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Personnes âgées dépendantes : le poids des listes d’attente

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Vouloir développer des dispositifs innovants, l’intégration, la coordination ou la logique de parcours… Cela a peu de sens lorsque les places manquent, défendent Gaëlle Cosquer, chargée de mission « plateforme de services gérontologiques », et Richard-Pierre Williamson, directeur du centre local d’information et de coordination (CLIC) de La Roche-sur-Yon Agglomération. Ils s’appuient en particulier sur une étude des listes d’attente dans le pays Yon et Vie, en Vendée.

« Le phénomène des listes d’attente dans les services et établissements médico-sociaux interroge la pertinence des discours des pouvoirs publics sur la nécessité d’expérimenter de nouveaux dispositifs et de fluidifier les parcours des usagers afin d’éviter les ruptures. Développer des réponses innovantes sur un territoire où les places sont déjà saturées risque, si l’on n’a pas une vision globale de l’offre, au pire de décourager les services de gérontologie, au mieux de les conduire à pratiquer l’“attentologie”, l’art de faire patienter les personnes âgées dépendantes, leurs familles épuisées, et de mettre les professionnels sous pression.

C’est ce que montre l’étude sur les listes d’attente qu’a menée la plateforme de services gérontologiques du syndicat mixte du pays Yon et Vie, au centre de la Vendée, qui réunit deux centres locaux d’information et de coordination (CLIC), la méthode d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie (MAIA) et douze structures médico-sociales.

Malgré de longues habitudes de travail en réseau, ce territoire connaît des difficultés majeures dans l’admission des personnes âgées dans ses différents établissements et services médico-sociaux – hébergements temporaires, accueils de jour, services de soins infirmiers à domicile (SSIAD), établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) –, en particulier lorsqu’elles sortent des soins de suite et de réadaptation. Il s’agissait donc pour la plateforme, avec la participation du centre hospitalier départemental, de répondre aux questions suivantes : “Qui sont les personnes sur nos listes d’attente ? Quelle est leur situation en l’attente d’une place ? Que peut-on faire, ensemble, pour améliorer la réponse à leurs besoins ? Et que nous manque-t-il pour y arriver ?”

Accompagnements complexes

De juillet à mi-septembre 2016, on a recensé 238 personnes sur des listes d’attente, dont 29 % présentent une maladie d’Alzheimer ou apparentée et/ou des troubles du comportement. Or seules deux places, dans les cinq EHPAD qui proposent des hébergements témporaires, sont sécurisées et adaptées aux publics désorientés.

Par ailleurs, le territoire de la communauté d’agglomération de La Roche-sur-Yon (La Roche sur Yon Agglomération) compte 695 places d’EHPAD. Or 806 personnes (sur 3 045 inscrites), dont une centaine dans une situation médico-sociale préoccupante, se disent prêtes à entrer immédiatement. Au vu de la centaine de personnes admises par an en 2015 et 2016, on peut logiquement penser que seuls les publics en grande fragilité, et donc les “urgences”, auront une place, au détriment des situations plus stabilisées. Est-ce “vivable” pour les EHPAD ? Pour les personnes en attente ? Pour les autres structures en amont ?

L’étude a aussi permis de dégager les caractéristiques des personnes âgées dépendantes qui s’adressent à ces services et qui prennent rang sur les listes d’attente. Trois profils se dégagent.

→ Des personnes très dépendantes physiquement qui attendent une place en SSIAD. Face à l’ampleur de la demande – 71 personnes sur liste d’attente au moment de l’étude –, ces services privilégient les situations les plus urgentes. L’attente est palliée tant bien que mal par le proche aidant (avec des risques d’épuisement) et les services d’aide à domicile, qui assurent les soins d’hygiène, ce qui entraîne des glissements de tâche.

→ Des personnes présentant des troubles cognitifs ou psychiques et/ou de grosses problématiques médicales et qui ne peuvent plus rester à leur domicile. Les hébergements temporaires (avec des taux d’occupation proches de 100 %) font alors de leur mieux pour “dépanner” la situation dans l’attente d’une place en EHPAD.

L’étude révèle que, lorsque le soutien à domicile n’est plus possible et que la situation ne peut pas humainement rester sans réponse, les hébergements temporaires acceptent d’accueillir les personnes présentant des risques d’errance. Il en résulte des accompagnements très complexes et stressants pour ces structures et leurs équipes, qui doivent veiller au bien-être et à la sécurité des publics sans en avoir les moyens (architecturaux, humains…).

De plus, l’accueil temporaire des personnes doit respecter la durée maximale légale de trois mois. Cela génère un “nomadisme” – parfois de plus de un an – avec des conséquences souvent délétères tant psychiques que physiques et un impact sur les proches aidants. Durant l’étude, 30 personnes étaient dans cette situation, dont 10 avaient plus de 90 ans (33 %) et 13 étaient désorientées avec des troubles du comportement (43 %).

En outre, il a été difficile d’avoir des données sur les situations où les familles s’adressent directement aux hébergements temporaires, sans passer par un relais (médecin, CLIC, service social). Ont-elles toujours accès à ces structures ? Dans le cas contraire, quel impact sur les suites de l’accompagnement, pour la personne âgée comme pour son aidant ?

→ Des personnes qui présentent un cumul de fragilités médicales, sociales, matérielles, psychiques, pour lesquelles l’ensemble des acteurs vont se coordonner sous l’égide du CLIC ou de la “référente de situation”(1) de la MAIA en attendant une place en SSIAD, en hébergement temporaire ou en EHPAD.

Ces situations, sans cette mobilisation, s’aggraveraient ou déboucheraient sur une hospitalisation de la personne, ce qui finit parfois par advenir.

Injonction contradictoire

On voit bien l’effort de coordination et parfois la grande solidarité “transdisciplinaire”, voire l’inventivité des services, pour permettre à chaque personne âgée d’accéder à la solution la plus adaptée (ou à défaut la moins mauvaise). Néanmoins, cette dynamique est énergivore et relève de l’“art de la débrouille” dans un contexte où le poids des listes d’attente oblige les professionnels à faire un tri drastique pour concentrer leur énergie sur les situations les plus dégradées. La question du “projet de vie” devient alors anecdotique !

Cette étude interroge le concept de “parcours” (“la bonne réponse, par le bon professionnel, au bon endroit, au bon moment”). N’y a-t-il pas là une injonction contradictoire ? En effet, si la dynamique de travail en réseau des acteurs de proximité constitue un amortisseur à la crise vécue par la personne (en permettant de trouver des solutions provisoires, voire bancales), l’absence de places supplémentaires (en SSIAD, EHPAD, hébergements temporaires d’urgence ou spécifiques…) est le principal écueil. Faute de réponse, on ne fait qu’accentuer l’incohérence du système, le chaos des parcours et le désarroi des personnes âgées, de leurs aidants et des professionnels. Le discours officiel sur le “parcours” est confronté au principe de réalité qui donne à voir le plus souvent un “parcours du combattant”. Au cœur de ces réalités, la question éthique surgit inévitablement : qu’en est-il de la dignité, du libre choix, du droit au répit ? Cette étude tend à démontrer que les services ont beau maximiser leur coordination, ils ne peuvent pas, en l’absence de places suffisantes sur le territoire, répondre aux besoins des personnes.

Synergie, efficience et crédibilité

Dès lors, trois axes complémentaires devraient pouvoir s’articuler pour débloquer la situation.

→ Ouvrir de nouvelles places. En l’espèce, l’étude produit une estimation du manque de places d’EHPAD, de SSIAD, d’hébergement temporaire pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, d’hébergement temporaire d’urgence, d’accueil de nuit.

→ Optimiser le déploiement et la légitimité de la MAIA par la montée en charge de la gestion de cas, la mise en place d’un système d’information partagé opérant, l’actualisation du diagnostic territorial (intégrant notamment les dysfonctionnements et les ruptures dans les parcours) et enfin l’activation du niveau stratégique (sans lequel la MAIA perd son sens).

→ Poursuivre la création de dispositifs innovants visant à diversifier les réponses : plateformes de répit, baluchonnage, SSIAD d’urgence, services polyvalents d’aide et de soins à domicile (Spasad), équipe mobile de gérontopsychiatrie, plateforme territoriale d’appui…

Ces trois axes sont complémentaires, indissociables, et leur développement doit être simultané. On ne peut conduire des expérimentations ou développer des dispositifs d’intégration et d’appui que si l’on a une vision précise des besoins en places sur un territoire. La synergie, l’efficience et la crédibilité souhaitées par les politiques publiques sont à ce prix. Comme l’affirme Marie-Aline Bloch(2) : “Dire ’on fait du parcours, on évite les ruptures pour les usagers, on prend en compte leurs besoins’ constitue une sorte d’injonction des pouvoirs publics mais qui reste lettre morte si l’on ne s’attache pas, parallèlement, à faire évoluer l’offre sanitaire, sociale et médico-sociale vers plus de modularité.” Cette étude mettant au jour les réalités difficiles des personnes âgées, des familles et des équipes quand la situation d’attente s’installe, peut-on espérer que les dimensions tactiques, politiques et stratégiques jouent pleinement leur rôle ? Sinon, les personnes âgées peuvent toujours attendre. »

Notes

(1) Appellation du gestionnaire de cas en Vendée.

(2) Voir ASH n° 2983 du 11-11-16, p. 20.

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