux identifiés (y compris dans les ASH…) et aller à la pêche aux CV. L’association reçoit également de nombreux stagiaires et s’engage rapidement auprès d’eux, un CDI à la clé, si les retours sont bons. « Et je ruse en faisant travailler pour la garde d’enfants des retraités avec des petits volumes horaires, et pour nos services senior-handicap des étudiants infirmiers ou AMP, des assistantes maternelles ou des AVS qui ont des trous dans leurs emplois du temps. Sans parler des moniteurs-éducateurs et des éducateurs spécialisés qui, pour notre service soutien à la parentalité, assurent des missions de TISF, car eux ont plutôt du mal à trouver du travail », liste Nathalie Guérin.
Le secteur de l’aide à domicile n’est pas le seul touché par la pénurie de personnel. D’ailleurs, tous secteurs confondus, les adhérents d’Unifaf, OPCA de la branche sanitaire, sociale et médico-sociale, sont 30 % à exprimer des difficultés de recrutement. D’autres directeurs et DRH confrontés à des postes vacants, notamment médicaux et paramédicaux, ont mis au point des modes opératoires pour y faire face efficacement, voire pour anticiper cette situation.
Ainsi, toujours à Cherbourg, l’ESAT de l’ACAIS (Association du Cotentin d’action et d’intégration sociale) a du mal à recruter des moniteurs d’atelier pour certaines de ses activités professionnelles. « La particularité est que nous cherchons des moutons à cinq pattes : des personnes avec un savoir-faire, capables de transmettre et ayant une expérience dans le handicap. C’est difficile à trouver, de surcroît quand on se situe sur une presqu’île peu attractive, pointe Nathalie Sarge, directrice de cette structure qui accueille 210 travailleurs handicapés. « En 2016, j’ai recherché un moniteur d’atelier en métallerie-soudure, et je n’ai pas trouvé. Au final, j’ai choisi de prendre quelqu’un en interne, un moniteur d’atelier avec un profil ébénisterie-menuiserie, qui a été envoyé en formation de soudeur… » Comme il s’agissait de remplacer un départ en retraite, l’ESAT avait pu anticiper – « mais si, du jour au lendemain, la monitrice d’atelier de couture-broderie industrielle nous quitte, ce ne sera plus possible de répondre aux commandes des clients », craint Nathalie Sarge.
Pour éviter de se retrouver dans ce type de situation, une conseillère technique responsable des ressources humaines a été embauchée au siège d’ACAIS (400 salariés répartis dans 12 structures accompagnant des enfants, adolescents et adultes déficients intellectuels) pour mettre en place la GPEC. « Elle a aidé les directeurs à élaborer une cartographie des emplois qui permet d’anticiper les évolutions prévisionnelles de l’organisation et d’établir des passerelles possibles entre les établissements. Pour les salariés en poste, cela donne des tendances et perspectives de carrière. On a ainsi identifié des personnes intéressées par la mobilité interne et des passerelles de développement professionnel – comme des AMP qui souhaitent se diriger vers une fonction de moniteur-éducateur. En temps voulu, on pourra puiser dans ce “vivier”. » Ce nouveau dispositif induit une certaine ouverture d’esprit de la part des managers d’ACAIS et une évolution des pratiques : « On doit jouer le jeu en interne, avoir une vision associative et non plus mono-établissement, conclut Nathalie Sarge, car il arrive que l’on déshabille une structure pour en habiller une autre. Nous devons avant tout penser à l’employabilité des personnels, et non espérer qu’ils restent dans leur poste. »
A Solincité aussi, on est en train de bousculer les pratiques. Béatrice Magnan, la DG de cette association qui regroupe dans le Lot-et-Garonne 11 établissements et services pour enfants et adultes en situation de handicap, d’exclusion ou de vulnérabilité (300 salariés), a rejoint 20 autres associations au sein du GCSMS de Moyenne Garonne, « dont beaucoup ont des structures en zone rurale, où il est difficile de recruter des infirmières, des médecins, voire du personnel administratif ». En 2013, après avoir répondu à l’appel d’offres du conseil régional – financé notamment par la Direccte et le Fonds social européen – sur le thème « Ancrer nos compétences sur les territoires », les salariés de toutes les structures du GCSMS, accompagnés par un chargé de mission, ont réfléchi ensemble à la fidélisation de la main-d’œuvre. « Deux solutions ont émergé. La première a été de concevoir une plateforme de formation que l’on a mutualisée. La seconde est sur le point de voir le jour : il s’agit d’une entreprise de travail temporaire solidaire sous la forme d’une société coopérative d’intérêt collectif, appelée Medicoop 47. Cela consiste à partager nos CDD entre nous, sans faire de concurrence à Adecco, bien sûr ! Cela rend nos organisations attractives : un orthophoniste en CDI à temps partiel peut, sans aucune contrainte, trouver un complément de CDD dans une autre association membre ; un médecin peut obtenir un 0,30 ETP à Solincité et le compléter par un 0,70 ETP dans une seconde association, ce qui permet, pour lui, d’obtenir un temps plein et, pour nous, de pérenniser son poste. » Ce système, soutenu par Mecen’Coop, est en train de se propager dans le secteur social et médico-social, avec une douzaine de départements qui ont déjà constitué des Medicoop.
L’association IRSA (Institution régionale des sourds et des aveugles) – qui compte 13 établissements et services en Nouvelle-Aquitaine – a, quant à elle, anticipé les difficultés de recrutement pour le nouvel établissement qui ouvrira fin mai à Mérignac. « Nous savions que nous allions avoir besoin d’une cinquantaine de professionnels pour des postes aussi variés qu’AMP, aide-soignant, infirmier, éducateur spécialisé, maître de maison ou animateur socio-éducatif, pour prendre en charge 76 adultes déficients sensoriels avec handicaps associés, explique Chloé Loorius-Dekokere, responsable des ressources humaines. Notre difficulté n’est pas liée aux fonctions mais aux spécificités de nos structures. Comment trouver, dans le périmètre, des personnes diplômées et formées aux techniques de communication spécifiques à la surdité ? » L’IRSAs’est rapprochée d’Unifaf et de Pôle emploi pour monter un programme de préparation opérationnelle à l’emploi collective (POEC). « L’agence de Mérignac a diffusé l’ensemble des annonces. Après sélection, nous avons fait passer 110 entretiens et retenu 44 demandeurs d’emploi pour prendre part à cette formation sur mesure entre mi-mars et mi-mai, soit en tout 197 heures de théorique et 35 heures de pratique, détaille Chloé Loorius-Dekokere. Grâce aux modules axés principalement sur la langue des signes française, à la sensibilisation au handicap auditif et visuel, à l’autisme ainsi qu’aux troubles associés, les stagiaires, à qui l’IRSA a adressé une promesse d’embauche en CDI, pourront communiquer et comprendre les résidents de l’établissement. Unifaf a financé 75 % des 82 200 € qu’a coûté ce programme de formation, tandis que la région a pris en charge les 25 % restants.
A l’Association girondine des infirmes moteurs cérébraux (AGIMC), on a aussi modifié le mode de recrutement dans l’objectif de dénicher les candidats « idéaux ». « Il y a les postes qui sont toujours en tension, comme kinésithérapeute et orthophoniste, mais aussi ceux pour lesquels on trouve pléthore de diplômés mais beaucoup moins de personnes motivées », constate Elisabeth Calmus, DG de cette association qui compte six établissements et services. Elle poursuit : « Il faut admettre que les métiers d’AMP et d’aide-soignant ont des contraintes physiques et psychologiques importantes, surtout quand on travaille auprès d’enfants et d’adultes polyhandicapés. Or beaucoup de candidats se sont orientés vers cette profession par défaut, si bien qu’une fois confrontés aux difficultés des usagers que nous accueillons, une problématique d’absentéisme ou de turn-over émerge. »
Elisabeth Calmus a donc réfléchi avec sa DRH, Olga Henriques, à la mise en place d’une expérience pour fiabiliser les recrutements, notamment dans le cadre de l’ouverture, en mars dernier, d’une nouvelle unité pour patients atteints de maladies neurodégénératives. « Dès septembre 2016, après avoir mis au point des fiches de poste très détaillées, nous avons travaillé en collaboration avec Pôle emploi sur une POEC pour le recrutement de 16 professionnels, explique la DRH. L’originalité était de faire participer quatre psychologues du travail aux entretiens d’embauche. Nous voulions qu’ils repèrent le savoir-être des candidats là où nos cadres se fondent plus volontiers sur les compétences techniques. » Ce premier brassage effectué, les personnes retenues ont passé trois jours en immersion dans une unité pour découvrir les réalités du terrain. Un stage qui a ensuite donné lieu à un nouvel entretien avec un psychologue du travail de Pôle emploi et la direction de l’AGIMC, pour une évaluation. Après le recrutement effectif, les nouveaux embauchés ont suivi une formation de 400 heures qui a coûté 125 000 €, financée par l’OPCA (68 %) et l’agence régionale de santé. « Le résultat est surprenant, il n’y a eu aucune déperdition depuis leur embauche et cela a permis de créer une belle cohésion d’équipe », se réjouit Olga Henriques.
Forte de cette expérience, dans le cadre de son plan de lutte contre l’absentéisme, l’AGIMC va revoir totalement ses modes de recrutement en y faisant systématiquement participer un psychologue du travail libéral.
Tous les cinq ans, l’enquête « Emploi » d’Unifaf recueille auprès des 8 000 acteurs du secteur sanitaire et social des données sur les effectifs, les mobilités, les évolutions des organisations… En attendant les résultats de la collecte d’informations 2017 (
• AMP. Aide médico-psychologique
• AVS. Auxiliaire de vie scolaire
• DG. Directeur(trice) général(e)
• Direccte. Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi
• DRH. Directeur(trice) des ressources humaines
• ETP. Equivalent temps plein
• ESAT. Etablissement et service d’aide par le travail
• ESMS. Etablissement social et médico-social
• GCSMS. Groupement de coopération sociale et médico-sociale
• GPEC. Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences
• OPCA. Organisme paritaire collecteur agréé
• TISF. Technicien(ne) de l’intervention sociale et familiale